Notre pays vit depuis quelques années au rythme des attentats terroristes prenant pour cible les forces de sécurités, l’armée, des personnalités politiques et tout récemment, des touristes étrangers, en vue d’affaiblir l’État, de battre en brèches les institutions démocratiques naissantes et d’installer le chaos.
Le fait terroriste en Tunisie s’explique par un faisceau de facteurs : la décompression de l’autorité de l’Etat consécutive au 14 janvier, le laxisme observé par le pouvoir issu des premières élections vis-à-vis des prémisses de violence salafiste pendant une longue période, et évidemment le contexte géopolitique qui a favorisé l’émergence d’un terrorisme transfrontalier…
Un nouveau texte antiterroriste était donc nécessaire. Il faut rompre avec la loi de 2003 dont Ben Ali a fait une épée de Damoclès qui menaçait plus les militants de la démocratie et des droits de l’Homme que les terroristes. « Votés » à la suite du 11 septembre 2001 et de l’attentat contre la Gheriba, les articles de cette loi étaient, en effet, conçus et rédigés de sorte à frapper de suspicion et à entraver toute activité oppositionnelle.
Le nouveau projet de loi tant attendu, censé combattre le terrorisme et le blanchiment d’argent, a fini par être adopté par le Conseil des ministres et soumis au débat de l’ARP.
Nous estimons, quant à nous, que ces deux impératifs doivent être assortis de certaines conditions qui empêchent l’instrumentation de la loi et assurent le respect des libertés et des droits de l’Homme.
C’est ce qui nous conduit à émettre les fortes réserves suivantes sur le projet de loi :
- D’abord, la nouvelle loi, si elle est adoptée, prévoit la peine capitale contre des dizaines de crimes. Outre notre opposition de principe à la peine de mort, nous observons que cette sanction, qui n’existait pas dans la loi de 2003 elle-même, deviendrait absurde si l’innocence d’un condamné est attestée par la suite, d’autant que la plupart des infractions et crimes listés sont déjà prévus dans le Code pénal. L’interférence entre les crimes de droit commun et les crimes terroristes étant fréquente.
- Le nouveau dispositif d’investigation, de mise sur écoute ou en surveillance par les techniques audiovisuelles sophistiquées, suscite bien des craintes. La tentation est grande pour le pouvoir exécutif, en la personne du Procureur de la République, de porter atteinte à la vie privée. Surtout que ces enquêtes peuvent durer jusqu’à quatre mois susceptibles de prolongation.
- La Commission nationale de lutte contre le terrorisme, prévue par l’article 62, reliée à la présidence du gouvernement et dotée de prérogatives élargies, ne jouit ni de la personnalité morale ni de l’autonomie financière. Elle n’est donc pas à l’abri des tiraillements politiques et risque de subir les aléas des changements à la tête de l’État.
Les articles imprécis, qui ne précisent pas suffisamment les garanties de respect de la Constitution et des conventions internationales suscitent également des critiques légitimes. Le risque d’entériner de nouvelles formes collatérales d’oppression et d’atteintes aux libertés est réel. La grave responsabilité de protection du pays contre le fléau terroriste qui vise à détruire notre société autorise-t-elle l’Etat à mettre les droits de l’Homme entre parenthèses ?
Au-delà des mesures judiciaires et de sécurité, il importe :
- d’agir en amont afin de s’attaquer au terreau économique, social et culturel du terrorisme,
- de réviser le contenu « religieux » de certains prêches dans les mosquées, des discours obscurantistes qui circulent dans les médias, voire les établissements d’enseignement,
- d’assurer la protection des forces de l’ordre et des soldats, conformément à la loi internationale et des décisions de la rencontre onusienne de 1991, et de leur procurer la logistique nécessaire pour l’accomplissement de leur mission.