Crise environnementale de la Tunisie. Politique erronée et traitement balbutiant des dossiers verts : N’est-il pas temps de faire la paix écologique ?

0
6750

Crise environnementale de la Tunisie. Politique erronée et traitement balbutiant des dossiers verts : N’est-il pas temps de faire la paix écologique ?

Menyara al-Majbri et Rehab Mabrouki

Malgré le souci du législateur à consacrer le principe de reconnaissance des droits environnementaux depuis l’Indépendance jusqu’à nos jours, en inscrivant le droit à un environnement sain dans la Constitution de la République tunisienne, dont l’article 45 stipule ce qui suit : « L’Etat garantit le droit à un environnement sain et équilibré et la participation à la sécurité du climat. L’Etat se doit de fournir les moyens nécessaires à l’élimination de la pollution environnementale.»[1], et en dépit de la signature des accords et chartes internationaux les plus importants relatifs à l’environnement, la situation environnementale dans la plupart des gouvernorats ne cesse de se dégrader.

Compte tenu de la triple menace environnementale que représente la perte de la biodiversité causée par le braconnage d’espèces animales sauvages et marines menacées de disparition et les vagues d’incendies forestiers commandités sans égard à leur valeur biologique, et le dérèglement climatique dû aux changements climatiques et leur impact sur les ressources naturelles dont la plus importante est l’eau, ainsi que l’escalade de la pollution causée par le déversement anarchique de déchets nocifs, la propagation des décharges incontrôlées et les établissements industriels polluants, cela a affecté deux composantes essentielles du bien-être humain, à savoir la santé et l’environnement.

Après près d’un demi-siècle depuis la Déclaration de Stockholm sur l’environnement, dans laquelle les États membres ont déclaré que toutes les personnes jouissent du droit fondamental à « un environnement dont la qualité lui permettra de vivre dans la dignité et le bien-être»[2], les atteintes à l’environnement continuent à se répandre dans de nombreuses régions tunisiennes, dont les traces sont perceptibles dans la prolifération des décharges anarchiques à l’échelle pratiquement de tous les gouvernorats, du sud au nord.

Avec cette large propagation de plusieurs formes de pollution, causée par de politiques aberrantes et des choix environnementaux qui ne tiennent pas compte des droits fondamentaux des citoyens, dont le plus important est leur droit à un environnement sain, il n’est plus possible aujourd’hui de passer sous silence la marginalisation continue des droits environnementaux par l’Etat tunisien et son échec à traiter certains  dossiers verts et à endiguer définitivement la colère populaire en prenant les mesures sérieuses qui s’imposent en vue de mettre un terme au danger de pollution et l’épuisement des ressources naturelles, ce qui a creusé le fossé entre l’État et le citoyen, qui s’est retrouvé face à un large éventail de défis et de dangers qui affectent son environnement et menacent, par conséquent, sa sécurité physique et son droit universel à la vie, surtout en l’absence d’une volonté politique relative au traitement des questions environnementales. Ça sera le point que nous aborderons dans cette section.

  1. La problématique des déchets en Tunisie
  2. Politiques de gestion des déchets en Tunisie

La bonne gouvernance de la question des déchets urbains et l’adoption de politiques optimales de leur gestion constituent aujourd’hui un défi généralisé auquel sont confrontées les sociétés modernes, car la méconnaissance des risques sanitaires liés à leur déversement anarchique, l’absence de systèmes de gestion et de déversement, le manque de ressources financières et humaines qui lui sont allouées, en plus d’un déficit de priorisation quant à la question environnementale, constituent à l’heure actuelle, le souci le plus courant lié à la crise des déchets.

En Tunisie, la politique de gestion des déchets n’a pas pris la bonne direction depuis des décennies. Le rôle de l’État s’étant souvent limité à tenter d’apaiser la colère sociale en adoptant des solutions palliatives pour faire face à la question des décharges anarchiques, il s’est limité à les déplacer d’un endroit à un autre sans trouver de solutions radicales pour ce type de pollution. Ces solutions éphémères sont adoptées à chaque fois que les plans de gestion des déchets échouent ou en cas d’absence d’alternative officielle permettant de faire face à ce problème, ce qui atteste de l’incapacité de l’Etat à maîtriser les crises les plus complexes.  Il convient de noter que l’adoption de ces choix environnementaux dépend de certains principes animant le rapport aux décharges anarchiques. En effet, ces décharges sont installées dans les zones proches des quartiers populaires ou de zones rurales habitées par les groupes les plus démunis de point de vue économique, social et politique. Ces groupes, victimes de tels mauvais choix environnementaux, sont souvent à court de moyens financiers ou politiques leur permettant de défendre leurs droits garantis par la constitution, ce qui les oblige à choisir la rue pour s’exprimer. Les protestations sont ainsi perçues comme le seul moyen de combattre ce crime environnemental commis à leur encontre surtout eu regard de l’absence totale de contrôle dans le domaine environnemental et des règlements laxistes de l’État et de son manque de rigueur face aux problèmes environnementaux. C’est ce que nous avons constaté lors de notre suivi de plusieurs crises de déchets dans les gouvernorats de Gafsa et de Kairouan.

 La décharge de Faj al-Rouissat à Kairouan :  

Le 29 décembre 2020, une décharge anarchique a été découverte près de la cimenterie de la région de Faj al-Rouissat (délégation de Chbika à Kairouan). Après avoir alerté les autorités compétentes (les services communaux et la Garde Nationale), une démarche a été conduite pour inspecter ces déchets déversés, qui contiennent à priori des déchets ménagers et médicaux d’origine inconnue. Les inspections ont révélé des pratiques dangereuses à l’encontre des habitants et de l’environnement consistant à déverser et à enfouir des déchets en violation de la loi, ce qui constitue une source de menace pour l’environnement et la santé humaine.

L’incident a été suivi par la section du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) à Kairouan. Dans ce cadre, une visite de terrain a été effectuée, au cours de laquelle ont été retrouvés des déchets médicaux et paramédicaux provenant de l’hôpital régional Ibn El-Jazzar de Kairouan, constitués principalement d’aiguilles, de seringues, de matériel d’oxygène, de dossiers médicaux et de radiographies se trouvant près de l’école primaire de Rouissat., et en conséquence, un expert a été chargé d’inspecter les déchets déversés estimés à 20 tonnes, après quoi des procès ont été intentés le 2 avril 2021 contre la municipalité de Chbika en la personne de son représentant légal. Le 15 avril 2021, des manifestations populaires ont éclaté dans la région en raison du non-respect par la municipalité de la décision rendue par le tribunal. Le 03 décembre 2021, la commune de Chbika a exécuté le jugement rendu par la chambre de première instance du tribunal administratif de Kairouan, en acceptant finalement d’évacuer les tonnes de déchets vers la décharge contrôlée[3], après environ un an.

 La décharge du « 02 mars » à Redeyef, Gafsa :  

Au cours du mois de novembre 2020, les habitants du quartier « 02 Mars » (la délégation de Redeyef) ont bloqué les routes devant les camions à déchets ménagers en direction de la décharge communale non contrôlée, qui se situe dans le dit quartier, en signe de protestation contre la dégradation de la situation environnementale après la propagation aléatoire des déchets ménagers et la hausse du nombre d’incendies criminels, en plus du déferlement de nuées de moustiques, des maladies infectieuses et de l’émission d’odeurs nauséabondes.

Une photo de l’incinération des déchets dans la décharge communale de Redeyef le 11 novembre 2020

 

La crise des déchets à Redeyef remonte à la date de fermeture par la population le 25 février 2021[4] de la décharge comme acte de protestation contre les conditions environnementales. Suite à cela, de nombreuses réunions de négociation entre les habitants et les représentants de l’autorité locale ont eu lieu, l’une d’entre elles s’est tenue au siège de la municipalité de Redeyef  le 09 novembre 2020, au cours de laquelle un ensemble de revendications ont été présentées par des représentants des zones touchées , dont la plus importante consistait à changer provisoirement l’emplacement actuel de la décharge en attente de la mise en place d’une décharge municipale répondant aux spécifications sanitaires et environnementales. Par la même occasion, les habitants ont invité le Conseil municipal à adopter une stratégie claire relative au traitement des déchets, et ce, afin d’éviter les coûts environnementaux et sanitaires élevés dont les répercussions seraient supportées par les habitants eux-mêmes.

Un accord portant sur plusieurs alternatives a été conclu, dont le plus important était relatif à la mise à disposition d’agents permanents pour le contrôle et la surveillance de la décharge, ainsi que sur la création d’une commission mixte entre la Société de transport des matériaux miniers, la CPG et les représentants des quartiers concernés dans le cadre de la mise en vigueur de la loi sur la responsabilité sociétale des entreprises et de la mise en place de mécanismes de suivi et de gestion des décharges anarchiques.4

La municipalité ne respectant pas les points convenus dans les procès-verbaux de la réunion, la crise s’est progressivement développée sur le plan régional, et il a fallu l’intervention du gouverneur pour pouvoir organiser en deux sessions (à cause du boycott des habitants) d’une deuxième réunion au siège du gouvernorat de Gafsa le 15 mars 2021 suite à l’intervention du FTDES en présence du secrétaire général de l’État, le délégué de Redeyef, d’une délégation municipale et du FTDES, d’un représentant de la police de l’environnement, du ministère de l’Equipement et de l’habitat, et un représentant du ministère des Domaines de l’État et des Affaires Foncières, et il a été convenu de poursuivre temporairement l’usage de la décharge actuelle parallèlement aux  travaux de son aménagement pour limiter la propagation des déchets à proximité des zones d’habitation jusqu’à l’achèvement des travaux dans la zone « carrière 17 » située à quelques kilomètres pour l’utiliser comme décharge alternative, en attendant le lancement du projet de construction d’un « centre de réacheminement des déchets »  dans les prochains mois sous la supervision du ministère de l’Equipement qui serait soumis à un contrôle continu conformément aux standards sanitaires prescrits.

Une fiche descriptive de la décharge contrôlée à construire à Redeyef

Plus d’un an s’est écoulé mais les promesses faites par la municipalité concernant le lancement de la construction du centre de réacheminement des déchets, n’ont point été tenues jusqu’à nos jours. Le rôle de l’autorité locale s’est limité à emprunter des chemins peu efficaces en déplaçant la décharge de son ancien emplacement vers le site « carrière 17 », qui est une zone appartenant à la Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG), située à quelques kilomètres seulement de l’ancienne décharge. Cette démarche démontre l’imperfection des stratégies adoptées pour traiter le problème des déchets et l’inutilité des demi-mesures entreprises en plus de l’apparente incapacité à proposer des alternatives et des solutions à même d’améliorer la situation environnementale, en rupture avec les solutions d’enfouissement et de déplacement des décharges. Cela montre également l’échec flagrant des collectivités locales à traiter le dossier des déchets en l’absence d’une stratégie nationale claire en la matière qui permettrait aux acteurs locaux de bien gérer cette question et renvoie directement à la défaillance du cadre institutionnel mis en place.

  1. Un cadre institutionnel balbutiant et incapable de contenir la crise des déchets

Le processus de gestion de la question des déchets en Tunisie fait l’objet d’un arsenal juridique qui traduit l’intérêt du gouvernement à consolider le droit à un environnement sain en tant que droit constitutionnel et humain. C’est dans ce contexte que furent créées des structures telles que l’Agence Nationale de Gestion des Déchets (ANGED), l’Agence Nationale de Protection de l’Environnement (ANPE) sous la tutelle du Ministère des affaires locales et de l’environnement, en plus des commissions municipales qui se sont chargées de la gestion et du contrôle des déchets.  En dépit des acquis en matière de reconnaissance de la valeur de ce droit, le traitement institutionnel des questions environnementales en général et du dossier des déchets en particulier est resté insuffisant, faute d’avoir pu développer des stratégies pratiques prenant en compte les droits de l’homme, en particulier le droit des citoyens à un environnement sain, en adoptant des choix environnementaux erronés, où les plans de valorisation et de recyclage des déchets sont totalement absents, sans parler de l’incapacité à mettre en place des activités visant à extraire des matériaux recyclables pour pouvoir les utiliser comme source d’énergie, ainsi que l’absence d’encouragement des entreprises industrielles à réduire la production de déchets nocifs, la fabrication et la distribution de produits qui ne causent pas de dommages importants sur l’environnement, ainsi que la faible application du contrôle sur les décharges municipales afin de mettre un terme à l’incinération anarchique des déchets responsables de la propagation de pas mal de maladies et infections.

On compte 13 décharges contrôlées en Tunisie, dont 04 ont été fermées à Monastir, Djerba, Agareb et Kerkennah du gouvernorat de Sfax en raison des protestations sociales, d’autant plus que les déchets médicaux sont déposés dans certaines décharges dédiées aux déchets ménagers, comme celle de Al-Gonna à Agareb, tandis que le reste des zones, non loin des quartiers résidentiels, connaissent un déversement anarchique des déchets, ce qui cause des dommages considérables affectant le sol et la nappe phréatique, étant donné que les déchets contiennent souvent des éléments dégradables, ce qui affecte la qualité de l’écosystème en général, dont les habitants se plaignent de la propagation d’odeurs fétides, de moustiques et de maladies infectieuses.

Une photo d’un entrepôt de stockage de déchets médicaux à Sfax, en attente de transfert vers la décharge d’Al-Gonna à Sfax destinée aux déchets ménagers.

Il convient de noter aussi l’absence de planification et l’incapacité des structures administratives face à la question de traitement des déchets, ainsi que l’imbrication des compétences et l’inefficacité des actions municipales, qui peinent à trouver des solutions urgentes en suivant la technique d’enfouissement ou de déplacement des décharges vers des endroits plus éloignés, faisant ainsi des déchets une crise environnementale et administrative. Cette situation soulève la question de savoir si la crise des déchets urbains est plutôt liée à l’échec des institutions étatiques à faire face aux crises à l’heure actuelle en raison de l’instabilité politique ou si elle a en filigrane des racines juridiques et administratives.

Il est donc grand temps de réagir. Le mode de gestion des autorités locales à Gafsa et à Kairouan de ce dossier nous incite à tirer la sonnette d’alarme sur la déficience des solutions apportées et l’absence d’alternatives étant donné que le rôle de l’Etat s’est limité à transférer la décharge du 02 mars à « la carrière 17 », qui n’est qu’à quelques kilomètres de l’ancien site. Se contenter du simple transfert des déchets d’un endroit à un autre est insuffisant et reflète une gestion administrative improvisée et confuse en plus de l’absence de programmes et de stratégies fiables.

Cette situation ne se limite pas au seul problème de gestion des déchets, mais touche les autres enjeux environnementaux, dont le plus important est la menace de la richesse sauvage, à travers la montée du phénomène du braconnage, ainsi que la propagation des incendies forestiers.

  II : Braconnage et propagation des incendies forestiers : une menace qui pèse sur la vie sauvage en Tunisie

  1. Le braconnage une menace pour les espèces animales

Le braconnage constitue une vraie menace pour de nombreuses espèces animales en voie de disparition en Tunisie. Bien que les périodes et les modalités de chasse soient fixées par la loi, nous remarquons que des braconniers chassent hors saison sans respect des législations en vigueur, ce qui a détruit la quasi-totalité des espèces animales sauvages.

Cela constitue une violation flagrante des principales conventions internationales, dont les plus importantes sont la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore menacées d’extinction dite “CITES”[5], la Convention africaine pour la conservation de la nature et de ses ressources[6] adoptée en Algérie en 1975, et la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe[7] conclue en Suisse le 19 septembre 1979 ,en plus de la législation nationale, notamment les articles du Code forestier relatif à l’organisation du secteur de la chasse[8] et la préservation de la vie sauvage dont le plus important est l’article166, qui stipule que « Nul ne peut se livrer à la chasse sauvage que pendant la période de son ouverture légale et sur tout le territoire de la République. »

Alors que cette menace environnementale sur l’une des ressources les plus importantes du pays s’accroît, et que les violations se multiplient d’année en année, que ce soit par des Tunisiens ou des étrangers, les autorités tunisiennes sont incapables de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à ce crime commis contre la nature ,notamment en accordant des permis de chasse aux émirs du Golfe qui pratiquent annuellement le braconnage au vu et au su des structures légalement mandatées pour protéger et préserver cette richesse des attaques.

Ø Richesse faunistique en voie d’extinction : le cas du parc national de Jebel Orbata

Malgré les efforts concertés de la plupart des pays pour préserver la biodiversité dans le monde, le braconnage se poursuit dans le parc national de Jebel Orbata[9] à Gafsa considéré comme un foyer pour les gazelles dorcas et les autruches d’Afrique du Nord, deux espèces menacées, non seulement en Tunisie, mais aussi dans toute la région désertique et côtière du continent africain.[10]  Il existe également des espèces animales telles que le cerf de montagne et l’autruche d’Afrique du Nord, qui sont des animaux inscrits dans la première annexe de la convention CITES parmi les espèces menacées, ce qui fait du braconnage une menace pour leur sauvegarde. Le parc contient également des caméléons et des serpents du désert, qui ne sont pas des espèces menacées à l’heure actuelle, mais il est probable qu’ils le deviendront à moins que leur chasse devienne conforme aux dispositions de la loi. Le parc abrite également des espèces rares inscrites sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature et figure également dans les annexes de la convention internationale CITES.  Les plus importantes d’entre elles sont le chêne du Maroc (Annexe 02), la gazelle dorcas (Annexe 3) et l’autruche d’Afrique du Nord (Annexe 1), en plus de plusieurs espèces d’oiseaux, notamment les rapaces enregistrés en Annexe (1)[11]. Cela signifie que leur chasse représente une menace pour l’avenir de la faune et pourrait entraîner un déséquilibre de la biodiversité. Bien que le danger de ces pratiques sur les générations présentes et futures ait été dénoncé par les défenseurs de l’environnement, les autorités officielles n’ont pas réagi pour faire face à cette menace imminente, notamment le ministère de l’Agriculture, des Eaux et de la Pêche et les administrations forestières régionales qui en assument la responsabilité. Le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) avait auparavant alerté les autorités compétentes sur la gravité de ces pratiques, appelant à la nécessité d’actualiser les lois relatives à la faune sauvage pour qu’elles soient plus dissuasives contre les contrevenants, un point que l’expert en droits de l’homme et droit de l’environnement et ancien directeur des études à l’Institut supérieur de la magistrature, Me Najiba Al-Zayer a soulevé dans un rapport publié par le Forum concernant le braconnage dans le désert de Tozeur et Gafsa[12] , soulignant la nécessité d’accélérer la publication du Code de l’environnement et de mettre à jour le Code forestier l et les textes d’application liés à la chasse aux animaux sauvages menacés en y intégrant les principes de base du droit de l’environnement, dont le principe de prévention, le principe de prudence et le principe d’information, et en mettant l’accent sur la nécessité d’harmoniser le code forestier avec le Code des collectivités locales, qui garantit l’approche participative et le principe de la transparence, ainsi que sa compatibilité avec les principes généraux de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption et l’impunité, qui sanctionnent ceux qui portent atteinte aux ressources animales sauvages.

Une vue générale de la réserve de Orbata

 Les riches du Golfe violent la souveraineté nationale  

 La Braconnage n’est pas pratiqué en cachette ou à l’abri du contrôle des autorités, mais la plupart du temps, ça se passe avec l’aval des structures officielles, avec à leur tête le ministère de l’agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche, surtout quand il s’agit des riches du Golfe qui s’adonnent annuellement à des opérations de braconnage de la faune, qu’il s’agisse d’oiseaux, de cerfs ou d’autres espèces animales, profitant du climat d’impunité et de la faible volonté de protéger la vie sauvage .

 Malgré la condamnation massive des organisations de la société civile et des défenseurs de l’avenir de la faune appelant à mettre un terme à cette situation, les violations se poursuivent, avec la bénédiction des autorités concernées. En janvier 2021, des permis ont été accordés aux qataris leur permettant d’entrer dans les territoires tunisiens sous le couvert de tournage de documentaires, qui n’étaient rien d’autre qu’une simple opération de camouflage de l’activité de chasse envisagée[13].  Dans ce contexte, le Forum tunisien a appelé dans un communiqué[14], à la nécessité de faire face par tous les moyens légaux à ces violations, considérant que cette pratique porte atteinte à la souveraineté de l’Etat et contredit tous les principes de protection des animaux en voie de disparition. En conséquence, on réitère l’appel au gouvernement à honorer ses engagements internationaux, à protéger et à préserve toutes les espèces animales, d’autant plus que le braconnage se fait sans aucun contrôle de la part de l’Etat.

2.     Les forêts en feu : comment les incendies dévastateurs se sont-ils propagés en Tunisie

Le 23 juillet 2021, le parc de Jbal al-Zaghdoud, (délégation de Oueslatia à Kairouan), a été incendié par des inconnus. Le nombre d’incendies est estimé à 72 dévorant plus que 800 hectares sur un total de 1792 hectares.

A Kasserine et à Bizerte, des incendies se sont déclenchés pendant le mois d’août, s’étendant sur environ 1 100 hectares d’arbres et causés par l’explosion de 22 mines sans faire de victimes. Les incendies ont également dévoré des ruches d’abeilles, des tortues, de nombreux insectes, des pins d’Alep, des couronnes, des genévriers et des celluloses, ce qui fragiliserait la biodiversité, car ce type d’incendie a des effets dévastateurs que ce soit dans les zones rurales ou urbaines, en raison de sa propagation rapide et à grande échelle.

Photos de l’incendie du Jebel Serj à Oueslatiya

 Incendies forestiers :   catastrophe naturelle ou acte commandité ?

D’après Les premières estimations, ces incendies sont causés par la hausse de la température que la Tunisie n’a pas connue depuis des décennies et provoqués par les changements climatiques dans le monde entier. Bien que ces incendies semblent être dus à des facteurs naturels, certains d’entre eux semblent plutôt être commandités, d’autant plus qu’ils se sont propagés dans une courte période entre juillet et août, et ont touché plus d’un gouvernorat en même temps, ce qui ravive les soupçons et amène à se poser la question si ces incendies sont commandités ou plutôt naturels ?

Les incendies forestiers se produisent naturellement pendant la saison estivale dans de nombreuses régions du monde, et en Tunisie, il y aurait à ce propos une unanimité sur le fait qu’ils seraient commandités. Si l’on ajoute à cela la déforestation, on se rend compte que les espaces vertes encourent une vraie menace. Il est à noter qu’une enquête a été ouverte à Kairouan concernant les incendies du djebel Zaghdoud, dans lesquels 09 personnes ont été impliquées[15]. Cela appelle à plus de vigilance en matière de surveillance forestière pour faire face à de telles pratiques, qui sont souvent accompagnées et perpétrées par plusieurs facteurs, dont le plus important est le manque de contrôle, qui entraîne la perte d’importantes ressources forestières.  Certains ont également estimé que les incendies de forêt d’Ain Drahem et de Fernana ont été commis par des contrebandiers d’armes et à des groupes terroristes installés dans le nord-ouest à la frontière avec l’Algérie, qui, en mettant le feu à la forêt, visent à faciliter leurs activités illicites. Dans le même contexte, le rôle des facteurs naturels ne peut être négligé, notamment après la propagation d’incendies similaires pendant la saison estivale dans de nombreux pays du monde, dont le Liban, la Grèce, les Etats Unis d’Amérique et la Russie. Les températures élevées, le vent et les branches sèches sont naturellement des éléments favorisant une propagation plus large de ces incendies. L’exacerbation du nombre, de l’intensité et de la probabilité de reproduction de ces catastrophes naturelles sont prévisibles au vu du phénomène du changement climatique et de l’incapacité des gouvernements à s’y adapter.

 Effet des incendies sur la biodiversité

Les forêts protègent la biodiversité, elles fournissent l’oxygène et garantissent l’équilibre écologique grâce aux arbres dont l’abattage ou le brûlage constituent l’une des principales sources d’émissions de gaz à effet de serre. De plus, la perte de biodiversité menace inévitablement l’écosystème de la planète toute entière. La biodiversité mondiale se dégrade à une vitesse sans précédent. La disparition d’insectes, par exemple, est susceptible d’affaiblir la chaîne alimentaire, car elles représentent une source de nourriture pour certaines espèces tels que les oiseaux, les chauves-souris et les reptiles qui mourront de faim à cause de cette situation. En outre, les insectes assurent la pollinisation, et le recyclage des nutriments dont la disparition conduirait, à long terme, à la dégradation des écosystèmes terrestres[16].

III. Pollution marine et menace pour l’équilibre écologique

Les mers et les océans couvrent plus de 70 % de la surface de la Terre, et les écosystèmes marins sont importants pour la vie humaine en raison de leur valeur vitale et économique grâce à leurs ressources nutritives qui ont également une importance opérationnelle car elles contiennent des réserves minérales comme le sel et le pétrole.

Or, cette richesse est soumise à la destruction quotidienne, que ce soit au niveau des plages ou dans les eaux profondes, de sorte que la mer n’est plus capable de fournir des services écologiques aux humains et aux êtres vivants. C’est pourquoi, en 1972, une convention [17]a été conclue pour prévenir la pollution marine résultant de déchets et d’autres matériaux, et l’objectif principal consistait à interdire cette pratique. En 1972, la Convention a été élargie pour inclure « toutes les eaux maritimes autres que les eaux internes » des États signataires, et elle interdit l’immersion de certaines matières dangereuses. Elle exige également la délivrance d’un permis spécifique pour l’immersion d’un certain nombre de déchets énumérés et la délivrance d’un permis général préalable pour déchets et les autres produits.

Cependant, l’immersion des déchets se poursuit jusqu’à nos jours à cause de la croissance démographique et l’ampleur des activités humaines partout dans le monde. En Tunisie, cette pratique est remarquable dans toute la bande côtière et a des répercussions négatives sur les créatures marines et les êtres humains à cause, d’un côté, du désistement de l’État, et, d’un autre côté, la fausse croyance citoyenne bien ancrée stipulant que la mer s’auto-nettoie d’où la sous-estimation de l’impact de l’immersion des déchets qui a des conséquences désastreuses sur le plan sanitaire, économique et social.

  1. Structures étatiques et établissements industriels : une malédiction pour l’écosystème maritime

La bande côtière tunisienne s’étend sur 1.300 km et souffre de plusieurs types de polluants. Au cours de l’été 2021, la baignade était interdite dans 17 plages réparties sur 6 gouvernorats, selon les déclarations du ministère de la Santé, qui anime un réseau national de surveillance des plages comprenant 537 points de contrôle permanents répartis sur toute la bande côtière. Selon les résultats des analyses de 13 laboratoires de contrôle bactériologique[18]. L’Office National de l’Assainissement (ONAS), créé en 1974, chargé de la gestion du service d’assainissement et la lutte contre toutes les sources de pollution maritime est tenu comme premier responsable de cette situation désastreuse due au déversement d’eaux usées non traitées dans la mer.

En raison de l’irresponsabilité de l’ONAS et de l’inexécution de ses missions sous prétexte qu’il ne dispose pas des moyens humains, logistiques et matériels pour traiter l’eau comme il se doit, la vie marine s’est détériorée engendrant une catastrophe environnementale, notamment en rapport avec la détérioration de la qualité de l’eau, dont la couleur est devenue un peu louche et l’odeur nauséabonde et s’est transformée en un foyer de bactéries provoquant la propagation de maladies, notamment les maladies dermatologiques et le choléra, en plus de l’extinction de nombreux animaux marins, sans oublier les répercussions fâcheuses sur le tourisme et l’économie dans les zones côtières, à cause de la pollution de la plupart des plages qui a engendré la perte des petits métiers libéraux.

S’ajoutent à cela les polluants provenant d’établissements industriels qui déversent leurs eaux usées sans traitement ou sans tenir en compte les standards nationaux et internationaux. C’est ce que nous avons constaté dans plusieurs zones côtières en Tunisie : à Nabeul, Sousse, Monastir, Sfax et Gabès.

  1. Soulèvement de la banlieue sud de Tunis

 « En hiver, et en période pluviale, on boit l’eau d’Oued Melyen qui était potable, chose qui n’est plus possible depuis la création de l’ONAS[19] », c’est ainsi que s’est exprimé un jeune pécheur issu d’une famille nécessiteuse dont la subsistance dépend de la pêche à la plage de Radès. Cependant, depuis des années, ce jeune commence à avoir des problèmes socio-économiques dus à la détérioration de la situation environnementale et l’extinction de plusieurs espèces de poissons, ne laissant que le loup de mer, dont la résilience face à la pollution s’explique par « sa capacité à s’adapter même dans les milieux les plus sales »[20] sauf que la consommation de cette espèce a un impact négatif sur la santé humaine du fait qu’elle vit dans une zone polluée.

Une photo de l’Oued Melyen en septembre 2021

Ce pêcheur, les habitants et la société civile ont tous pointé du doigt l’ONAS d’être responsable de cette situation, en raison de sa politique de déversement direct des eaux usées dans l’Oued Melyen dont les eaux se déversent dans le golfe de Tunis. La couleur des eaux de mer s’est noircie, et on sentait une odeur écœurante, ce qui a alimenté le soulèvement des populations victimes depuis la mise en place de l’ONAS, si bien que les plages de Radès, Zahra, Hammam Lif et Borj Cedria sont passées d’un paradis attractif pour les citoyens et notables, surtout les beys, pour passer leurs vacances, en un désert sans vie.[21]

Ce soulèvement s’est déclenché après de nombreuses revendications pour stopper le déversement des eaux usées sans traitement dans l’oued de Melyen et exigeant des structures étatiques de jouer leur rôle et d’appliquer les lois sur les entreprises industrielles qui déversent leurs eaux usées, à leur tour, dans l’oued faute de station d’assainissement.  Les habitants ont également exigé de mettre un terme au déversement anarchique sans une véritable réaction positive des autorités compétentes.

Pendant ces dernières années, la société civile a commencé à bouger et à brandir plusieurs slogans, dont « fermez l’ONAS, la mer de la banlieue sud abattue, demain on la récupérera », si bien qu’en 2019 elle a réalisé une première analyse bactériologiques de la mer de al-Zahra à l’Institut Pasteur, et une autre en juillet 2020 dans un laboratoire au Centre International de Technologie de l’Environnement « CITET ». Ces analyses ont confirmé la pollution de la mer al-Zahra. Les résultats de la seconde analyse ont été concluants puisqu’ils ont révélé une concentration de 350 germes fécaux pour chaque 100 millilitres d’eau sur la plage à 150 mètres d’Oued Melyen, ce qui équivaut à 3 fois le maximum autorisé selon les normes tunisiennes. En conséquence, des mouvements de terrain ont été lancés, à commencer par la formation de la plus grande chaîne humaine de l’histoire de la Tunisie en septembre 2021, qui s’étendait sur toute la bande côtière de la banlieue sud, dénonçant la politique de l’ONAS et la mauvaise gestion de ce dossier par les autorités compétentes.

Plus de 3 500 citoyennes et citoyens ont participé à ce mouvement, qui ont réussi à mettre en lumière ces violations, devenant ainsi une affaire publique. Médiatisée, cette protestation a obligé l’ONAS à se déplacer sur les lieux et a pris une initiative visant à absorber la colère populaire en présentant une étude intitulée “Etude de l’impact environnemental et social de l’étude d’un projet d’implantation d’une banque marine dans le golfe de la Tunisie » présentée par un bureau d’études dans le cadre d’un appel à consultation publique.

Une image de la chaîne humaine en banlieue sud le 12 septembre 2021

Le combat environnemental marin mené par la société civile de la banlieue sud se poursuit alors que des militants ont formé une coalition d’associations participatives pour sauver la mer des griffes de l’ONAS et entreprises industrielles et pour inviter le gouvernement à prendre des mesures urgentes permettant de sauver la vie dans la bande côtière de la banlieue sud.

  1. Le groupe chimique et les établissements industriels ruinent le golfe de Gabès

Gabès est l’un des plus beaux gouvernorats qui engorge désert, oasis et mer. Il s’agit d’une destination pour de nombreux touristes en raison de ses paysages attrayants menacés par les établissements industriels de la région, surtout sur la bande côtière, dont le plus important est le Groupe chimique qui a été créé en 1972 à Chatt El Salam à environ seulement 4 km du centre-ville.

Le Groupe est employeur principal pour la population locale mais également un destructeur massif de la vie humaine à Gabès. L’État couvre cet établissement criminel sous prétexte de sa forte valeur ajoutée en termes  d’employabilité, malgré le fait qu’il ne respecte pas les lois, les conventions ou les protocoles environnementaux tunisiens qui stipulent la nécessité de lutter contre la pollution et protéger les eaux méditerranéennes de toutes ses formes. Le Groupe chimique déverse des quantités importantes de phosphogypse, s’élevant à environ 15 000 tonnes par an, et c’est un produit chimique toxique résultant de la conversion du phosphate naturel pour produire de l’acide phosphoreux. Le phosphogypse contient des métaux lourds et de nombreuses matières radioactives, notamment du strontium, du cadmium, du plomb, du nickel, de l’uranium et autres. Il est classé selon la législation tunisienne dans la catégorie des déchets dangereux[22]. Cette substance cause plusieurs dommages, notamment la mort d’organismes marins, de végétaux et animaux, la désertification de la mer et la réduction de la biodiversité dans le golfe de Gabès, à l’exception des types de poissons capables de s’adapter à la pollution, ce qui a entraîné la détérioration de la situation économique des petits pêcheurs. Aussi, à cause du phosphogypse, la couleur de la mer s’est noircie, dans laquelle il est impossible de se baigner, ce qui a nui aux activités touristiques de la ville, en plus de la propagation de nombreuses maladies, notamment le cancer, dues à la pollution industrielle causée par cette substance dangereuse.

Le problème de la pollution à Gabès reflète la politique de l’Etat tunisien qui pousse les jeunes chômeurs à faire le choix entre l’emploi, l’environnement et la santé, insinuant l’impossibilité de trouver une stratégie consensuelle. C’est dans cette optique que le collectif de jeunes STOP Pollution a été créé pour défendre le droit de Gabès à un environnement sain, et a mené, depuis sa création, un marathon de luttes pour réduire la pollution causée par le Groupe chimique et a organisé des déplacements de terrain aux niveaux régional, national et international afin d’attirer l’attention sur la souffrance de la population et son droit confisqué sous prétexte de promotion de l’investissement.

  1. Le plastique ruine la biodiversité marine

La protection de l’environnement relève de la responsabilité de l’État, de la société et des établissements industriels précédemment expliqué. Dans cette partie, nous aborderons un autre fléau, qui est les matières plastiques laissées par les baigneurs et les pêcheurs qui utilisent des filets en plastique qui sont à l’origine de l’extinction de nombreuses créatures marines par suffocation à cause des filets de pêcheurs ou en avalant des morceaux de plastique ou de déchets. Le plastique entrave également le mouvement des créatures marines : le rapport de l’Organisation régionale pour la protection du milieu marin Environnement pour l’année 2021, estime que le nombre d’oiseaux marins qui meurent annuellement à cause des déchets plastiques au niveau mondial est d’un million d’oiseaux, tandis que le nombre d’organismes fongiques qui meurent à cause de cela est estimé à cent mille ” [23]

Selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement, au moins 11 millions de tonnes de plastique sont rejetées dans les mers chaque minute, ce qui équivaut à un camion poubelle déversé chaque minute, et on recense 51 000 milliards de particules de microplastique dans nos mers à l’échelle mondiale[24] Le plastique a des répercussions sur la santé humaine, et des effets négatifs sur l’économie des pays. Selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement, les déchets marins et la pollution plastique ont un impact significatif sur l’économie mondiale. En 2018, on estime que les coûts de la pollution plastique marine mondiale pour le tourisme, la pêche et l’aquaculture, en plus d’autres coûts (tels que le nettoyage), pourraient être d’au moins 6 à 19 milliards de dollars.[25]

En 2017, elle a lancé la campagne « mers propres » dans 63 pays visant à réduire l’utilisation de plastiques inutiles, évitables (y compris les plastiques à usage unique) et à éliminer progressivement les microplastiques fins ajoutés. Cependant, la Tunisie ne s’y est pas jointe, comme si la pollution plastique des plages est d’une importance secondaire.

Le système maritime est également exposé à des violations liées aux choix politiques de l’État tunisien face à la rareté des eaux et à la sécheresse, l’État s’étant tourné vers le dessalement coûteux de l’eau de mer comme solution de mobilisation des ressources hydriques et de résoudre la crise de l’eau.

A noter qu’il existe actuellement deux stations en cours d’exploitation à Zarat et Sfax, et quatre stations en cours d’achèvement à Sousse, Zarzis, Menzel Tmim et Ksour El-Saf[26]. Le danger de ces stations réside dans le sel qui est déversé dans la mer causant par conséquent l’augmentation de la salinité de l’eau et réduit le taux d’oxygène, ce qui affecte les organismes marins.

  1. Le citoyen entre l’enclume de la soif et le marteau de la pollution de l’eau

Dans des articles et études élaborés par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux, nous avions précédemment abordé les problèmes institutionnels, structurels et politiques liés au secteur de l’eau dus à la mauvaise gestion de cette ressource, à la mauvaise gouvernance et à l’échec des politiques en la matière. En Tunisie, il existe de nombreux problèmes relatifs à ce secteur dont la gestion inégalitaire de l’État, des investisseurs, la mauvaise gestion, la corruption, la bureaucratie et le manque d’investissement dans le capital humain et les infrastructures, de sorte que le citoyen reste, par excellence, la première victime de cette situation.

La crise sanitaire de la Covid 19, qu’a connue le monde, a été une conjoncture qui a permis de dévoiler la vérité sur ces politiques, car cette épidémie, qui nécessite un protocole sanitaire particulier, une stérilisation permanente des mains et une hygiène stricte, a révélé l’inégalité en matière d’accès au droit à l’eau dans les différentes régions du pays. Il n’y a même pas d’eau dans un certain nombre d’établissements d’enseignement et de centres de santé de base, notamment dans les régions de l’intérieur de pays. Selon le communiqué du ministre de l’Éducation, Fathi Sellaouti, 1 415 écoles primaires ne sont pas raccordées au réseau de la SONEDE, et la plupart d’entre elles sont adhérentes aux associations de l’eau, qui, à leur tour, souffrent de plusieurs problèmes, dont le plus important est l’endettement à la société tunisienne d’électricité et de gaz (STEG). Malgré cette crise sanitaire, l’État n’a pas tiré les leçons et poursuit, malgré tout, les mêmes politiques défectueuses, et n’a même pas cherché une solution radicale pour enrayer la crise de la soif et mettre en œuvre  une politique juste traitant les citoyens à pied d’égalité en assurant les droits fondamentaux dont le plus important est celui de l’accès à l’eau.

Le secteur de l’eau est étroitement lié à tous les autres secteurs et représente le sixième objectif des ODD, qui vise à mettre fin à la pauvreté, à protéger la planète et à faire en sorte que tous jouissent de la paix et de la prospérité d’ici 2030. Cependant, l’investissement en Tunisie continue à épuiser les ressources hydriques : l’agriculture consomme à elle seule 70% de ces ressources, tout comme le secteur de l’industrie, qui consomme d’importantes quantités d’eau non recyclées rejetées dans la mer. L’absence d’eau, sa pénurie, et sa pollution sont parmi les défis majeurs auxquels la Tunisie est confrontée, notamment sous l’impact du stress hydrique, dont les signes sont explicites pendant les années de sécheresse que connaît actuellement le pays.

  1. Échec des politiques traduit par la dégradation des services fournis par la Société Nationale d’Exploitation et de Distribution de l’Eau (SONEDE) et la mauvaise qualité de l’eau

La crise de l’eau ne cesse de s’aggraver en Tunisie, pour plusieurs raisons dont la plus importante est l’échec des politiques et des choix entrepris par l’Etat pour gérer ce secteur, qui s’est traduit par plusieurs mouvements de contestation enregistrés principalement à Kairouan et à Kasserine selon les chiffres communiqués en 2021 par l’Observatoire Social Tunisien,199 et 168 mouvements dus à l’absence totale d’eau, à son interruption fréquente, ou à la dégradation de sa qualité. La part d’eau par habitant en Tunisie représente 450 m3 par an, contre une moyenne mondiale estimée à 1 000 m3 si la situation demeure inchangeable.

La dégradation des services de la SONEDE en quantité et en qualité  

Outre les zones qui souffrent du stress hydrique, cet élément vital est totalement absent dans plusieurs zones : environ 300 000 tunisiens vivent totalement sans eau, s’ajoute à cela l’absence de raccordement à la SONEDE et aux associations de l’eau. Certaines communautés locales se trouvent dans l’obligation de recourir à des sources, des ruisseaux et des puits ou en achetant de l’eau à des fournisseurs inconnus. D’autres souffrent de fréquentes coupures d’eau fournie par la SONEDE ou les associations de l’eau. Cela est dû à l’endettement et à la mauvaise gestion des associations de l’eau, la vétusté des équipements de raccordement, les retards de réparation des pannes causant ainsi un gaspillage d’eau pendant plusieurs jours, sachant que le nombre moyen des pannes varie entre 60 et 70 pannes par jour, portant le nombre total à 221371 pannes, réparties entre 19 852 des conduites d’eau cassées et 2015519 fuites, selon le journal Al-Sabah News[27].

Une photo illustrant la panne d’une conduite d’eau à la Ramadaniya à (Ragada)

Durant l’été 2021, et pendant 4 mois, les habitants d’Achrarda (Kairouan), ont souffert de la soif à cause du bouchage quasi-total des canaux par les sédiments sur une distance de 20 mètres, ce qui a entraîné une colère populaire contre la SONEDE[28], notamment suite à la publication de plusieurs photos documentant l’état catastrophique des canaux dû à la forte concentration du « calcaire ». Cela nous incite à se poser la question dans quelle mesure l’eau fournie par la SONEDE est potable dans les zones côtières en raison de sa salinité élevée et de sa pollution par des produits chimiques résultant des infiltrations dans la nappe phréatique résultant des activités industrielles concentrées le long de la bande côtière ? Dans ce contexte, les habitants continuent de s’acquitter des factures relatives à ce service public et sont, malgré cela, contraints d’acheter de l’eau minérale pour boire ou cuisiner.

Les habitants de Hajeb El-Ayoun s’acquittent des factures d’eau prohibitives en contrepartie des mauvais services rendus par l’entreprise, en plus de la pollution de l’eau depuis 2020 constatée dans le collège de Hajeb El Ayoun. Selon des militants de la société civile, l’eau du collège a jauni et contient des sédiments et des cheveux. Les parties concernées ont été avisées mais les analyses ont montré que les eaux ne sont pas polluées bien que ce soit démontrée à l’œil nu. Cela a compromis la situation économique des ménages[29].

Correspondance à l’unité locale de la SONEDE pour l’informer de la pollution de l’eau à Hajeb El-Ayoun Un mouvement de protestation qui s’intensifie : des citoyens déposent leurs factures d’eau devant la section de l’entreprise (photos de Fares Chrayet)

Les habitants de Hajeb El-Ayoun, devant l’unité de travaux de la SONEDE, ont déposé les factures d’eau en guise de protestation contre les prix prohibitifs. Il convient de noter qu’il existe une unité des travaux sous la tutelle de la SONEDE à la ville de Hajeb El-Ayoun, se trouvant à plus de 70 km de la ville de Kairouan, qui, à son tour, est administrativement et financièrement sous la tutelle de l’administration régionale de Sousse. Bien qu’il y ait eu deux décisions ministérielles pour créer une administration régionale à Kairouan en 2015 et 2017, cette administration n’a pas encore été mise en place, ce qui montre la subordination administrative et financières des régions de l’intérieur malgré la prétendue décentralisation administrative.

 Le commerce de l’eau explose parallèlement à la détérioration de la primauté du droit à l’eau

La détérioration de la qualité de l’eau et son indisponibilité dans plusieurs régions ont contribué à l’essor du marché de l’eau en bouteille, portant le nombre d’unités de 06 en 1989 à 29 unités en 2020. Le niveau de la consommation tunisienne d’eau en bouteille a également connu une augmentation atteignant 225 litres de consommation par habitant en 2020 alors qu’elle était estimée à 40 litres par an. Les ventes d’eau en bouteille sont également passées de 879 millions de litres en 2010 à 2 700 millions de litres en 2020, faisant de la Tunisie le quatrième pays au monde en termes de consommation d’eau en bouteille.

Source : l’Office National du Thermalisme et de l’Hydrothérapie

La plupart des unités de conditionnement sont localisées dans les régions intérieures marginalisées et appauvries qui souffrent de la soif, comme c’est le cas pour les gouvernorats de Zaghouan, Kairouan et Sidi Bouzid dont le taux d’absence ou de coupures d’eau est le plus élevé. A titre d’exemple, bien que la ville de Haffouz dispose de deux sociétés des eaux minérales, elle a connu le plus grand nombre de protestations liées à l’eau au niveau du gouvernorat de Kairouan avec 21 protestations en 2021 d’après le département de la justice environnementale de Kairouan. De plus, une partie de cette eau est destinée à l’exportation. Malgré le fait que les ressources naturelles appartiennent au peuple tunisien, les investisseurs privés se sont accaparés des nappes phréatiques de haute qualité, profitant de la faiblesse ou l’absence totale de contrôle par les autorités compétentes. L’absence d’eau dans certaines régions, ainsi que le prix de vente élevé de l’eau minérale, a engendré la propagation de la vente des eaux d’origine inconnue. En raison de la détérioration de leur pouvoir d’achat, les classes moyennes ainsi que les pauvres se sont trouvés obligés d’acheter cette eau qui ne fait l’objet d’aucune campagne de surveillance de sa composition ou de sa potabilité.

  1. Les changements climatiques aggravent l’ampleur de la crise des eaux

Comme nous l’avons souligné précédemment, le secteur des eaux en Tunisie fait face à de multiples défis auxquels s’ajoutent les changements climatiques aggravant davantage les problèmes vécus par ce secteur. En effet, depuis cinq ans, le pays affronte une vague de sècheresse due à la hausse des moyennes annuelles de température évaluée à 2.1° durant les trente dernières années[30] causant ainsi l’amplification du phénomène d’évaporation d’eau contre une baisse du niveau des eaux de surface et celui des eaux profondes, une dépréciation de la qualité des eaux, la hausse du taux de salinité et également la baisse du taux de remplissage des barrages et des lacs collinaires. Il existe en effet 36 barrages en Tunisie dont le taux de remplissage n’a pas dépassé le niveau de 48% jusqu’à la fin du mois de janvier 2022[31] et ce, en raison de la faiblesse des précipitations annuelles associée au phénomène d’envasement des barrages causé par les dépôts de boues, un problème récurrent auquel l’Etat n’apporte  malheureusement pas les solutions appropriées et attendues.

Etat du barrage de Houareb (octobre 2021)

 

Etat du barrage Nebhana (octobre 2021)

Les changements climatiques affectent sensiblement les ressources hydriques en contribuant à la détérioration de l’ensemble des services en rapport avec l’eau en plus de son impact direct sur le secteur agricole et la sécurité alimentaire du fait du rétrécissement des terres destinées à la culture des céréales et les différentes plantations. Le rendement des arbres fruitiers et particulièrement les oliviers régresse considérablement et les revenus des agriculteurs accusent une forte baisse.

C’est en raison des changements climatiques que l’on s’est trouvés contraints de fermer les trois barrages (Houareb, Nebhana et Sidi Saâd) au gouvernorat de Kairouan au cours de l’année 2021, ce qui a engendré le déclenchement de protestations parmi les agriculteurs suite à la pénurie des eaux d’irrigation ayant affecté lourdement leur unique source de revenus. Beaucoup d’entre eux, surtout les moins lotis dans plusieurs régions ont choisi de vendre leurs terres et sont partis soit vers d’autres villes ou carrément émigrer à l’étranger à la quête  de meilleures conditions leur garantissant une vie décente. Le tarissement de plusieurs sources d’eau potable sous l’effet du réchauffement climatique a également contribué à l’aggravation des soucis ressentis par les citoyens surtout dans les campagnes.

L’absence d’une stratégie claire pour s’adapter aux changements climatiques et faire face à la pauvreté en eau que nous vivons aujourd’hui associée à une sorte d’indifférence manifestée non seulement par les investisseurs mais aussi par l’Etat lui-même qui peine à rompre avec les politiques incitatives à l’épuisement des ressources en plus d’une mauvaise gouvernance notoire en matière de résilience face aux phénomènes de réchauffement climatique et ses retombées dévastatrices…Tout cela conduit inéluctablement à l’aggravation de la crise des eaux et la compromission de l’avenir des générations futures et leur droit fondamental à une vie décente. Si rien ne se fait dans l’avenir proche, nous irions tout droit vers des situations assez conflictuelles voire des guerres pour l’eau qui constitue l’un des facteurs déterminants dans la sécurité alimentaire et le bien-être des gens.

Les agressions contre l’environnement et la défiguration de ses composants dans les différentes régions de la république se poursuivent et se trouvent accompagnées d’une négligence manifeste éprouvée par les autorités vis-à-vis du droit à un environnement sain. Face à un rendement des institutions censées gérer la crise et protéger les richesses du pays qui laisse beaucoup à désirer, des mouvements écologiques hostiles aux politiques adoptées par les décideurs ont vu le jour comme une réaction aux dysfonctionnements quant à la gestion des problèmes environnementaux, à l’instar du mouvement « je ne suis pas un dépotoir » à Sfax, la « coordination jeunes de Rouissat » à Kairouan et le mouvement « stop pollution » à Gabès. En dépit de leur marginalité relative et la répression dont ils furent l’objet à plusieurs reprises, ces mouvements ont réussi à exercer une certaine pression contre les pouvoirs en place profitant de l’appui apporté par des associations et des organisations de la société civile tel que le forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), un état de fait qu’on va développer dans le dernier volet de ce rapport.

[1]  https://www.constituteproject.org/constitution/Tunisia_2014.pdf?lang=ar

[2] https://legal.un.org/avl/pdf/ha/dunche/dunche_a.pdf

[3] https://www.facebook.com/watch/?extid=NS-UNK-UNK-UNK-AN_GK0T-GK1C&v=1053988135423929

[4] https://bit.ly/3I00LTJ

[5]  https://cites.org/sites/default/files/eng/disc/CITES-Convention-EN.pdf

[6] https://emirate.wiki/wiki/African_Convention_on_the_Conservation_of_Nature_and_Natural_Resources

[7] https://ar.wikipedia.org/wiki

[8] https://ftdes.net/ar/la-peche-illegale-dans-la-reserve-de-orbata-un-massacre-pour-la-faune/

[9] https://ar.wikipedia.org/wiki/%D8%AC%D8%A8%D9%84_%D8%B9%D8%B1%D8%A8%D8%A7%D8%B7%D8%A9

[10]  https://ftdes.net/ar/la-peche-illegale-dans-la-reserve-de-orbata-un-massacre-pour-la-faune/

[11]  https://ftdes.net/ar/la-peche-illegale-dans-la-reserve-de-orbata-un-massacre-pour-la-faune/

[12] https://ftdes.net/ar/tozeur-et-gafsa-chasse-anarchique-et-abusive/

[13] https://ftdes.net/ar/tozeur-et-gafsa-chasse-anarchique-et-abusive/

[14] https://www.madania.tn

[15] https://www.facebook.com/DirectionGeneraleDesForetsAladartAlamtLlghabat/posts/4018321051628783

[16] https://ec.europa.eu/environment/pdf/nature/biodiversity/Biodiversity_advocacy_toolkit_web_AR_v1.0.pdf

[17] https://ar.wikipedia.org/wiki/

[18] https://www.alchourouk.com/article/

[19] https://www.youtube.com/watch?v=d90_LNJ2Vp8&t=42s

[20] .htpppppppppppppp

[21] https://ftdes.net/ar/pour-que-la-mer-de-la-banlieue-sud-reprenne-son-souffle/

[22]  https://drive.google.com/file/d/1ZcDX5pZvvTprF3TzmCtEbaF6sb57xMMo/view

[23] Atteintes aux plages et impact sur la sécurité environnementale côtière (Organisation régionale pour la protection de l’environnement maritime) page 20

[24]https://www.cleanseas.org/ar?_ga=2.171207712.1046927668.1642411636-1764603433.1642411636

[25]https://www.unep.org/ar/alakhbar-walqss/alnshrat-alshfyt/tqryr-sadr-n-alamm-almthdt-hwl-altlwth-alblastyky-yhdhr-mn-tbny

[26] https://www.sonede.com.tn/ar/

[27]https://www.assabahnews.tn/ar/

[28] https://www.leblednews.com/?p=39421

[29] https://www.facebook.com/watch/?v=2806770636313937

[30] https://fb.watch/aKXaO2DSKH

[31]http://www.agridata.tn/dataset/barrages/resource/8d70196c-a95e-4a04-9c61-8144b4b60a18?view_id=9f10bdc1-b446-4b60-a29c-9559b8afb8cb