Les Accords d’association et l’investissement

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    Jamel Aouididi : Les Accords d’association et l’investissement

    Les accords d’association ont toujours soutenu l’idée que le libre échange sera bénéfique pour tous les pays. L’idée centrale développée, aussi bien par ces accords d’association que par les programmes d’ajustement structurels (PAS) imposées par le FMI depuis les années 1980, est que le commerce libre entrainerait une forte croissance grâce aux investissements étrangers. Ces IDE pouvant drainer des transferts technologiques, et une dynamique de développement local entrainant la création de valeur ajoutée et d’emplois importants.

    « L’expérience d’un petit nombre de nouveaux pays industriels (NPI) d’Asie de l’Est qui ont enregistré une croissance rapide en plus de celle de la Chine, ont contribué à accréditer l’idée que l’IDE jouait un rôle essentiel pour pallier le manque de ressources des pays à faible revenu et éviter une augmentation de la dette tout en s’attaquant directement aux causes de la pauvreté. Depuis la crise asiatique (1997-1998), si l’on fait davantage attention à ne pas s’engager dans une libéralisation financière prématurée, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer une accélération de l’ouverture à l’IDE, qui est censée non seulement stabiliser les entrées de capitaux, mais aussi accroître le savoir-faire technologique, les emplois mieux rémunérés, les compétences entrepreneuriales et professionnelles ainsi que les débouchés à l’exportation. » (Prasad et divers collaborateurs, 2003).

    Le rapport de la CNUCED publié en 2005 et intitulé « Le Développement Economique en Afrique : Repenser le rôle des Investissements Directs Etrangers » a démontré qu’au niveau des pays africains ces mécanismes n’ont pas abouti aux objectifs visés. Bien au contraire, ce rapport a mis l’accent sur l’échec total des PAS prônés par le FMI et que les IDE ont entrainé une déstructuration des économies africaines.

    Les conséquences citées dans ce rapport sont pratiquement toutes similaires à celles vécues par l’expérience tunisienne dans le cadre de l’application du PAS du FMI de 1986 et des suites de l’accord d’association signé en 1995 avec l’UE. Nous pouvons en citer les principales :

    • Le libre échange a entrainé des importations massives au détriment des produits locaux.
    • La disparition du tissu industriel local qui n’a pas pu résister au déferlement des importations massives.
    • L’augmentation du chômage et notamment celui des diplômés.
    • Le déficit commercial structurel et exponentiel.
    • Le développement de l’économie parallèle et des fuites fiscales massives, et de la corruption.
    • Les fuites de capitaux à travers la surfacturation des importations et la sous facturation des exportations. (Etude du PERI : Capital flight from North Africa et Capital flight from Africa)
    • La domination des multinationales occidentales pour sélectionner les IDE dans les secteurs miniers et d’hydrocarbures lucratifs.
    • L’absence totale de transfert technologique.
    • Une forte augmentation de la pauvreté, la disparition de la classe moyenne et l’apparition des phénomènes de l’émigration clandestine en plus des délits sociaux (banditismes, prostitution..)

    ACCORD D’ASSOCIATION TUNISIE –UE DE 1995 ET SES CONSEQUENCES SUR L’INVESTISSEMENT

    Au moment de la signature de l’accord d’association de 1995, le gouvernement tunisien n’avait réalisé d’étude préliminaire sur les risques et les avantages de cet accord. Néanmoins la Banque mondiale a réalisé une étude publiée en 2004 avertissant le pouvoir que la Tunisie risque de perdre 48% de son tissu industriel local et que de ce fait le chômage risque de s’accroitre pouvant entrainer des conséquences sociales graves.

    Pour parler de l’investissement, il convient de rappeler que la Tunisie a opté depuis le début des années 1970 pour deux régimes fiscaux et douaniers distincts :

    • Le premier dénommé Régime Général se rapporte aux sociétés travaillant sous le régime onshore. Ces sociétés sont tenues de respecter la réglementation de change de la BCT notamment au niveau des importations et des exportations. Les sociétés opérant sous ce régime sont donc tenues de rapatrier les recettes des exportations et d’en céder les montants à la BCT, de payer les impôts en vigueur (TVA, IS, TFP, FOROLOS, TCL, Retenues à la source) et de subir des contrôles fiscaux et sociaux.

    • Le deuxième est le Régime offshore relatif aux sociétés non résidentes (66% du capital versé en devises et détenu par des non-résidents) et totalement exportateur. Ces sociétés ne sont pas soumises à la Réglementation de Change de la BCT. Donc elles ne sont pas tenues de passer par des intermédiaires financiers (banque) ni à l’importation ni à l’exportation. Par conséquent elles ne sont pas tenues ni de rapatrier ni de céder les recettes des exportations. Elles sont tenues d’effectuer une simple déclaration non contraignante en douane des valeurs des marchandises à l’importation et à l’exportation. Ces sociétés sont totalement exonérées du paiement des impôts. Sauf pour celles nouvellement installées qui sont soumises au paiement de 10% au titre de l’IS. En plus ces sociétés reçoivent des primes payées sur le budget de l’Etat tunisien et estimées par la Banque mondiale dans son rapport sur la Tunisie publié en 2014 à un milliard de dollars américains.

    Ce même rapport indique que ces sociétés opèrent essentiellement et ce depuis la promulgation de loi de 1972, dans trois secteurs principaux utilisant une main d’œuvre non qualifiée et à bas salaires, ne comportant aucun transfert technologique et ne comportant donc aucune valeur ajoutée. Il s’agit des secteurs : du textile et l’habillement, du cuir et des chaussures et des câbles électriques et électroniques destinés notamment à l’industrie automobile.

    Enfin toujours d’après ce rapport de la Banque mondiale, cette structure n’a pas changé depuis les années 1970 jusqu’à 2014. En plus du fait que ces sociétés ont accentués les disparités régionales du fait qu’elles se sont installées dans les régions côtières (infrastructure meilleure).

    On constate donc que l’accord d’association signé en 1995 n’a pas entrainé un développement des IDE. De même la structure de ces IDE n’a pas connu de changements importants et substantiels. Plus grave, cet accord a entrainé, d’après une étude réalisée par l’Institut National des Statistiques en collaboration avec la Banque mondiale publiée en avril 2013 la disparition de 55% du tissu industriel local dont plus de 10 milles entreprises industrielles qui emploient de 10 à plus de 200 personnes ont disparu entre 1996 et 2010 entrainant la perte de 400 milles emplois stables et rémunérateurs.

    Une étude similaire publiée en juin 2017 par l’APII et couvrant la période 2005 – 2015 a démontré que la Tunisie a perdu 4319 entreprises industrielles locales (employant de 10 à plus de 200 personnes) entrainant la perte de 250 milles emplois stables. Cette étude a démontré également la fragilité des entreprises locales dont la pérennité est devenue quasi nulle et dont la durée de vie n’excède pas trois années en moyenne.

    La Tunisie, comme tous les pays africains dans ce cas, a connu une réelle désindustrialisation qui entrainé l’augmentation dangereuse du chômage et notamment celui de jeunes diplômés.

     La conclusion de l’étude effectuée par l’INS et la Banque mondiale est très alarmante à ce sujet :

     « La dualité entre les entreprises onshore et offshore crée un terrain de jeu inégal, ce qui limite la croissance des entreprises nationales. Le succès du secteur offshore démontre néanmoins les avantages de la réglementation légère. Des Incitations appropriées visant à encourager les exportations également pour les entreprises onshore pourrait à la fois réduire la dualité et accélérer la croissance. »

    En conclusion, les résultats de l’étude soulignent la nécessité d’une action urgente. Les simulations présentées dans le rapport montrent que, si la tendance actuelle à l’emploi à petite échelle se poursuit sans relâche, d’ici 2025, 92% de toutes les entreprises seront unipersonnelles. Il est impératif d’agir à fin d’éviter à la Tunisie une autre décennie de stagnation structurelle.