Publication de la position de la France sur l’ALECA Lettre de la secrétaire d’Etat chargée des affaires européennes

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Publication de la position de la France sur l’ALECA

Lettre de la secrétaire d’Etat chargée des affaires européennes

Nous rendons publique l’expression de la position française sur des points essentiels de l’Accord de Libre Echange Complet et Approfondi (ALECA) en cours de négociation entre l’Europe et la Tunisie.

Le sénateur français Jean-Pierre Sueur a envoyé le 28 mai 2019 une lettre à la secrétaire d’Etat chargée des affaires européennes, pour exprimer des préoccupations concernant l’impact de l’ALECA sur la Tunisie, et s’assurer que les intérêts des deux parties soient bien préservés. La Secrétaire d’Etat lui a répondu le 25 juin 2019 dans le courrier ci-dessous. Dans l’intérêt de la publicisation de l’information, nous rendons donc ce courrier public.

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La publication de cette lettre est aussi l’occasion d’en tirer des enseignements et d’en faire une  critique synthétique :

Il nous faut d’abord rappeler que les conditions d’asymétrie sont à l’heure actuelle loin d’être suffisantes pour permettre à cet accord d’être équilibré et de permettre de réels bénéfices pour les agriculteurs et entreprises de services tunisiens. A ce titre la négociation sous forme de listes négatives (tout est libéralisé sauf ce qui est explicitement nommé) est particulièrement problématique. Si libéralisation il doit y avoir, elle devrait se faire sous forme de liste positive (seuls les produis ou services nommés sont libéralisés).

La secrétaire d’Etat prétend que les règles de propriété intellectuelle serviront à lutter contre des cas de violation actuelle en Tunisie. Ces cas sont d’abord marginaux, puisque 5 seulement sont évoqués. Surtout, intellectuelle, l’ALECA permet aux monopoles des entreprises pharmaceutiques d’être prolongés, voire renouvelés, et de retarder la mise sur le marché de génériques, en permettant aux grands laboratoires de garder leurs données secrètes. Elle ne renforce pas le respect des règles déjà existantes et ne changerait donc pas la violation actuelle des brevets. Par contre, les mesures de propriété intellectuelle comprises dans l’ALECA pourraient aggraver la contrefaçon et le commerce illégal de médicaments, à cause de l’augmentation des prix.

Sur la question des normes, il est intéressant de noter que la secrétaire d’Etat indique que « l’Union européenne offre une certaine latitude aux autorités tunisiennes concernant le choix des domaines pour lesquels le rapprochement réglementaire est jugé prioritaire ». Certains discours officiels de l’UE ont pu affirmer que l’Etat tunisien pourra choisir sur quels secteurs et la manière dont il rejoint “l’acquis pertinent de l’UE”. Ici, ainsi que dans le récent entretien de l’ambassadeur de l’UE en Tunisie, on comprend bien que ce sont les priorités de rapprochement qui pourront être choisies. Mais à terme, c’est bien l’ensemble de cet acquis (donc des normes) qui devra s’appliquer en Tunisie. Selon le texte, elle devra “révoquer toute norme nationale contradictoire aux normes européennes”[1]. Par ailleurs, la Commission Européenne impose également sa vision sur la concurrence et les aides d’Etat. L’attribution de ces dernières par l’Etat tunisien seront même directement surveillées par la Commission (avec l’autorité indépendante de la concurrence imposée par l’ALECA) pendant 5 ans.  Les critiques sur la perte de souveraineté de la Tunisie sur ses normes et son modèle économique ne sont donc pas contestées, mais bien confirmées dans cette lettre.

La Commission  Européenne a bien réformé sa proposition d’arbitrage entre investisseur et Etat suite aux nombreuses contestations ces dernières années. Cependant, comme montré par des associations européennes, cette réforme ne change pas le pouvoir des investisseurs ou le fond des critiques, ni l’attaque de mesures d’intérêt général. La décision de la Cour de Justice de l’Union européenne ne change pas cet état de fait. Bien qu’elle ait permis au système de continuer à exister, elle a confirmé que les préoccupations de la société civile européenne étaient légitimes. Sur ce sujet, voir aussi notre communiqué sur la question.

Enfin, il faut noter que selon nos informations, la semaine de consultations avec la société civile qui devait se tenir en février 2019 n’a pas eu lieu. Autrement, nous n’y aurions pas été conviés et les conclusions de ces consultations n’auraient pas été rendues publiques.

 

 

 

 

[1] ALECA, proposition européenne, chapitre Obstacles Techniques au Commerce, article 6.8