Le tempo de la protestation s’accélère à nouveau …entre les revendications syndicales et celles relatives aux droits civiques
Le nombre de protestations a doublé au cours du mois d’avril 2025, exprimant une colère et un mécontentement populaires généralisés. Ce mois a enregistré une augmentation du niveau des revendications liées aux droits économiques et sociaux, ainsi que des revendications liées aux droits de l’homme et au droit à la liberté d’expression et à un procès équitable. Comme prévu par l’Observatoire social tunisien du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, le rythme des protestations au cours du mois d’avril a augmenté pour atteindre 422 actions de protestation, par rapport à seulement 217 actions au cours du mois précédent de mars 2025.
Le mois d’avril a été dominé par des revendications liées aux droits professionnels et du travail, dont 45% étaient liées au règlement du statut professionnel, au droit au travail, au droit de payer les salaires en retard, à la violation des droits des travailleurs, à l’amélioration des conditions de travail, au licenciement arbitraire, à la mise en œuvre des accords en suspens et à la délimitation des dossiers professionnels « traditionnels » en suspens, tels que le dossier des ouvriers des chantiers de plus de 45 ans, les dossiers des enseignants et des enseignants suppléants, et le dossier des employés des associations qui travaillent avec les personnes handicapées.
Parallèlement à ce qui se passe dans le domaine social, la rue tunisienne a connu un retour en force du mouvement civil, politique et des droits de l’homme, qui a représenté 28,44% du nombre total de mouvements observés au cours du mois d’avril 2025. Ce mouvement était principalement lié à des revendications relatives aux développements de l’affaire dite du « complot », où des mouvements ont été organisés pour dénoncer la procédure judiciaire, considérée comme n’ayant pas satisfait aux conditions d’un procès équitable et public, les familles des détenus et les journalistes ayant été empêchés d’assister au procès, de le couvrir et de le suivre. Outre l’arrestation de l’avocat et ancien juge Ahmed Souab, les personnes arrêtées dans l’affaire dite de conspirationont entamé une grève de la faim pour rejeter le procès à distance. Abir Moussi, présidente du parti Destourian libre, a protesté contre le fait qu’on lui refuse l’accès direct à ses enfants le jour de l’Aïd al-Fitr. Le mois d’avril a été marqué par un regain d’activisme et de manifestations réclamant la dépénalisation du travail civil et la libération des personnes arrêtées pour leur travail humanitaire, comme Saadia Mesbah, Cherifa Riahi, Mustafa Jamali, Abdallah Said, Mohamed Jouaou, Iyadh Boussalmi, Abdelrazak Krimi et Salwa Grissa… Au cours de ce même mois, les manifestations et les prises de position se sont poursuivies pour soutenir la cause palestinienne et rejeter l’assaut sur Gaza.
Le décès de trois élèves suite à la chute du mur du lycée à la délégation Mazouna a été le déclencheur d’un état de colère et de mécontentement dont l’impact s’est propagé sur les réseaux sociaux et parmi tous les Tunisiens et Tunisiennes, et a pris des formes régionales qui rappellent les années post-2011. La protestation dans la délé ation de Mazzouna s’est poursuivie pendant des jours et a pris plus d’une forme, de jour comme de nuit, et s’est étendue aux délégations voisines tels que Meknassi, Regab et Menzel Bouzayane. D’une manière générale, il s’agit d’une indication claire de l’absence de justice sociale entre les régions et d’une mise en évidence de la détérioration des établissements d’enseignement dans le secteur public et de l’absence de mesures de protection minimales pour les élèves et le personnel enseignant au sein de ces établissements.
Les protestations restent principalement mixtes en termes de perspective de genre des manifestants, puisque le mois a enregistré 20 actions organisées uniquement par des hommes, tandis que le reste des actions ont été organisées conjointement par les deux sexes.
Outre les appels à travers les médias et les pétitions, qui ont été un outil d’expression des revendications à environ 56 reprises, les acteurs de la protestation se sont tournés vers l’action sur le terrain dans le reste des manifestations de leurs revendications sociales, économiques, civiles et des droits de l’homme. Les veillées ont représenté la principale forme d’activisme au cours du mois d’avril, soit un tiers des mouvements suivis par l’équipe de l’Observatoire social tunisien, suivies par les grèves, où 54 grèves ont été menées tout au long du mois, puis par les sit-in, où 47 sit-in ont été tenus par des employés et des ouvriers et un sit-in par des pêcheurs. Selon l’échantillon, 27 marches pacifiques, 24 journées de colère et 15 grèves de la faim ont été organisées au cours du mois d’avril. Dans le cadre de leur pression pour obtenir leurs revendications, les acteurs sociaux ont eu recours à l’interdiction des cours, au blocage des routes, à la combustion de pneus en caoutchouc, à la perturbation des activités et au port du badge rouge. Une mobilisation artistique a été adoptée à une occasion. Il est important de noter qu’en avril, les diplômés chômeurs du gouvernorat de Gabès ont marché à pied jusqu’à la présidence de la République pour revendiquer leur droit à l’emploi.
Les ouvriers, les employés et les syndicats ont été les principaux acteurs des 157 actions enregistrées en avril 2025. Les travailleurs du secteur médical et paramédical ont constitué le deuxième bloc en termes de protestation. De jeunes médecins, largement soutenus par le personnel médical et paramédical, ont mené une série d’actions pour demander l’amélioration de leurs conditions économiques, le renforcement des institutions de santé publique et leur dotation en équipements nécessaires pour fournir des services médicaux garantissant le droit à la santé de tous les Tunisiens.
Les activistes et les défenseurs des droits de l’homme ont organisé 44 actions de protestation, les étudiants ont organisé 30 actions, les prisonniers ont manifesté à 12 reprises, ainsi que les journalistes, les avocats, les chômeurs, les pêcheurs, les agriculteurs, les chauffeurs de taxi, les chauffeurs de bus régionaux, les commerçants, les athlètes, les ouvriers des chantiers les enseignants et les professeurs.
Tout comme au cours des mois précédents, Tunis, la capitale, a connu le plus grand nombre de protestations, avec 84 actions, au cours desquelles les acteurs sociaux se sont rendus à la présidence de la République, soit pour dénoncer les politiques considérées comme un retour à la dictature, à la répression et à l’absence de justice, soit pour exiger son intervention afin d’obtenir la justice sociale et économique tant attendue pour les groupes vulnérables dont les conditions de vie ont été encore plus marginalisées par la détérioration des conditions de vie.
De manière inhabituelle, Tozeur a occupé la deuxième place dans le classement des régions les plus protestataires avec 40 actions, suivie de Sidi Bouzid avec 32, Kairouan avec 28, Manouba avec 26 et Gafsa avec 20. Mahdia a connu le plus petit nombre de mouvements sociaux avec 6 protestations, précédée par Zaghouan, Tataouine et l’Ariana, qui ont chacune connu 7 mouvements sociaux.
Environ 28 % des mouvements sociaux ont été dirigés vers la Présidence du gouvernement ou la Présidence de la République, tandis que le ministère de l’éducation a été concerné par 15,64 % des mouvements enregistrés au cours du mois d’avril, suivi par le ministère de la santé, qui a provoqué 13 % des protestations. Le ministère de l’agriculture était visé par 6 % des protestations, tandis que le manquement de l’employeur à ses obligations envers les travailleurs et les employés est à l’origine de 9 % des protestations. Les autorités régionales telles que les municipalités, les délégations régionales, les hôpitaux, les autorités judiciaires et les forces de sécurité étaient visés par le reste des protestations.
Sur la base de l’échantillon étudié, l’équipe de l’Observatoire social tunisien du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux a enregistré 11 cas de suicide et de tentatives de suicide au cours du mois d’avril 2025, dont environ la moitié chez des écoliers âgés de treize à seize ans. Un agent de sécurité s’est suicidé sur son lieu de travail avec sa propre arme, un jeune homme qui a escaladé le poteau électrique devant le tribunal de première instance de Manouba a tenté de se jeter et a menacé de se suicider, un autre dans un mouvement de protestation s’est versé du feu sur le corps au milieu de la foire internationale de Nabeul, et un homme de 50 ans s’est suicidé en se brûlant. La catégorie des suicides se répartit entre 4 femmes et 7 hommes.
En ce qui concerne la répartition géographique et spatiale des comportements suicidaires, la majorité des comportements suicidaires et des tentatives de suicide ont été enregistrés dans le gouvernorat de Kairouan qui a connu 5 cas et tentatives de suicide, 2 personnes se sont suicidées à Bizerte, et chacun des gouvernorats de Tunis, Gafsa, Manouba et Nabeul a connu un cas de suicide. Les établissements d’enseignement ont connu 4 cas et tentatives de suicide, tandis qu’un cas de suicide a été enregistré au domicile et un autre sur le lieu de travail, le reste ayant choisi l’espace public (ferme ou voie publique) comme cadre pour mettre fin à leur vie. Les méthodes utilisées pour les tentatives et les cas de suicide varient entre le fait de se jeter, de se pendre, de se brûler, d’absorber des substances toxiques ou des médicaments.
La répartition géographique de la catégorie des suicides indique la nécessité de mettre en évidence la question de la prise en charge de la santé mentale des enfants, en tenant compte des répercussions de la fragilité vécue par les jeunes, qui a conduit un certain nombre d’entre eux à mettre fin à leur vie, avec une attention particulière aux conditions de travail d’un certain nombre de professions (les services de sécurité), au sein desquelles le passage à l’acte suicidaire est devenu fréquent.
En ce qui concerne la violence, l’Observatoire social tunisien a continué à documenter des actes de meurtre, de violence relationnelle, des cas de violence conjugale, des meurtres de femmes, des agressions sexuelles, des vols, des cambriolages, des trafics, des détournements de mineurs, des enlèvements, souvent à titre de représailles ou à des fins d’agression, et d’intimidation, ce qui confirme que le phénomène de la violence ne peut être limité et qu’il est répandu et inégalement réparti dans les différents gouvernorats de la République, Tunis, la Manouba et Sousse enregistrant le plus grand nombre d’entre eux.
Les actes de violence et de marginalisation sont répandus aussi bien dans les grandes agglomérations urbaines que dans les zones rurales. L’espace public est le principal cadre des actes de violence observés au cours du mois d’avril, suivi de l’espace d’habitation, puis des installations de production industrielle, des sièges administratifs, des espaces récréatifs et touristiques, et des espaces de santé.
La majorité des auteurs de violence étaient des hommes, représentant 91 % des délinquants. Six pour cent des violences ont été perpétrées par des femmes, le reste étant mixte. En ce qui concerne les victimes de la violence, aucun des deux sexes n’est exclu des cas de violence enregistrés. 44,44 % des victimes de la violence étaient des hommes, 42,22 % des femmes et 13,33 % des hommes et des femmes.
Parmi les cas de violence à l’égard des femmes, nous trouvons un mari qui a brûlé sa femme dans le gouvernorat de Tozeur et s’est ensuite enfui en Algérie, et un crime similaire à Sejoumi, où un mari a tué sa femme à l’aide d’un instrument tranchant, et dans la région de Gobaa, dans le gouvernorat de Manouba, un mari a tué sa femme et poignardé sa fille. Dans le gouvernorat de Manouba, le corps d’une avocate a été retrouvé brûlé et jeté dans l’oued Majerda, et dans le gouvernorat de Gabès, une fille a été poignardée par son amie après une dispute entre elles, et les cours ont été suspendus suite à l’agression d’un enseignant dans une école de Manouba par un parent d’élève, et à Kasserine, un groupe de personnes a fait intrusion dans un lieu de mariage, créant un état de panique et d’effroi.
Le mois a également enregistré des cas de viols et de tentatives de détournement visant des enfants mineurs, hommes et femmes, et a été témoin de meurtres, de violences mutuelles, de braquages, de vols et de cas de violences policières visant des supporters d’équipes sportives et des citoyens, dont le plus marquant a été l’agression du chauffeur de bus à Nabeul.
Les discours de haine, de racisme, d’exclusion et de discrimination continuent à se multiplier sur les réseaux sociaux, et leur cercle s’élargit encore à mesure que des voix rejettent les voies judiciaires, économiques et sociales adoptées par les autorités, tandis que le discours officiel tend à diviser davantage les Tunisiens entre patriotes, antipatriotes, conspirateurs et loyalistes.