NON A LA CRIMINALISATION DE LA SOLIDARITE

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NON A LA CRIMINALISATION DE LA SOLIDARITE
LIBERTE POUR LES MILITANT.E.S DES DROITS DES MIGRANT.E.S ET DES RÉFUGIÉ.E.S
Depuis le 7 mai 2024, des militant.e.s associatif.ve.s en Tunisie sont arrêté.e.s et placé.e.s en détention provisoire. Leur tort ? Avoir mené des actions légales et transparentes d’aide aux migrants, souvent en collaboration avec l’État lui-même.
La Tunisie a toujours été un carrefour de rencontres et un refuge. Pourtant, aujourd’hui, ce pays de fraternité semble perdre ses repères face à la pression des crises multiples : géopolitiques, économiques, climatiques et sociales.
Nous, #Peuples_du_Sud, faisons face aux formes les plus perverses de domination. Nos régimes, souvent complices, participent à la spoliation de nos ressources, au bradage de nos biens communs, à l’appauvrissement de systèmes productifs et au maintien des dispositifs de domination, d’échange inégal et aux guerres qui ravagent nos terres.
Ces injustices historiques, combinées aux crises globales du capitalisme et du climat, accentuent les souffrances des populations. Les déportations, les déplacements forcés et l’immigration vers le Nord ne sont que les conséquences directes de ces systèmes destructeurs. Ces migrations, perçues comme une menace par les puissances du Nord, ne sont qu’un acte de survie et de liberté des peuples opprimés.
La souveraineté des peuples, indissociable de leur liberté, est aujourd’hui bafouée par ces systèmes oppressifs. Retrouver cette souveraineté signifie non seulement défendre nos droits à disposer de nos territoires, mais aussi protéger nos valeurs fondamentales de solidarité et d’hospitalité qui font notre humanité commune.
Face à cela, des citoyen.ne.s tunisien.ne.s courageux.ses ont choisi la solidarité, refusant l’indifférence. Mais aujourd’hui, leur engagement est réprimé. Ces arrestations ne visent pas seulement à punir des individus, mais aussi à briser toute dynamique solidaire envers les populations précaires en mouvement.
Nous appelons les peuples africains, méditerranéens et du monde entier à se mobiliser à l’occasion de cette journée symbolique pour exiger :
● La libération immédiate et inconditionnelle des militants emprisonnés ;
● La reconnaissance et la protection des droits des migrants ;
● La défense de la souveraineté des peuples, condition essentielle pour garantir leur liberté et leur dignité ;
● Une lutte commune contre les systèmes de domination et d’exploitation, qu’ils soient économiques, environnementaux ou politiques.
Ensemble, affirmons notre refus de l’injustice et notre attachement à la dignité humaine. Faisons entendre nos voix pour que la solidarité, valeur universelle, soit protégée et non réprimée.
Rejoignez la campagne et partagez les photos des militant.e.s détenu.e.s

Vers une Europe forteresse? Les dangers liés à l’externalisation et l’aspect informel du régime de contrôle des frontières européennes.

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Mycea Thebaudeau
 
Les dangers liés à l’externalisation du régime de contrôle des frontières européennes.

Face à l’intensification des enjeux humanitaires, politiques et juridiques liés aux dynamiques migratoires en Méditerranée, l’Union européenne a proposé en 2020 un nouveau Pacte sur la migration et l’asile. Ce plan européen s’inscrit dans une tendance croissante à l’externalisation du régime de contrôle des frontières européennes. Cette dynamique soulève des questions importantes en matière de solidarité entre les États, et de respect des droits fondamentaux des migrant.e.s et des réfugié.e.s. En quoi consiste la nouvelle politique migratoire européenne et le phénomène d’externalisation des frontières qui l’accompagne? Quels sont les dangers associés à cette externalisation? De plus quel est le rôle de la Tunisie dans ce schéma migratoire? Quelles sont les perspectives qui s’offrent en matière de gestion solidaire de la migration informelle?

La nouvelle politique migratoire européenne

En septembre 2020, la Commission européenne a présenté le nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile1. Approuvé par le Parlement européen en avril 2024 puis par le Conseil européen en mai de la même année, ce pacte est supposé entrer en application à partir de 20262. Cette initiative découle notamment de l’inefficacité des précédentes politiques, qui n’ont pas su faire face à la crise migratoire de 2015-2016. La situation ne s’est malheureusement pas améliorée depuis : on compte plus de 40 000 personnes décédées, ou disparues en mer, depuis 20143.

Pour faire face à l’aggravation des impératifs migratoires et humanitaires, ce pacte ambitionne de renforcer la lutte contre l’immigration illégale en accélérant la reconduction des personnes en situation irrégulière, et de mettre en oeuvre une nouvelle procédure de filtrage aux frontières de l’Union européenne. Cette procédure sera implantée au moyen de « centres de rétention » aux frontières extérieures de l’Union. La mise en place de ces centres, qui compteront « un minimum de 30 000 places au total pour l’ensemble de l’UE », pousse à se demander dans quelles conditions les migrant.e.s et réfugié.e.s seront détenu.e.s, et à quel point le respect de leurs droits fondamentaux peut être garanti4.

Le Pacte se propose également de renforcer la solidarité et la collaboration entre les États membres pour éviter la concentration des demandes dans certains d’entre eux5. C’est particulièrement ce qu’on reprochait au Règlement de Dublin, qui régissait l’accueil des migrant.e.s depuis 1990, et qui stipulait que les demandes d’asiles devaient être traitées par le gouvernement du pays d’entrée sur le territoire européen, ce qui a entraîné un impact démesuré sur les pays d’entrée principaux des routes migratoires vers l’Europe, dont l’Italie, la Grèce, l’Espagne ou encore Malte6.

Vers une Europe forteresse

Cette nouvelle politique migratoire s’inscrit dans une tendance marquée depuis les années 1980 par « une politisation et une sécurisation des questions migratoires et d’asile en Europe »7, qui se traduit par une volonté croissante d’externalisation des frontières européennes. Ce phénomène n’est pas nouveau, mais s’est considérablement intensifié depuis la crise migratoire de 20158.

L’externalisation, dans son sens premier issu des sciences économiques, signifie « pousser une activité en dehors de son établissement, pour la confier à un sous-traitant contre rémunération »9. Dans le cas de la politique migratoire européenne, dont elle est devenue « l’un des principaux piliers », l’externalisation s’entend comme « le transfert d’activités auprès d’un pays tiers ou d’un acteur non-étatique »10.

Cette stratégie s’appuie sur deux dimensions essentielles. D’abord, sur un plan plus préventif, la première prend la forme d’une aide au développement allouée à des pays tiers, plus précisément les pays de départ des vagues migratoires vers l’Europe, où sévissent des crises politiques, sociales ou économiques. Cette aide a pour but de « lutter contre les causes profondes forçant les personnes à émigrer »11, mais elle présente le risque d’être instrumentalisée, en utilisant pour « répondre aux objectifs sécuritaires des États membres » de l’Union européenne les fonds destinés à « traiter les causes profondes et structurelles de migration »12.

La seconde, plus réactive, se traduit par la signature d’accords de coopération et de traités avec les pays tiers, qu’ils soient les pays par lesquels transitent les migrants et les réfugiés, ou leurs pays d’origine13. Cette approche vise à « endiguer les flux avant leur entrée sur le territoire de l’Union »14. On peut par exemple citer les accords de réadmission, tel que celui signé avec la Turquie en 2016 ou avec la Tunisie en 202315 qui prétendent « faciliter le retour des personnes en séjour irrégulier dans leur pays d’origine ou de transit »16.

Des pratiques contestées, voire condamnables

Selon Théo Buratti, cette « délégation de la gestion des flux migratoires aux pays tiers » peut entraîner des conséquences dangereuses. D’abord, sur le plan du respect du droit international et de la préséance donnée à la démocratie. En effet, en voulant à tout prix partager le fardeau migratoire, l’Europe est portée à fermer les yeux sur les tendances autoritaires, ou carrément les violations des droits humains, dans les pays avec lesquels elle a établi des partenariats17. Un exemple douloureusement illustratif est celui de la Libye, qui n’ayant pas signé la Convention de Genève de 1951, ne garantit aucun droits aux migrant.e.s et aux réfugié.e.s, lesquels sont considérés comme criminels, et même vendus comme esclaves, selon de nombreuses organisations internationales, ce qui est une conséquence dramatique, bien qu’indirecte, de l’externalisation des frontières européennes18.

Un autre problème lié à cette politique est la modification du rapport de force entre l’Union européenne et les pays d’origine ou de transit des migrant.e.s et des réfugié.e.s. En effet, ces derniers sont de plus en plus « utilisés stratégiquement par les pays tiers comme moyen de chantage dans les processus de négociation avec l’UE »19, sans égard pour leurs droits, leur sécurité, voire même leur condition d’êtres humains. Ce type de pressions est particulièrement efficace dans le contexte de la sécuritisation de la question migratoire et de la montée de l’extrême-droite et de la xénophobie en Europe. La « sécuritisation » implique de présenter un enjeu ou encore un groupe comme une menace à la sécurité nationale ou publique, impactant du même coup l’opinion publique à son sujet. La perception de l’enjeu comme une menace immédiate et sérieuse est renforcée par un processus discursif, notamment dans les médias, jusqu’à « mettre en péril la survie physique et morale de l’entité sécuritisée »20.

Les partis d’extrême-droite exploitent la peur suscitée par cette sécuritisation de la question migratoire, allant jusqu’à la mettre en lien avec une montée de l’insécurité et du terrorisme21. Ce type de discours, et leur traction croissante au sein des institutions européennes, influencent de plus en plus les politiques sécuritaires et migratoires des gouvernements du continent.

Frontex, l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures, soulève d’autres questionnements. Agissant comme le « bras armé »22 de la politique migratoire européenne, Frontex assure le contrôle aux frontières extérieures de l’Union européenne, ainsi que des tâches liées à la sécurité maritime, aux contrôles de sécurité et aux activités de recherche et de sauvetage23 . Depuis sa fondation en 2004, cette agence connaît un renforcement continu. De plus, elle dispose désormais « d’une capacité d’intervention en cas de défaillance du “contrôle aux frontières extérieures”, même lorsqu’un État ne la sollicite pas »24. Frontex n’ayant « toujours pas nommé de poste de référent au respect des droits humains25», on doit s’interroger sur le risque de dérives relatives aux conditions des migrant.e.s et réfugié.e.s, et au respect de leurs droits fondamentaux lors des opérations.

Quel rôle pour la Tunisie?

Le partenariat conclu entre la Tunisie et l’Union européenne en 2023 peut se résumer à une externalisation de la surveillance des frontières européennes sur le territoire tunisien, en échange d’une coopération européenne avec le régime tunisien, et une reconnaissance de ce même régime26. Cet accord, largement sécuritaire, s’insère précisément dans la ligne préconisée par Georgia Meloni, porte-parole officieuse de l’extrême-droite européenne, qui tente, « moyennant des soutiens financiers », de donner à la Tunisie « le rôle de poste de surveillance avancé pour empêcher que des clandestins n’entrent en Europe par le sud de l’Italie »27, en misant sur la surveillance, le contrôle et le fichage des migrant.e.s28.

Sur le plan financier, la Tunisie se verra accorder une aide de 105 millions d’euros, spécifiquement destinée à la lutte contre l’immigration irrégulière, ainsi qu’une aide budgétaire dite « directe », de 150 millions d’euros, qui tombe très bien dans la mesure où la Tunisie est aux prises avec une grave crise budgétaire, et fait face à des pénuries massives touchant les produits de première nécessité29.

Ce type de pratique est tout à fait cohérent avec la dynamique plus large d’externalisation croissante du contrôle des frontières européennes, et avec l’approche adoptée par l’État tunisien en regard à la migration informelle. Mettant en avant le thème de la sécurité nationale, le gouvernement tunisien conçoit l’immigration informelle comme une menace à l’ordre public et à la sécurité nationale, une perception que vient renforcer une rhétorique populiste qui corrèle le phénomène migratoire avec une augmentation des risques de radicalisation et de criminalité30. Ce type de rhétorique vient appuyer les pratiques répressives de l’État tunisien envers les migrants et réfugiés irréguliers, éclipsant les réalités complexes des mouvements migratoires, et leurs causes structurelles. Faire face aux enjeux migratoires nécessiterait avant tout des politiques économiques et sociales, plutôt que de se rabattre sur une logique répressive et sécuritaire31, qui donne lieu à des « politiques racistes et discriminatoires », entraînant « une forme d’apartheid »32, encore renforcée par la militarisation des contrôles aux frontières terrestres et maritimes ou par l’incarcération des migrants et réfugiés dans des centres de rétention européens.

Les critiques de cet accord ne manquent pas. Un ancien bénévole de médecins du monde, considère qu’il est « absurde de mettre la Tunisie dans cette position intenable et indigne, et de la rémunérer pour adopter une position contraire aux droits humains »33. En effet, le traitement des migrant.e.s et réfugié.e.s par les autorités tunisiennes, malgré ce qu’en dit le président, est inhumain : « des centaines de migrants ont été arrêtés en Tunisie, puis « déportés », selon les ONG, vers des zones inhospitalières sur les frontières avec Algérie et Libye »34. Un autre cas où l’Europe préfère fermer les yeux sur des violations des droits humains en échange de la gestion externe de ses enjeux de migration et d’asile.

Quelles perspectives?

Selon Damien Carême, « s’obstiner à durcir des politiques inefficaces et cruelles est au mieux inutile, au pire contraire à nos valeurs, aux droits européen et international »35. S’attaquer aux causes profondes des migrations, au moyen de plans clairs et complets d’aide au développement par exemple, plutôt que de mettre en œuvre des solutions à court terme comme déléguer le fardeau à des États tiers, est la seule manière efficace de « mettre en place les réponses adaptées, concrètes et nécessaires, aussi bien pour l’Union européenne que pour la sécurité des migrants forcés »36.

Selon Soufiane Jaballah, il est « impératifs de s’appuyer sur des études scientifiques » pour découvrir les causes et les processus individuels qui sont à l’origine des phénomènes migratoires, pour par la suite « transformer ces connaissances en politiques concrètes », plutôt que de tomber dans les préjugés sur les migrants et les réfugiés, ou de suivre les intérêts des institutions et régimes politiques, qu’il s’agisse de l’Union européenne ou de la Tunisie37.

Il importe d’éviter de tomber dans le piège de la sécuritisation de la question migratoire, qui favorise surtout la montée de l’extrême-droite et la discrimination envers les migrants forcés, allant parfois jusqu’à mettre en péril leur sécurité, comme c’est le cas en Tunisie ou en Libye.

Les questions relatives aux enjeux de migration et d’asile en Europe n’appellent pas une réponse simple, mais une réponse concertée, responsable, et mise en œuvre dans le respect du droit international et des droits humains, tout en gardant comme valeur phare la solidarité avec les migrant.e.s et les réfugié.e.s.

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Notes et références

1. Vincent Lequeux, le 10 avril 2024. Asile et migrations : la politique européenne en 3 minutes. Toute l’Europe.

2. Barthélémy Gaillard, le 30 mai 2024. Qu’est-ce que le Pacte européen sur la migration et l’asile? Toute l’Europe.

3. Ibid.

4. Ibid.

5. Ibid.

6. Ibid.

7. Théo Burrati, 2020. EXTERNALISATION DES FRONTIÈRES DE L’UNION EUROPÉENNE : Enjeux et perspectives. Pour la solidarité : european think and do thank. p.4

8. Ibid., p.8

9. Ibid., p.5

10. Ibid., p.3

11. Ibid., p.5

12. Ibid., p.15

13. Ibid., p.7

14. Ibid., p.5

15. Ibid.

16. Vincent Lequeux, Asile et migrations : la politique européenne en 3 minutes.

17. Théo Burrati, EXTERNALISATION DES FRONTIÈRES DE L’UNION EUROPÉENNE. : Enjeux et perspectives. Pour la solidarité : european think and do thank. p.13

18. Ibid., p.11

19. Ibid., p.14

20. Soufiane Jaballah, 2023. EU-Tunisian Policy of Managing Migration Across the Mediterranean: Addressing Regular and Irregular Flows. Arab Reform Initiative. (toutes les traductions sont libres)

21. Soufiane Jaballah, 2024. De la rue à la mer : Les nouvelles politiques de l’informel en Tunisie. FTDES, p. 19

22. Théo Burrati, EXTERNALISATION DES FRONTIÈRES DE L’UNION EUROPÉENNE, p.16, p. 5

23. Gaillard, Qu’est-ce que le Pacte européen sur la migration et l’asile?

24 Ibid.

25 Ibid.

26. Ibid., p. 27

27. Ibid.

28. Frida Dahmani, 19 juillet 2023. « En faisant de la Tunisie un poste-frontière, l’UE crée un précédent ». Jeune Afrique.

29. Collaboration Jeune Afrique, 17 juillet 2023. Immigration : l’UE et la Tunisie trouvent un accord à 105 millions d’euros. Jeune Afrique.

30. Jaballah, 2024. De la rue à la mer, p. 12

31. Ibid., p. 12

32. Jaballah, 2023. EU-Tunisian Policy of Managing Migration Across the Mediterranean

33. Dahmani, Que veut vraiment faire l’Union européenne en Tunisie ?

34. Collaboration Jeune Afrique, Immigration : l’UE et la Tunisie trouvent un accord à 105 millions d’euros.

35. Tribune, le 5 avril 2024. [Pour / Contre] Le Pacte asile et migration : une solution pour l’Union européenne?. Toute l’Europe.

36. Burrati, EXTERNALISATION DES FRONTIÈRES DE L’UNION EUROPÉENNE, p.15

37. Jaballah, 2024. De la rue à la mer, p. 71

La Tunisie n’est pas un lieu sûr pour les personnes sauvées en mer

Déclaration commune : La Tunisie n’est pas un lieu sûr pour les personnes sauvées en mer Compte tenu des violations flagrantes des droits humains à l’encontre des migrant.es, des demandeur.euses d’asile et des réfugié.es en Tunisie, en particulier les personnes Noires ; de l’absence de système d’asile en Tunisie ; de la répression exercée par le gouvernement tunisien à l’encontre de la société civile, de l’indépendance de la justice et des médias ; et de l’impossibilité de déterminer, en mer, équitablement et individuellement les nationalités ou d’évaluer les besoins de protection des personnes migrant.es et des demandeur.euses d’asile, il est clair que la Tunisie n’est pas un lieu sûr pour le débarquement des personnes interceptées ou secourues en mer. La coopération actuelle entre l’Union européenne (UE), les États membres de l’UE et la Tunisie en matière de contrôle migratoire, qui repose notamment sur la possibilité de débarquer en Tunisie les personnes secourues ou interceptées en mer – à l’instar de la coopération antérieure avec la Libye – contribue aux violations des droits humains. Les politiques européennes visant à externaliser la gestion des frontières vers la Tunisie soutiennent des forces de sécurité qui commettent de graves violations. Elles entravent également le droit des personnes à quitter tout pays et à demander l’asile, confinant les réfugié.es et les migrant.es dans des pays où leurs droits humains sont menacés. En outre, le débarquement en Tunisie peut mettre en danger les personnes et les exposer à de graves préjudices, et expose les réfugié.es et les migrant.es à un risque élevé d’expulsion collective vers la Libye et l’Algérie, ce qui peut constituer une violation du principe de non-refoulement. La création, le 19 juin 2024, de la région tunisienne de recherche et de sauvetage (SRR), demandée et soutenue  par la Commission européenne, risque de devenir un nouvel outil de violation des droits des personnes plutôt qu’un moyen légitime d’assumer la responsabilité de protéger la sécurité en mer. À l’image de sa coopération avec la Libye, l’engagement de l’UE et de ses États membres auprès de la Tunisie pourrait avoir pour effet de normaliser les violations graves commises à l’encontre des personnes en quête de protection et de porter atteinte à l’intégrité du système international de recherche et de sauvetage en le détournant pour le mettre au service du contrôle des migrations. En tant qu’organisations humanitaires et de défense des droits humains, nous demandons à l’UE et à ses États membres de mettre fin à leur coopération en matière de contrôle des migrations avec les autorités tunisiennes responsables de graves violations des droits humains en mer et en Tunisie. Les ONG de recherche et de sauvetage et les navires commerciaux ne devraient pas recevoir l’ordre de débarquer qui que ce soit en Tunisie. Violations généralisées et répétées des droits humains Les conclusions des organisations tunisiennes et internationales, ainsi que des organes de l’ONU, au cours des deux dernières années, indiquent que la Tunisie ne peut être considérée comme un “lieu sûr”, tel que défini par la convention SAR de 1979, le Comité de sécurité maritime (MSC) et les organes de l’ONU, pour les personnes interceptées ou secourues en mer, et en particulier les personnes Noires. Bien qu’elle soit partie à la Convention des Nations Unies sur les réfugiés de 1951, la Tunisie ne dispose d’aucune loi ni d’aucun système d’asile national. Les personnes qui entrent, séjournent ou sortent du pays de manière irrégulière sont criminalisées par la loi. À la suite d’interceptions en mer ou d’arrestations arbitraires sur le territoire tunisien, les autorités tunisiennes ont à plusieurs reprises abandonné des réfugié.es, des demandeur.euses d’asile et des migrant.es dans le désert tunisien ou dans des régions éloignées, frontalières avec la Libye et l’Algérie. Ces pratiques, qui constituent des expulsions collectives illégales, témoignent d’un mépris total pour le droit à la vie des réfugié.es et des migrant.es et sont susceptibles de violer le principe de non-refoulement. Les personnes expulsées risquent de subir de graves violations de droits humains en Libye et d’être expulsées d’Algérie vers le Niger. Selon des rapports citant des informations des Nations unies, les forces de sécurité tunisiennes ont notamment rassemblé des personnes présumées être des personnes migrantes en situation irrégulière sur le sol tunisien et les ont directement transférées aux autorités libyennes. Ces dernières les ont ensuite soumises à la détention arbitraire, au travail forcé, à l’extorsion, à la torture et à d’autres mauvais traitements, ainsi qu’à des exécutions illégales. Selon les témoignages de réfugié.es, de migrant.es et de demandeur.euses d’asile recueillis par Amnesty International, l‘OMCT et Alarm Phone, les autorités tunisiennes en mer ont commis des abus et mis des vies en danger lors des interceptions d’embarcations – notamment par des manœuvres conduites à vive allure menaçant de faire chavirer les embarcations, des violences physiques, des tirs de gaz lacrymogène à bout portant et des collisions avec les embarcations – suivis d’une absence d’évaluation systématique et individualisée des besoins de protection au moment du débarquement. Les autorités tunisiennes ont également soumis des réfugié.es, des demandeur.euses d’asile et des migrant.es à la torture et à d’autres mauvais traitements dans le cadre de débarquements, de détentions ou d’expulsions collectives. Dans le même temps, plusieurs organisations internationales et locales, défenseur.euses des droits humains et avocat.es ont signalé une détérioration alarmante des libertés civiles et des droits fondamentaux en Tunisie, affectant à la fois la population migrante et les citoyen.nes tunisien.nes. Depuis 2021, le pays a été témoin d’un recul significatif des droits humains, caractérisé par un démantèlement des garanties institutionnelles censées garantir leur protection, une érosion de l’indépendance judiciaire et une répression de la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Le débarquement en Tunisie de ressortissant.es tunisien.es intercepté.es ou secouru.es en mer, parmi lesquels pourraient se trouver des personnes fuyant la persécution, la torture ou d’autres atteintes graves et ayant l’intention de demander l’asile à l’étranger, pourrait effectivement priver du droit de demander l’asile celles et ceux ayant besoin d’une protection internationale. La complicité de l’Union européenne dans les violations des droits humains Malgré les violations des droits humains documentées par les autorités tunisiennes, l’UE et ses États membres ont renforcé leur soutien à l’administration de Kais Saïed. Par le biais du protocole d’accord signé en juillet 2023, l’UE a promis à la Tunisie 1 milliard d’euros, dont 105 millions d’euros consacrés à la gestion des frontières et des migrations, en échange de la prévention des départs en mer vers l’Europe, ce qui inclut les personnes ayant besoin de protection. Avec la mise en place d’une région tunisienne de recherche et de sauvetage (SRR), le gouvernement tunisien a répondu à une priorité de longue date fixée par l’UE. Si cela représente une étape formelle vers la prise de responsabilité par la Tunisie de protéger la vie en mer, la réalité est que les centres maritimes de coordination de sauvetage européens (MRCC) renverront désormais les bateaux en détresse au sein de la SRR tunisienne vers le RCC tunisien, renforçant ainsi le désengagement progressif des acteurs de l’UE en faveur d’acteurs dont le bilan en matière de droits humains est peu reluisant. En soutenant le renforcement du rôle des gardes-côtes tunisiens (garde nationale) – en l’absence de tout critère de référence en matière de droits humains ou de système de surveillance en place, ainsi que de dispositions visant à garantir que les personnes secourues sont débarquées dans un lieu sûr, qui ne saurait être la Tunisie – l’UE contribue au risque de nouvelles violations graves des droits humains en mer et en Tunisie à l’encontre des réfugié.es et des migrant.es ainsi que des personnes risquant d’être persécutées dans le pays. L’espace humanitaire pour les ONG de recherche et de sauvetage (SAR) sera également réduit si les RCC européens demandent aux ONG SAR de se mettre en relation avec le MRCC tunisien nouvellement établi pour le débarquement des survivant.es, ce que ces dernières pourraient refuser pour respecter le principe de non-refoulement. L’agence des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, a noté que les navires en mer ne constituent pas des lieux appropriés pour déterminer les besoins en matière de protection. En vertu du droit maritime international, les États ont la responsabilité première de coordonner les sauvetages dans le cadre de leurs SRR et d’organiser le débarquement dans un lieu sûr, qui peut être un autre État. L’Europe doit cesser de soutenir les violations des droits humains Ces développements suivent le modèle observé en Libye depuis 2016. Outre un soutien matériel, technique et politique, l’UE et l’Italie ont soutenu la mise en place d’une SRR et d’un MRCC libyens, conduisant ainsi à un transfert de la responsabilité SAR aux garde-côtes libyens et à une augmentation des refoulements et des débarquements en Libye, tout en étant conscients que cela exposerait les réfugié.es et les migrant.es à un risque sérieux de violations atroces, voire mortelles en Libye. Le gouvernement italien et les institutions européennes ont non seulement poursuivi cette coopération, mais ont cherché à l’étendre à d’autres pays, y compris la Tunisie. Nous demandons donc instamment à l’UE et à ses États membres de :
  • Appeler les autorités tunisiennes à mettre fin aux violations des droits humain à l’encontre des réfugié.es, des demandeur.euses d’asile et des migrant.es, notamment en ce qui concerne les expulsions collectives illégales qui mettent en danger la vie des personnes concernées .
  • Appeler les autorités tunisiennes à mettre fin à la répression de la société civile .
  • Veiller à ce que les ONG de recherche et de sauvetage et les navires commerciaux n’aient pas pour instruction de débarquer les personnes auxquelles ils portent secours en mer en Tunisie, compte tenu des risques de violations des droits humains dans ce pays et du fait qu’il est impossible de procéder à une évaluation individuelle équitable de ces risques en mer. La Tunisie ne peut être considérée comme un lieu sûr pour les personnes secourues en mer en vertu du droit international applicable .
  • Mettre fin au soutien financier et technique apporté aux autorités tunisiennes responsables de graves violations des droits humains dans le cadre du contrôle des frontières et des migrations.