INTERVIEW
Pilier de la société civile tunisienne, Abderrahmane Hedhili, revient sur l’attentat de Sousse, qui a fait 28 morts et 36 blessés.
Secrétaire général de la Ligue des droits de l’homme tunisienne, Abderrahmane Hedhili est président du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), et a coordonné le comité d’organisation du Forum social mondial 2015, qui s’est tenu quelques jours après l’attentat au musée Bardo. Il revient pour Libération sur l’attentat qui a fait 28 morts à Sousse ce vendredi.
Comment réagir après ce nouvel attentat, le plus meurtrier jamais connu par la Tunisie?
C’est à nouveau un grave coup porté à notre pays, à notre tourisme, à notre image. Un nouveau choc, terrible, trois mois après le massacre au musée Bardo de Tunis, qui plonge la Tunisie dans le drame. On est dans une phase critique sécuritairement, économiquement, politiquement, socialement. Et voilà qu’un jeune étudiant, emporté par des idéaux salafistes, vient à nouveau plonger leur pays, notre pays, dans la tourmente. Plus que jamais, il faut dénoncer ce terrorisme aveugle et les pseudo-références idéologiques qui le justifient et lutter pacifiquement contre lui pour isoler et dénoncer ses propagandistes.
Craignez-vous que le drame de Sousse fragilise la démocratie tunisienne?
Non, au contraire. Ces opérations vont toucher la Tunisie mais les terroristes ne vont pas gagner. Vu notre histoire, nos combats, notre société civile, ils ne l’emporteront pas. Ces tentatives de déstabilisation ne marcheront pas. Cette nouvelle opération dramatique ne fragilisera pas notre démocratie; elle la fédérera encore davantage. Notre pays a désormais une culture, un enracinement et des institutions solides. Mais la démocratie, ce ne doit pas être que des mots à des jeunes des quartiers populaires. Ce doit être une réalité, avec des changements concrets, rapides. Elle ne peut laisser émerger des régimes autoritaires, policiers et militaires qui étoufferaient les libertés au nom de la lutte contre le terrorisme…
Que faut-il faire pour surmonter de tels événements?
On devrait ensemble, la société civile, les partis politiques au pouvoir comme dans l’opposition, penser ensemble à la manière de surmonter cela. La seule réponse sécuritaire ne peut être qu’une fuite en avant. Il faut enfin un débat national sérieux, où la question économique et sociale soit au cœur du débat. Une partie de la jeunesse se déscolarise – plus de 100 000 jeunes chaque année —, et, l’autre, même lorsqu’elle fait des études, se retrouve abandonnée et livrée à elle-même, sans perspective, sans avenir, souvent dans les régions intérieures défavorisées et marginalisées. Elle veut émigrer ou se perd dans la radicalisation religieuse. Nous avons répertorié 225 mouvements citoyens de toutes sortes en mai dont le quart se rapporte aux suicides et tentatives de suicide et deux mouvements de grève de la faim. Bien sûr, la question sociale n’explique pas tout, et n’excuse aucun crime. Mais, alors que le pays connaît un environnement terrible, y compris avec la situation actuelle en Libye, il faut pouvoir susciter de l’espoir face aux attentats qui alimentent le désespoir. Les mouvements sociaux se multiplient, notamment autour du bassin minier. Mais il y a enfin eu des débats, des situations ont été débloquées, un dialogue s’est instauré. C’est un exemple parmi d’autres. Mais si on veut sécuriser le pays, il faut le développer. Santé, éducation, fiscalité, énergie, lutte contre le terrorisme, tout doit être repensé. D’abord entre nous, entre Tunisiens et Tunisiennes. Après, s’il le faut, on demandera l’appui de nos amis européens et notamment français.