La détention arbitraire des migrants de Ouardia symbole des failles de l’État de droit

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Communiqué de presse

La détention arbitraire des migrants de Ouardia symbole des failles de l’État de droit

Tunis – le 13 juillet 2020. Cela fait maintenant 39 jours que 22 migrants [1]détenus arbitrairement dans le centre de détention de Ouardia attendent que le tribunal administratif ordonne leur libération.

Le 5 juin 2020, ces migrants ont saisi le tribunal administratif de Tunis en urgence, en demandant que ce dernier ordonne leur libération immédiate en attendant qu’il statue sur la légalité de leur détention.

Ils se sont appuyés sur l’article 39 de la Loi n°72-40 du 1 juin 1972 relative au Tribunal Administratif, selon lequel le président du tribunal peut ordonner le sursis à exécution d’une mesure administrative – en l’occurrence une privation de liberté – s’il existe des « motifs apparemment sérieux » d’illégalité de la mesure et que sa mise en œuvre peut entraîner des « conséquences difficilement réversibles » sur la personne qui la subit.

La mesure administrative dont il est question ici est une détention, une des privations de liberté les plus graves. Il ne fait aucun doute que ses conséquences sont « difficilement réversibles ». Tout emprisonnement est lourd de conséquences sur les plans matériel, psychologique et bien souvent physique et le préjudice s’accroît à chaque jour de détention.

Quant à l’existence de « motifs apparemment sérieux » pouvant justifier d’ordonner la libération immédiate des requérants, elle est elle-aussi évidente. Les migrants sont détenus sans aucun fondement légal, sur la base d’une décision administrative dont ils n’ont jamais été officiellement informés, sans aucune notification de leur droit fondamental à un avocat, un interprète et à contacter leur consulat. Ils sont en outre détenus dans un centre de détention officieux, qui est officiellement enregistré comme un « centre d’hébergement et d’orientation ».

Le ministère de l’Intérieur, certainement conscient de l’illégalité de la situation, nie que les migrants soient en détention. C’est pourtant le seul terme qui convient pour qualifier la situation de personnes enfermées dans un camp sous la surveillance de la garde nationale, sans aucune liberté d’aller et venir.

La détention arbitraire est une des atteintes les plus graves au droit international des droits de l’homme. C’est aussi une violation de l’article 29 de la Constitution tunisienne qui dispose qu’« aucune personne ne peut être arrêtée ou détenue, sauf en cas de flagrant délit ou en vertu d’une décision judiciaire ».

Le juge administratif est le principal rempart contre ce type d’abus du pouvoir exécutif. Son intervention, indispensable, doit être effectuée selon certaines conditions, parmi lesquelles la promptitude. C’est tout l’objet de la procédure d’urgence que de permettre aux citoyens victimes d’une restriction arbitraire de liberté d’obtenir que cette mesure soit contrôlée et, le cas échéant, suspendue, dans des délais raisonnables. Le délai légal d’un mois est déjà bien long pour une personne détenue arbitrairement. En ne statuant pas dans les délais impartis, le tribunal administratif contrevient au droit international et trahit son rôle de garde-fou indispensable à la préservation de la démocratie et de l’État de droit.

 

[1] Parmi les migrants détenus à Ouardia, deux ont été libérés suite à la réception de leur carte de demande d’asile de la part de l’UNHCR