Le 30 Juin 2017 à Gabès : de la marche contre la pollution à la décision du gouvernement.

Le 30 Juin 2017 à Gabès : de la marche contre la pollution à la décision du gouvernement.

« On arretera nous-mêmes le déversement des phosphogypses s’il le faut »

Le date fatidique est arrivée pour le gouvernement tenu d’arrêter le 30 juin 2017, le déversement de phosphogypse dans la mer, soit des déchets industriels générés par les activités du Groupe Chimique Tunisien (GCT) à Gabès. L’ultimatum des habitants, lancé en octobre 2016, visait l’éradication définitive de la pollution marine qui sévit depuis 45 ans dans le golf de Gabès (voir “la petite Tchernobyl de Tunisie revendique son droit de vivre”).

Le 30 juin, dans le quartier de Chott Essalem , à quelques centaines de mètres a peine du Groupe Chimique, plusieurs milliers de manifestants se sont retrouvés à 16 heures pour exiger cette decision gouvernementale, “quitte à bloquer nous-mêmes par tous les moyens ce déversement” avait prévu Khayreddine Debaya, membre du mouvement Stop Pollution, ce matin-là à la radio RCI.

Les manifestants ont marché d’un pas determiné vers l’usine en entonnant divers slogans, notamment « Sekker Lamsob » (Fermer les vannes de déversement) du nom de la campagne lancée depuis février par une partie de la société civile de Chott Essalem.

Arrivés là-bas, les manifestants ont ouvert les grillages qui d’habitude empêchent l’accès au canal où s’écoulent les déchets liquides de la transformation du phosphate. La foule s’est répandue sur les ponts et les bords pour entourer ce fleuve de boues grises, et pour tour à tour, y jeter des pierres.

Certains manifestants sont même allés chercher un tracto-pelle chargé de gravas, et l’ont conduit jusqu’au canal, pour finalement le jeter au dernier moment, tout entier dedans.

Colère, exaspération et désespoir s’expriment devant l’usine en mots et en actes de désobéissance civile, alors que dans les bureaux du gouvernement à Tunis on s’apprête à rendre une décision censée fixer une solution.

Le démantèlement des unites polluantes : véritable décision ou ultime « déclaration d’intention » ?

C’est en début de soirée, que cette décision tombe finalement (voir ci-dessous). La réponse avancée va plus loin que celles qui avaient pu être évoquées, concernant le stockage à Oudref (18 kilomètre de Gabès) en 2013 voire dernièrement concernant la valorisation de ces déchets en mai 2017 lors de la conférence internationale du GCT à Gabès. Elle prévoit principalement « le démantelement des trois unités polluantes », soit la délocalisation des unités de production de l’acide phosphorique, actuellement vetustes et productrices de phosphogypse. La décision fixe le calendrier sur 8 ans et demi : 6 mois pour réaliser des études géologiques et sociales afin de définir le lieu du nouveau site de production « qui respecterait les normes environnementales nationales et internationales », 2 ans pour réaliser les études techniques et environnementales, les appels d’offre et les contrats de réalisation, et 6 ans pour successivement établir les 3 unités de productions (par tranche de deux ans). L’arrêt total du déversement du phosphogypse ne se réalisera donc qu’à l’issue de ces 8 ans et demi.

Lors de “la marche sur la mer” organisée par le movement Stop Pollution la veille, le 29 juin, à l’aide des pêcheurs du port de Gabès

Le mouvement Stop Pollution qui milite contre « toutes les types de pollution » à Gabes depuis 2012, avait lancé début juin une pétition qui allait dans le sens du démantèlement des unités polluantes afin de non seulement arrêter la pollution marine, mais également la pollution atmosphérique responsable des nombreux et graves problèmes de santé des habitants. Par un communiqué (voir ci-dessous), le mouvement a fait savoir le lendemain, qu’il considérait la décision “pauvre en réelles garanties” et qu’il “refusait d’attendre aussi longtemps l’arrêt definitif du déversement des phosphogypses”. Dans ce sens, Stop Pollution “appelle également les habitants et les forces régionales à continuer la mobilisation pendant cette période afin d’intensifier la pression vis-à- vis du gouvernement afin qu’il reconsidère le calendrier annoncé et qu’il avance des garanties réelles”.  Après avoir “observé beaucoup ce type de promesses durant ces dernières années”, la méfiance est en effet de rigueur.

Jugées insuffisantes voire ambigües, les propositions gouvernementales inspirent des appels à la vigilance

Le mouvement Stop Pollution a toujours plaidé pour le démantèlement à la stricte condition, rappelée lors de son dernier communiqué, que « la délocalisation se fasse loin des zones d’habitation ». Si la décision du gouvernement prévoit « de se baser une démarche participative » pour proposer « différents sites possibles » dans une période de 6 mois (jusqu’au 31 décembre 2017), la décision ne garantit en effet pas de distance minimale vis-à-vis des premières habitations. La lutte de la ville Oudref pourrait être ainsi amenée à se propager dans plusieurs localités potentiellement visées. Le rejet légitime des populations locales,  pourrait-il dans ce cas-là octroyer le pouvoir au gouvernement d’arrêter le processus de démantèlement basé en principe sur « l’accord sociétal » ? Ce qui finalement amène deux autres questions : qui commanditera, financera et réalisera les dîtes études qui proposeront différents lieux possibles ? Quel rôle réservera « la commission nationale de pilotage » (prévue par la décision) à la société civile de Gabès dans la définition et le suivi des étapes du démantèlement ?

Ayant œuvré main dans la main avec le mouvement Stop Pollution tout au long de ce dernier mois de campagne, l’Association de protection de l’oasis Chatt Sidi Abdel Salem (APOCSG), a rendu également un communiqué (voir ci-dessous) suite à la décision du gouvernement qu’elle ne juge pas à la hauteur des revendications des mouvements de Gabès et des obligations qui incombent au gouvernement, au vue de la situation sociale et environnementale. Le communiqué de l’APOCSG déclare en premier lieu que « l’Etat doit reconnaître la catastrophe sanitaire », et qu’en cela, « la responsabilité sociale et économique » que promet de concrétiser la décision « envers la région qui abritera les nouvelles unités », doit s’appliquer de manière rétroactive au Groupe chimique tunisien depuis l’installation de ses activités à Gabès en 1972.  Le communiqué de l’association souligne que «  le démantèlement des unités mentionnées ne ressoudera pas toutes les problématiques environnementales » et que « l’Etat doit lever toutes formes de pollution et réparer les dommages qui en résultent ». En effet, il n’est fait aucune référence aux actions de dépollution et de réhabilitation dans la décision du gouvernement.  L’association attire l’attention notamment sur « les atteintes et menaces sur les ressources en eau » qui se perpétueront si les mêmes méthodes de production sont appliqués et si une station de dessalement des eaux de la mer n’est pas installée.

En conclusion, si « le démantèlement des unités polluantes » était attendu par les mouvements de Gabès, les premières réactions révèlent le manque de garantie et de précision quant à la mise en œuvre de la décision gouvernementale. Au-delà, de « l’accélération des procédures » revendiquée en tant que priorité, d’autres questions sont susceptibles d’être prochainement posées au fil du calendrier. En effet, la décision prévoit « l’aménagement d’une zone industrielle proche du nouveau site choisi qui sera spécialisée dans les industrie de valorisation et de transformation du phosphogypse », or le débat n’a pour l’instant pas été ouvert sur la question de la valorisation à l’échelle nationale. Il contient pourtant des problématiques importantes : la déclassification légale du phosphogypse actuellement considéré comme « déchet dangereux », la faisabilité et la non-dangerosité des utilisations des produits issus de la valorisation…

 

Documents

Décision du gouvernement du 30 juin 2017 

OST: Rapport Juin 2017 des mouvements sociaux

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Rapport de l’Observatoire Social Tunisien

 Juin 2017

La lutte contre la corruption est devenue la préoccupation majeure de l’opinion publique durant les mois de Mai et Juin 2017. Le gouvernement a inauguré, au mois de Mai le processus de lutte contre la corruption. Cette campagne a représenté un vent d’espoir chez plusieurs franges sociales puisque la révolution effective peut commencer une intégration franche et ferme contre la corruption, ses sources et la veille à éliminer les possibilités de son implantation, son évolution et son instrumentalisation. La révolution tunisienne ne sera pas achevée  avec la fin de la période dictatoriale mais avec la mise en place d’un processus évitant son retour et en adoptant une démarche révolutionnaire rompant avec une époque historique passée en faveur d’une nouvelle.

La révolution tunisienne a évité de justesse le chaos et le non-sens des chemins d’hostilité et s’est engagé dans un cheminement en référence avec la citoyenneté, le civisme et les lois universelles du vivre ensemble en évitant les nombreuses et dangereuses mines du terrorisme, du chaos sécuritaire ou l’émergence de parties bénéficiant de financements, de matériel et de logistique étrangers et locaux.

La noirceur du paysage n’a pas empêché le développement de la sensibilité citoyenne civile qui a été le facteur de non reproduction des schémas classiques connus par les autres révolutions et qui font de la violence le facteur essentiel et fondateur d’une nouvelle société.

La démarche révolutionnaire en Tunisie a pris d’autres virages partant, essentiellement, du cheminement de l’acte révolutionnaire reflétant une dynamique sociale refusant et combattant la violence en s’impliquant contre les différents mécanismes basés sur la violence dont la corruption.

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Mejel Bel Abbès : Un vaccin pour s’immuniser contre l’absence d’eau potable ?

Mejel Bel Abbès : Un vaccin pour s’immuniser contre l’absence d’eau potable ?

Par Zoé Vernin, Coordinatrice Justice sociale et climatique FTDES

Enquête réalisée avec L’Observatoire Tunisien de l’Eau

« Le puit des chameaux de Si -monsieur- Abbès ». Nommée et connue dans le passé pour sa source d’eau, la petite ville de Mejel Bel Abbès en est aujourd’hui malade, car des ressources hydriques il en manque ou elles ne sont plus potables. Dernièrement, Montasser, un enfant de 6 ans, est décédé d’une hépatite A qu’il avait contracté dans son école. Une épidémie est à demi-mot déclaré par les autorités, sur tout un territoire où l’on manifeste souvent et depuis longtemps, pour revendiquer « le développement ».

Mejel Bel Abbès, est un territoire « à l’intérieur » du triangle que forment Kasserine, Sidi Bouzid et Gafsa.  C’est une des treize délégations de Kasserine, classée 261 sur 264 délégations en Tunisie selon un indicateur de développement régional. L’épidémie d’hépatite A est-elle un des symptômes de cette marginalisation régionale ? Parmi les causes de l’apparition et de la propagation de cette maladie, la gestion des ressources en eau et ses infrastructures est une problématique cruciale tant sur le plan de l’accès que de sa qualité. C’est en tout cas ce que révèle douloureusement la situation à Mejel Bel Abbès.

 

“Dégagez, Dégagez, les monstres ! »

Lorsque nous arrivons à Mejel Bel Abbès ce jeudi 11 mai, nous venons de parcourir 60 km depuis Kasserine sous un ciel bas et blanc recouvrant des plaines semi-arides et quasi-désertes. Alors que l’on ne s’y attend presque plus, une ville perse enfin l’horizon des steppes. Il est 10 heures, ni le soleil ni les nuages ne sont venus lever ce voile opaque surplombant la rue principale, animée surtout par les terrasses de cafés disparates et bondées. Nous avons rendez-vous avec Abdallah et Yassin, habitants de Mejel Bel Abbès et membres actifs de l’Union des diplômés chômeurs (UDC). Avec un taux de 45,35% de diplomés au chômage à Mejel Bel Abbès (le plus fort taux de tout le gouvernorat de Kasserine), la section locale de l’UDC compte 200 adhésions. L’UDC joue un rôle moteur dans « le mouvement local qui manifeste tous les deux mois environ, pour revendiquer le développement et notamment l’accès aux services vitaux ». « Marqué par la marginalisation », le territoire de Mejel Bel Abbès est situé dans un gouvernorat (Kasserine) considéré « victime d’une l’exclusion socio-économique en Tunisie »[1].

Ils reviennent sur les dernières actions organisées au mois d’avril.  L’aggravation de la situation sanitaire liée à l’épidémie d’hépatite A a exacerbé les inquiétudes et les sentiments d’injustice, et a fini par canaliser les efforts de mobilisation : « Depuis les premiers signes d’infection et d’épidémie en décembre, les instituteurs ont essayé d’alerter mais en vain, le sujet est resté tabou. Une journée de protestation a alors eu lieu en avril, un peu avant le décès de Montasser » m’explique Yassine.

Montasser est un petit garçon de 6 ans qui a contracté l’hépatite A en décembre dans son école, comme beaucoup d’enfants de Mejel Bel Abbes ces derniers mois. Il est décédé le 21 avril, loin de chez lui à l’hôpital de Sousse, faute de moyens du dispensaire de Mejel Bel Abbès et de l’hôpital régional de Kasserine pour le soigner.

Le 24 avril, les habitants de Mejel Bel Abbès soutenus par diverses organisations (notamment l’UDC et l’UGTT de Mejel Bel Abbes) déclarent alors une manifestation et qu’une grève générale qui s’appliquera à l’ensemble des commerces, établissements scolaires, entreprises et administrations publiques.

Au centre, la photo de Montasser, « Koulna Montasser – nous sommes tous Montasser ». A gauche, « Mejel Bel Abbès : la zone industrielle ? les projets bloqués ? les services de base ? la discrimination positive ? », mais aussi « Ensemble pour une vie digne, on demande 10% des revenus de la société SERGAZ, on va intensifier notre mobilisation jusqu’à la satisfaction de nos revendications », etc.

Les slogans et les pancartes témoignent de l’ensemble des problématiques de Mejel Bel Abbès. Pour Yassine, « les revendications sont clairement liées. Tout d’abord, cela consiste à interpeller les autorités sur l’urgence de la situation sanitaire, notamment l’augmentation constante des cancers du sein pour les femmes, et en ce moment l’épidémie d’hépatite A qui est liée aux défaillances des services de distribution et de l’absence d’infrastructure d’assainissement de l’eau. Mais aussi, car les autorités en ont le pouvoir, elles peuvent relancer les projets bloqués, à savoir les lignes de transports, l’installation d’une zone industrielle, l’électrification des puits et forages déjà existants. Enfin, on demande l’accès à l’information, l’ouverture des données. Dans le cas de l’épidémie de l’hépatite A par exemple, les autorités n’ont pas toujours voulu reconnaître la situation ou ont alors minimiser la gravité, sous-estimer les chiffres ».  Nous le verrons dans la suite de l’article, le manque de diffusion, d’exactitude ou de clarté des informations, a vraisemblablement retardé la prise de conscience de l’ampleur de l’épidémie, et surtout n’a pas permis de l’endiguer et de la traiter en conséquence. Nombreux témoignages fustigent d’ailleurs les autorités et les services compétents pour avoir ainsi chercher à se soustraire à leurs obligations. 

“Dégagez, Dégagez, Dégagez, les monstres ! L’hépatite nous a tué Et vous, vous n’avez pas compris !”

Après la mort de Montasser, certains témoignent que « des tentatives de pression » ont manifestement œuvré dans le même sens. Les écoles ont notamment été ciblées, accusées de ne pas avoir assuré leurs missions de propreté et d’hygiène. Plus indigne encore, on a vraisemblablement cherché à rendre coupables les parents de Montasser avec les résultats d’un rapport du ministère de la santé, analyses médicales à l’appui, indiquant que leur enfant était décédé d’une « hépatite toxique », soit « une hépatite non virale provoquée par l’automédication et notamment par des herbes toxiques ». Le pédiatre de Montasser aurait subi des pressions pour avoir réagi à ces conclusions, soulignant que Montasser était à l’origine bien atteint de l’hépatite A.

Lors de notre visite à Kasserine, nous avons rencontré Leila Hajji, gastro-entérologue, qui a mis fin à cette confusion : « On ne peut développer une hépatite toxique sans avoir contracté auparavant une hépatite A. Alors si l’hépatite toxique peut s’avérer être effectivement la cause directe du décès -l’hépatite A est mortelle selon un très faible pourcentage-, la question à se poser est pourquoi a-t-il pris des plantes médicinales ? Très probablement pour se soigner et calmer ses douleurs faute d’autres moyens, l’hépatite A étant une inflammation du foie pouvant provoquer entre autres, de forts maux de tête et des diarrhées ». « L’argument de l’hépatite toxique » semble ainsi s’inscrire dans une stratégie de désinformation et s’avérer l’ultime moyen de détourner l’attention de la crise sanitaire que signale l’épidémie d’hépatite A.

« Une épidémie continuelle en Tunisie »

Dans une interview donnée à la presse, Ahlem Gzaran, directrice de la médecine scolaire et universitaire, considère désormais « l’hépatite A comme une épidémie continuelle en Tunisie, étant donné que 1467 cas ont été enregistrés en 2016, et 515 pour les seuls mois de janvier et février 2017 ». D’après les recensements, elle affirme que « les régions les plus touchées sont Kasserine, Sidi Bouzid, Gabès, Kairouan, Mahdia et Sousse ». Dernièrement « un comité de spécialistes aurait été mis en place au sein du ministère de la santé dont les objectifs sont l’élimination de la maladie » et « un programme de vaccination contre l’hépatite A pour l’année 2018 ».

Malgré les sirènes de l’urgence, un vaccin dont l’accès resterait restreint au vu du nombre de potentiels bénéficiaires et du prix devant être assumé par les familles (40 dinars), est-il une solution vraiment efficace ? « Parmi les causes infectieuses, l’hépatite A et E sont associées à des approvisionnements en eau insuffisants ainsi qu’à un assainissement et une hygiène de mauvaise qualité » : ainsi l’hépatite A est considérée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme « une maladie liée à l’eau ». La transmission s’effectuant par voie fecale-orale de personne à personne ou par des aliments ou de l’eau contaminée, on conseille généralement de se laver régulièrement les mains, de désinfecter systématiquement les blocs sanitaires, et surtout de s’assurer de la qualité de l’eau que l’on utilise pour boire ou pour cuisiner.

Les écoles de Mejel Bel Abbès : les foyers de l’épidémie manquent d’eau potable

 

A Mejel Bel Abbès, l’hépatite A est apparue et s’est transmise surtout au sein des écoles primaires. Nous nous sommes donc rendus dans trois écoles, pour constater effectivement que la concentration des problématiques liées à l’hépatite A et à l’eau n’est pas une coïncidence.

 

 

Ecole primaire El Abbassia : « l’absence de chlore dans l’eau a été constatée dans un rapport puis effacée au marqueur » 

C’est Omar le directeur qui nous accueille dans l’école El Abbassia au centre-ville de Mejel Bel Abbès, l’école où étudiait Montasser.

Omar nous explique qu’il a pris l’initiative d’archiver lui-même les diagnostics des élèves infectés par l’hépatite A, « la direction de la santé ne voulant pas donner les chiffres exactes ». Alors qu’il nous montre les 52 certificats communiqués par les parents, un professeur entre dans la salle pour en déposer un 53ème devant nous, sur la table. « Cela représente un quart des écoliers de l’établissement » se désole Omar. En décembre, il se souvient avoir déclaré la première infection et n’ayant obtenu aucune réaction des autorités compétentes, il a insisté en janvier pour qu’un contrôle sanitaire des services du gouvernorat soit réalisé, ce qui n’arrivera finalement qu’en février. Selon lui, le nombre de cas d’hépatite déclaré par ce service cette fois-là, puis successivement en mars et en avril est toujours en de-ça du nombre réel d’élèves infectés. Le registre des cas déclarés dans le gouvernorat de Kasserine en 2017 que nous a remis par la suite le service régional de Santé, ne recense effectivement que 11 élèves de l’école Abbassia à la même date.

Mais il évoque aussi la falsification d’une information fondamentale dans le premier rapport établi après la visite des services : « l’absence de chlore dans l’eau à l’origine constatée et mentionnée, a été effacée au marqueur pour déclarer l’eau potable  ». Nous nous déplaçons ensuite vers les seuls points d’eau de l’école à savoir les blocs sanitaires raccordés aux services de la Société Nationale d’Exploitation et de Distribution des Eaux (SONEDE). « Comme la plupart du temps, l’eau est coupée aujourd’hui » nous montre Omar. Les blocs sanitaires sont propres et en bon état, mais « ce n’est pas si facile de garantir une salubrité minimale sans eau et avec un budget de 105 dinars par an censé couvrir autant les produits de nettoyage et d’hygiène, que les cahiers et les crayons » renchérit Omar d’un ton désespéré. Alaa de L’observatoire tunisien de  l’eau, constate aussi que « la distance séparant les fosses septiques et les blocs sanitaires est très inférieure à la limite réglementaire », ce qui peut en l’occurrence s’avérer un des facteurs aggravant de l’apparition et la propagation de l’hépatite A, ici à Mejel Bel Abbès.

Ecole primaire Sidi Rabeh: « Les enfants viennent avec leur propre bouteille d’eau »

On reprend la route pour s’éloigner de la ville et retrouver les plaines arides, où les habitations se dispersent peu à peu.  On s’arrête dans un hameau comptant peut-être une dizaine de maisons, et dans la petite école qui accueille les 42 enfants des alentours.

Le réservoir de l’école.

L’école dispose aussi de blocs sanitaires propres et en bon état, mais il n’y a pas d’eau ici non plus. Raccordé non à la SONEDE, mais à un Groupement de Développement Agricole (GDA), ce système d’approvisionnement en eau ne parvient pas à assurer pas les besoins en eau de l’école. Alors tous les 15 jours, l’école fait acheminer une citerne pour remplir le réservoir de 30m3, ce qui coute annuellement 300 dinars à l’administration de l’école. Et comme ce n’est pas suffisant, les enfants ramènent leur propre eau en bouteille. Ici aussi « le budget en fourniture est largement insuffisant » (moins de 100 dinars par an) nous informe le gardien. Il nous explique « devoir payer parfois de son propre argent les produits désinfectant l’eau à chaque remplissage du réservoir ». Il y a eu également des cas d’hépatite A  dans l’école ces derniers mois, mais lors du dernier contrôle des services de santé, pas tous les élèves ont été examinés. Enfin, « les agents de la santé, même s’ils visitent régulièrement l’école, ne nous communiquent pas les résultats d’analyse » témoigne le gardien qui aimerait « connaître surtout, les résultats de la qualité de l’eau chaque fois qu’ils viennent la prélever ».

Ecole primaire Essmaalia : « On a essayé de convaincre les parents de ne plus envoyer leur enfant à l’école »

A quelques kilomètres, l’école Essmaalia se situe aussi en « milieu non communal » dans un hameau semblable à celui que nous venons de quitter. Elle accueille 110 écoliers. Un de leur professeur nous explique que « c’est la première école à Mejel Bel Abbès où les parents ont fait fermer eux-mêmes l’école en raison de l’épidémie d’Hépatite A ».

Les recommandations du tableau accroché sur un des murs de l’école : « 1) Il faut veiller à la propreté de l’école, 2) à l’hygiène des élèves, 3) Il faut se laver les mains avec du savon et de l’eau , 4) Il faut boire de l’eau potable propre, 5) Il faut déclarer n’importe quel changement de l’état de santé, 6) Il faut laver les fruits et les légumes avec du produit désinfectant, 7) il faut éviter de jouer avec les enfants qui ont l’hépatite A » (!!!)

Le professeur poursuit : « Comme les services de la santé ne prenait pas la décision de fermer l’école, et ce malgré les 11 cas d’hépatite qu’ils ont déclaré, nous avons cherché et réussi à convaincre les parents de ne plus envoyer leur enfant pendant une petite période ».

Raccordé également à un GDA « mais pas directement au puit », les coupures d’eau sont répétitives et le peu qu’il reste dans le réservoir croupit. Ici, l’école a donc aussi recours à des citernes d’eau : chaque semaine, 5m3 d’eau sont acheminé pour 25 dinars, somme payée grâce à une collecte organisée par les enseignants. Un autre exemple criant de la désertion de l’Etat nous ait donné par le professeur, entre colère et désespoir : « On demande un drapeau de l’Etat Tunisien pour le dresser à l’entrée de l’école, mais ses services ne veulent pas dépenser cet argent. C’est à nous, instituteurs de le prendre en charge ! ». Lors le 20 mars dernier, à l’occasion du 61ème anniversaire de l’indépendance, un drapeau de la Tunisie de 300 m² avait été confectionné en Turquie pour une somme de 300 000 dinars pour être hissé à un des points culminants du centre-ville. Cela représente bien un drapeau, et surtout beaucoup d’eau pour les écoliers de Mejel Bel Abbès.

Les écoles de Mejel Bel Abbes au coeur des problématiques régionales de desserte en eau potable et d’épidémie d’hépatite A.

Est-ce une coïncidence que Kasserine soit à la fois un des gouvernorats le plus affectés par les épidémies d’hépatite, et le gouvernorat dans lequel les écoles sont le moins bien desservies en eau potable (27,2% des écoles desservies en eau potable, quand la moyenne nationale s’élève à 66,7%)[2] ?

 

A Majel Bel Abbès, 2 écoles sont desservies en eau potable par la SONEDE sur 25[3]. Nous aurons l’occasion de revenir sur le fait que, dans les territoires ruraux et notamment dans « les milieux non-communaux », la desserte en eau est principalement du ressort des GDA ce qui est le cas à Mejel Bel Abbès pour 75,42% de ses ressources[4].  Selon l’évaluation[5], 16 écoles sont donc raccordées à des GDA, dont les écoles Sidi Rabeh et Essmaalia qui comme nous avons pu le constater recourent en réalité aux citernes. A noter que pour les sept autres écoles restantes, l’évaluation révèlent qu’elles se procurent l’eau soit par « citerne fixe » (2), par « citerne tractée » (1), par « puits privés » (2 considérés « mal aménagés ») ou signale que l’eau est carrément « indisponible » (2). Ces systèmes « alternatifs » posent alors la question du prix. Pour reprendre l’exemple de l’école Essmaalia qui recoure aux citernes de marchands d’eau pour 5 dinar le m3, le prix est ainsi multiplié 5 à 16 fois par rapport au prix de l’eau délivré par les GDA, « qui varie normalement entre 300 millimes/m3 et 1 dinar/m3 » précise Ala de l’Observatoire Tunisien de l’eau.

Mais ces conditions d’approvisionnement soulèvent surtout la problématique de la qualité de l’eau. Selon la même évaluation, sur les 15 écoles contrôlées, les eaux de deux écoles seulement sont « chlorées » : ce sont celles qui sont raccordées à la SONEDE, dont l’école El Abbassia où le directeur affirmait que ce résultat avait été falsifié. Pour Ala de l’Observatoire Tunisien de l’Eau, ce résultat est significatif dans un contexte d’épidémie d’hépatite, « le chlore étant le principal procédé de désinfection de l’eau, il empêche normalement la multiplication de germes, comme les bactéries, les virus ».  Ce résultat inquiétant est enfin, également à replacer dans un contexte où l’Office National d’Assainissement est absent de la délégation, et où le service municipal d’assainissement ne fonctionne plus.

 

 

L’épidémie d’hépatite A ou le signal de trop : zéro garantie des services sur la qualité de l’eau

Dans une situation d’alerte relative à l’hépatite A, au-delà des diagnostics et des prises en charge sur le plan médical, quelle procédure ou quelles mesures ont été lancées par les différentes autorités et pour endiguer l’épidémie ? En d’autres termes, comment interviennent-elles « en urgence » sur les causes de la crise sanitaire, à savoir sur les mauvaises conditions d’accès, et l’absence de qualité de l’eau ?

A qui la faute ?

Aux responsables de la distribution de l’eau ?

Nous nous sommes d’abord rendus au Commissariat régional au développement agricole (CRDA rattaché au ministère de l’agriculture), pour échanger avec les agents de « la cellule GDA » chargée d’assister les GDA du gouvernorat sur le plan technique et matériel.  En effet, responsables de 75,42% des ressources en eau à Mejel Bel Abbès, les GDA sont au nombre de 29 précisément en charge de l’eau potable, 7 en charge de l’eau pour l’irrigation, et 6 mixtes.

Les GDA sont des associations composées en principe des propriétaires et des exploitants agricoles, chargées de « la protection des ressources naturelles du périmètre d’intervention et la rationalisation de leur utilisation » ainsi que du bon fonctionnement « des équipements ruraux nécessaires » (article 5 du décret n°1819 de 1999). Dans la grande majorité des GDA, ce sont des bénévoles qui gèrent ces infrastructures, à savoir pour les ressources en eau, les dispositifs de pompage et de stockage ainsi que les réseaux de distribution. Présentées à leur création dans le régime de Ben Ali comme un « mode de gestion participative »[6], les GDA sont la cible de beaucoup de critiques en Tunisie les accusant « d’assoiffer les ruraux »[7].

 

Lorsque nous évoquons les problèmes de l’eau que révèle l’épidémie d’hépatite A à Mejel Bel Abbès avec Fathi Briki, le responsable de la cellule GDA, il nous renvoie aux missions des services de santé régionaux chargés de réaliser des contrôles sur la qualité de l’eau. Nous essayons de savoir alors, comment ces derniers mois, la CRDA ou même les GDA ont tenté de répondre en circonstance aux problématiques de la desserte et de la qualité de l’eau.  En vain. Pour Fathi, les problèmes résultent principalement « du manque de culture sanitaire des écoliers », mais aussi de « l’égoïsme de certains citoyens qui s’accaparent l’eau ». Réticent à aborder les difficultés éprouvées par les GDA, il s’en tient « aux raccordements anarchiques et aux vols d’équipement » pour nous évoquer « les causes des dysfonctionnements ». 

 

Deuxième distributrice d’eau, la SONEDE à Kasserine nous communique les résultats des trois échantillons réalisés en avril dans une maison et deux cafés de Mejel Bel Abbès, jugés « conformes » selon Khitem Ben Rahma qui y travaille. Il nous assure que « tous les réservoirs à Kasserine sont bien entretenus ». Nous sommes par la suite allés visiter le seul réservoir de la SONEDE à Mejel Bel Abbes (300m3) qui approvisionne 3000 abonnés.

Ces photos publiées sur facebook par l’Observatoire Tunisien de l’Eau ont été partagées de nombreuses fois. Selon Abdallah et Yassine, de nombreux habitants auraient depuis arrêtés de boire l’eau du robinet. La SONEDE pour sa défense, démentira en affirmant que « ces photos ne sont pas de Mejel Bel Abbes », mais réalisera par la suite quelques travaux.

Aux responsables de l’assainissement ?

Pour Aloui Mohamed Habib et Ahmed Mansouri de la municipalité de Mejel Bel Abbes, « en ville, les problèmes de l’eau viennent essentiellement des fosses et des égouts bouchés ». La municipalité étant normalement responsable de décharger les fosses septiques, ils regrettent « de ne pouvoir régler ces problèmes en raison de l’absence de station d’épuration, retardée pour des raisons foncières, des habitants qui s’y opposent et un blocage au niveau du gouvernorat ». Ils regrettent faute de budget, « d’avoir pu seulement nettoyer les alentours des écoles et certains puits et citernes, et mené quelques actions de sensibilisation pour essayer répondre à la crise sanitaire ».

A l’ONAS, nous avons rencontré Neji Badri qui nous a confirmé l’absence de ses agents et de ses infrastructures dans la délégation. Il nous confirme qu’à Mejel, « il y a un réseau municipal, mais pas d’exutoire ». Dans ce contexte d’épidémie d’hépatite A, « l’ONAS est venu début mai et a conseillé les habitants de Mejel Bel Abbes de se débrancher de ce réseau et de construire des puits perdus dans un délai de 15 jours » nous explique-t-il.

Aux services régionaux de santé ?

Accusant beaucoup de critique de la part des écoles et des personnes rencontrés à Mejel Bel Abbes, la Direction Régionale de la Santé (DRS) est néanmoins l’institution qui nous a communiquer beaucoup d’informations attendues. Chawki Hermassi du service de santé en milieu scolaire a pu expliquer que le nombre de cas enregistrés par son service ne représente pas la totalité des personnes infectées en raison du fait que beaucoup consultent et sont répertoriés à Gafsa (plus proche de Mejel Bel Abbes que Kasserine), et que les médecins chargés de déclarer leur diagnostic aux services de santé ne le font pas systématiquement. En l’occurrence, il nous explique que des diagnostics épidémiologiques comprenant trois volets (enquête scolaire, enquête ménage, et enquête environnementale) ont été mené à Mejel Bel Abbes par les agents de son service, et qu’ils ont notamment prescrit des évictions scolaires pour « les cas confirmés ». En effet, comme il est aussi possible de le lire dans le Guide National d’Epidémiologie d’Intervention[8] réalisé par le Ministère de la santé, en cas d’épidémie d’hépatite, un des objectifs de surveillance de ses agents est avant tout « d’évaluer les mesures de luttes et de prévention », n’ayant pas toutes les compétences pour les appliquer. Il nous explique d’ailleurs qu’il revient au ministère de l’éducation de prendre la décision de fermer l’école, et de manière générale de mener les actions nécessaires sur la base des évaluations annuelles (conditions d’hygiène, de sécurité, d’accès à l’eau, etc.) que lui remet la DRS.

En attendant, des résultats d’analyse de la qualité de l’eau alarmants

C’est enfin les services de santé qui nous ont communiqué les résultats des prélèvements de l’eau effectués dans les différentes délégations en 2016. A Mejel Bel Abbès, on constate une absence totale de chlore dans tous les réservoirs des GDA, et une très faible présence dans leurs réseaux de distribution. « Dans le cas du gouvernorat de Kasserine et surtout de la délégation de Mejel Bel Abbes, les résultats d’analyses de chlore libre sont en lien direct avec les résultats de contrôle bactériologiques alarmants et non conformes à la norme tunisienne NT 09.14 de l’eau des GDA » conclue Ala de l’Observatoire Tunisien de l’Eau. En effet, 15,5% des échantillons prélevés dans les réservoirs GDA et 28,3% prélevés dans les réseaux présentent des signes de contamination bactériologique, soit souvent des germes indicateurs de contamination fécale. Les résultats de la SONEDE sont bien meilleurs : le réservoir contient du chlore et aucun signe de contamination, et dans ses réseaux, si 20% des échantillons ont montré une absence de chlore, aucun n’a présenté de contamination bactériologique.

 

Lors d’une épidémie d’hépatite A, le guide du ministère recommande notamment les mesures de prévention suivantes : « Protéger, purifier et chlorer l’eau d’approvisionnement public », et « Améliorer la desserte en eau et des conditions d’assainissement de base ». Dans le cas de Mejel Bel Abbès, ces mesures n’ont vraisemblablement pas été adoptées : « faute de moyens et d’infrastructures » mais surtout « faute de coordination » d’après la majorité des fonctionnaires rencontrés.

 

 « Faute de coordination »

Mourad Zougar nous a aidé à mieux comprendre les raisons de l’absence de coopération en matière de qualité de l’eau à l’échelle du gouvernorat de Kasserine. Il travaille au sein du Projet Eau de Kasserine (PEK), un projet piloté et financé (en dons) par la Coopération suisse visant l’amélioration de la qualité de l’eau par la réhabilitation des infrastructures, l’implication de la société civile, et le dialogue et la coopération institutionnelle.

« On a notamment constaté que la répartition des responsabilités entre les différents intervenants n’était pas claire, notamment entre ceux qui exploitent et approvisionnent en eau de boisson et ceux qui ont pour mission de surveiller la qualité de l’eau » nous explique Mourad. Pour lui, « ces constats ont rendu nécessaire l’élaboration d’une stratégie régionale assurant la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine en zone rurale ». Plusieurs actions stratégiques ont été définies et identifie qui de la CRDA, des GDA ou de DRS en est responsable. La stratégie définie en cela les termes et les mécanismes d’appui et de coordination, notamment « en cas de situation de crise ».

Au niveau local, si « la GDA est responsable de la qualité de l’eau », elle doit ainsi pouvoir compter sur « les autorités régionales concernées (CRDA et DRS notamment) en mesure d’apporter, l’encadrement, la formation et le soutien logistique nécessaires ». En matière de qualité de l’eau, le manque de moyens et de capacités des GDA a été aussi souligné par un rapport d’International Alert réalisée par Raoudha Gafreh en juin 2017 sur la gouvernance de l’eau à Kasserine[9]. Le rapport explique notamment que « l’absence de désinfection résulte généralement de l’état médiocre des installations : l’absence de purge entraine une stagnation de l’eau dans les réseaux » et « qu’il s’agit d’une situation chronique et structurelle, notamment due au manque de responsabilisation et à un travail bénévole peu performant ».  « La création de comités régionaux spécifiques au secteur de l’eau » qui semblait s’imposer selon l’auteur de ce rapport, pourrait s’incarner dans « l’équipe de travail mixte devant se réunir une fois par mois » recommandée par la Stratégie régionale.  « L’équipe en l’occurrence a été formée mais n’est pas encore très fonctionnelle » observe Mourad qui compte en cela aussi beaucoup sur le rôle que peut jouer la société civile.

Nous avons lors de notre visite à Kasserine, rencontrer Sofien, président de l’Association régionale de protection de l’environnement à Kasserine (ARPEK), dont un des projets est actuellement soutenu par le PEK. Sofian nous explique que « ce projet travaille sur la dimension sociale et communautaire de l’amélioration de la qualité de l’eau en animant des sessions de sensibilisation et de concertation entre les GDA, les écoles et les populations ». Alors que des conflits existent entre les GDA et les habitants, ce projet semble en effet compter sur des réconciliations et des solutions concertées à l’échelle micro-locale, en attendant que les pouvoirs publics répondent à leurs responsabilités de garantir l’accès à l’eau potable pour tous.

 

L’accès à l’eau : le « premier traitement de prévention » garanti par la constitution ?

Nous l’avons vu, les manquements des autorités locales pour endiguer l’épidémie d’hépatite A à Mejel Bel Abbès et de Kasserine, relèvent en partie de problématiques relatives à la disponibilité et à la qualité de l’eau. Cette enquête révèle en cela, d’une part un des visages de la marginalisation du territoire sur le plan des moyens et des infrastructures publiques, et d’autre part renvoie aux aspects de « la crise hydrique » en Tunisie.

Mejel Bel Abbès : en marge de la marge

En effet, il apparait à travers les témoignages d’agents publics que les carences et les dysfonctionnements des services s’accumulent à Kasserine et particulièrement à  Mejel Bel Abbès comme l’illustre notamment la situation de ses écoles. Rebhi Ali syndicaliste du secteur de la santé au sein de l’UGTT Mejel Bel Abbes, nous témoigne que les moyens du dispensaire sont insuffisants et que l’enquête sur l’eau qui doit s’effectuer « quotidiennement » par l’unité de technicien d’hygiène publique, « ne se réalise presque jamais à cause du manque de ressources humaines et de moyens logistiques ».  Du coté de la CRDA, rien n’a été prévu pour améliorer les problèmes de l’eau via les GDA de Mejel Bel Abbès cette année, si ce n’est relier et équiper de blocs sanitaires deux écoles dont celle de Sidi Rabah (qui en l’occurrence en dispose déjà…). Au bureau de la SONEDE, on déplore qu’il n’y ait « aucun laboratoire pour contrôler la qualité de l’eau dans le gouvernorat, et que le plus proche soit à Sousse » d’une part et qu’à Mejel Bel Abbès, « le réservoir d’eau soit insuffisant pour garantir la continuité d’approvisionnement en eau potable des abonnés ».

A l’ONAS, N. Badri présentait également l’assainissement comme un « indicateur de marginalisation » : « Kasserine n’en comptait qu’une jusqu’en 2004 alors que dans le gouvernorat Monastir, il y en avait six ». Aujourd’hui, il y a très exactement deux stations d’épuration à Kasserine et à Sbeitla et 4 stations de pompage dans le gouvernorat, raccordant ainsi un quart de ses habitants. « Dans les autres délégations, les rejets s’effectuent dans les oueds les plus proches, sans aucun traitement » complétait-il. L’ampleur des dégats a été décrit dans le rapport de R. Gafref, « les eaux usées brutes » étant de plus en plus directement utilisées pour irriguer les terres agricoles quand elles ne continuent pas leur chemin à travers les cours d’eau en direction de Sidi Bouzid et Kairouan. Selon N. Badri, « on constate aussi beaucoup de métaux lourds, en partie liées aux rejets de la SNCPA (« l’usine alfa » de pâte à papier) et à ceux des ménages, qui s’infiltrent dans la terre et contaminent la nappe d’eau souterraine ». Néanmoins, 5 stations d’épuration sont actuellement programmées (en partie financées par des bailleurs de fond comme l’AFD, GIZ, etc.) dans le gouvernorat pour les délégations de Thala, Feriana-Talabet, Sbibaa-Jedelienne, Hassi El Farid et Foussena. Quant à Mejel Bel Abbes (Haidra et Layoune) « rien de très sûr, mais la Banque Africaine de Développement aurait donné un accord de principe pour financer une station d’épuration à l’instar de 80 communes choisies en Tunisie ». Selon les agents de la municipalité de Mejel Bel Abbès, il serait temps, « cela fait depuis 1995 que l’on nous promet une station d’assainissement ».

Les problèmes de l’eau en Tunisie dans le miroir

Enfin, certaines problématiques font échos à celles que connait toute la Tunisie. Avec une disponibilité de l’eau estimée à 470m3/habitant/an, la Tunisie est considérée par l’OMS en « pénurie hydrique » (Un pays est en stress hydrique si il dispose moins de 1700 m3/ha/an, il est en pénurie d’eau lorsqu’il dispose de mois de 1000 m3/ha/an).

Pénurie d’eau ou indisponibilité de l’eau à boire ?

A Mejel Bel Abbès, 8,64% des ménages doit parcourir plus d’un kilomètre d’une source d’eau potable (soit 387 familles). Les autres sont soit un peu plus proches soit directement raccordées, mais ne sont pas à l’abris nous l’avons vu des coupures d’eau. Pourtant à Kasserine, des ressources en eau il y en a[10] et des infrastructures hydrauliques aussi[11]. Selon le rapport réalisé par R. Gafrej, à Kasserine comme ailleurs en Tunisie les nappes sont surexploitées, les prélèvements étant supérieurs aux ressources renouvelables. Le rapport constate que ces prélèvements sont très majoritairement dédiés au développement de l’activité agricole, « concurrençant ainsi le secteur de l’eau potable »[12]. C’est notamment en cela que les GDA sont tenus pour responsables : fuites, gaspillages, corruption, accaparement des ressources pour l’irrigation. Mais cela doit être surement replacer dans une évolution du secteur, d’une part de plus en plus en proie à un modèle d’agriculture intensif requérant davantage d’eau, et par ailleurs touché de plein fouet par les effets des changements climatiques en Tunisie. Avec un climat aride et une pluviométrie moyenne très faible (190mm/an), Mejel Bel Abbès est d’ailleurs un des territoires les plus vulnérables aux effets du changement climatique dans un pays où l’on prévoit une baisse globale de 28% des ressources en eau à l’horizon 2030.

« La Tunisie est assoiffée » comme l’alertait déjà l’Observatoire Tunisien de l’Eau le 22 mars 2017 à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau. Grâce à son système d’alerte sur internet[13], l’Observatoire enregistrait à cette date 900 réclamations relatives à l’interruption de l’eau ainsi que 110 mouvements de protestation depuis le début de l’année : le manque d’eau est déjà une réalité. Ayant suivi sur le terrain l’état d’avancement du livre bleu de la SONEDE (projets programmés en 2016), l’Observatoire appelait notamment « la SONEDE à assumer l’entière responsabilité, étant donné qu’elle n’a pas respecté ses obligations envers ses clients ». A Kasserine, du bureau local de la SONEDE, le responsable le confirmait aussi que « l’été sans soif était une fausse promesse faite par le ministère de l’agriculture (dont la SONEDE dépend) qui n’assume pas ses responsabilités aujourd’hui ». Il ajoutait aussi que « les responsables à Tunis, demandent l’irréalisable dans les régions », faisant ainsi référence à la forte centralisation de la gestion de l’eau.

Consacrant l’eau comme « un bien commun » et l’accès à l’eau potable comme « un droit fondamental », le code des eaux est actuellement en cours de révision afin, notamment, « de minimiser la surexploitation », « protéger les ressources hydrauliques de la prolifération des sources de pollution » et pour « y introduire le principe de décentralisation dans la gestion des eaux »[14]. On a des raisons d’être peu optimistes quant à l’adoption du code avant les prochaines élections municipales le 17 décembre, et de craindre aussi que la nouvelle version du Code prépare la privatisation du secteur de l’eau en introduisant des possibilités de « partenariats publics-privés »[15]. Pour ne citer que le Maroc, la privatisation a conduit à l’augmentation du prix de la distribution et de l’assainissement de l’eau et des mouvements de protestation[16].

Après cette enquête, il semble clair que ces services prioritaires en Tunisie sont actuellement producteurs d’injustices et facteurs de risques sanitaires surtout dans des régions déjà marginalisées. Deux questions peuvent se poser : Quelle politique, quel modèle de développement peut garantir « le droit à l’eau » consacré par l’article 44 de la constitution, et ce pour tous aujourd’hui comme pour les années à venir ? Comment défendre ce droit dans un contexte où les discours dominants souvent portés par les responsables politiques, parfois par certaines composantes de la société civile, tendent à responsabiliser le citoyen ?

 

[1]S. Sbouai, « Kasserine se constitue région victime », Juillet 2015, Inkyfada :  https://inkyfada.com/2015/07/kasserine-region-victime-justice-transitionnelle-tunisie/

[2] « Indicateurs de performance du système éducatif », Ministère de l’éducation, mars 2014 : http://www.education.gov.tn/article_education/planification/indic_performance_sys_educatif.pdf

[3] « Evaluations des conditions d’approvisionnement des écoles en eau de boisson », réalisé par le service de santé du gouvernorat de Kasserine en 2016.

[4] « Le gouvernorat de Kasserine en chiffre », 2014, Office du développement du centre-Ouest : http://www.odco.nat.tn/upload/pdf/2016/odco-brochure-kasserine-2014.pdf

[5] « Evaluations des conditions d’approvisionnement des écoles en eau de boisson », réalisé par le service de santé du gouvernorat de Kasserine en 2016.

[6] Lire A-A Canesse « Gestion des ressources naturelles et système institutionnel de gouvernance en Tunisie », Maghreb-Machrek, n°202, 2010.

[7]M. Kalboussi, « Ces GDA qui assoiffent les ruraux », avril 2015, Nawaat :  https://nawaat.org/portail/2015/04/13/ces-gda-qui-assoiffent-les-ruraux/

[8] Guide d’épidémiologie d’intervention, 2015, Ministère de la Santé http://www.santetunisie.rns.tn/images/docs/Guideepidemiof.pdf

[9] R. Gafrej, « Gouvernance de l’eau en Tunisie : Etude de cas du gouvernorat de Kasserine », Juin 2017, International alert : http://www.international-alert.org/sites/default/files/Tunisia_WaterGovernanceKasserine_FR_2017.pdf

[10] Selon un récent rapport du Commissariat Régional du Développement Agricole (CRDA) de Kasserine, « la région dispose d’importantes ressources hydrauliques estimées à 271 millions de mètres cubes par an, outre l’existence de 29 nappes de surface, dont 2 communes avec les régions du Kef et de Sidi Bouzid, et 29 nappes phréatiques »

[11] Selon le rapport de R. Gafreg pour International Alert, il 2 grand barrages, 19 barrages collinaires, 77 lacs collinaires et 515 ouvrages de conservations des eaux et du sol.

[12] Selon le même rapport, dans le gouvernorat de Kasserine, 76% des ressources en eau sont dédiés à l’agriculture, 21% à l’industrie et 3% à l’alimentation en eau à boire.

[13] Liste des alertes de l’Observatoire : http://watchwater.tn/fr/alerteslistuser

[14] « Tunisie : Le nouveau code des eaux au centre d’un conseil ministériel » : http://watchwater.tn/fr/node/11

[15] T. Ben Naser, « Vers une privatisation de la gestion de l’eau en Tunisie ? », Janvier 2017, Nawaat  https://nawaat.org/portail/2017/01/31/vers-une-privatisation-de-la-gestion-de-leau-en-tunisie/

[16] O. Petitjean, « Manifestations massives contre Veolia à Tanger et dans le nord du Maroc », novembre 2015, Observatoire des multinationales : http://multinationales.org/Revolte-des-bougies-manifestations-massives-contre-Veolia-a-Tanger-et-dans-le

Ksibet Mediouni: Pollution

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Organisations associations individus: Tous unis contre la pollution à Gabès

Surnommé dans le temps « le paradis sur terre » en raison de son oasis littorale exceptionnelle, Gabès souffre depuis 45 ans de crimes contre l’environnement. C’est en 1972 que la tragédie commence pour ses habitants avec l’arrivée d’une des plus grandes zones industrielles chimiques d’Afrique. Gabes, ou « le paradis perdu », a vu son golfe qui autrefois était une des plus grandes pépinières marines en Méditerranée, se désertifiait d’année en année en raison des activités chimiques de transformation du phosphate qui déversent jusqu’à vingt mille tonnes par jour de déchets radioactifs, soit 7 millions de tonnes de phosphogypses par an. L’épuisement des nappes phréatiques générées par les besoins en eau des activités industrielles ont asséché l’oasis, un symbole aujourd’hui menacé d’extinction. Les gaz polluants affectent gravement
la santé des habitants atteints de nombreux cancers et de maladies respiratoires, en particulier dans les zones d’habitation de Bouchema et de Chott Essalem, les plus proches du Groupe Chimique Tunisien et comprenant plus de cinquante mille habitants.

Toutes ces violations et leurs effets ont causé d’une part la dégradation voire la disparition de nombreux secteurs comme l’agriculture, la pêche et le tourisme et d’autre part, la détérioration de la situation sanitaire.

Tous ces crimes ont été réalisés sous couverture politique, le Groupe chimique tunisien étant une société publique. S’est ainsi appliqué un régime répressif aux militants qui défendaient l’environnement.

A l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement (5 Juin), un groupe de jeunes militants a décidé en 2012 de former un mouvement sous le nom de « Stop pollution, Nous voulons vivre » afin créer une dynamique nouvelle, ayant vocation à sensibiliser aux niveaux local, national et international, ainsi qu’à organiser la mobilisation sur le terrain pour faire pression sur les décideurs afin qu’ils trouvent une solution radicale.

Cette année 2017 est importante pour Gabès dans la mesure où la date du 30 juin a été fixé par les autorités pour apporter une solution au déversement des phosphogypses dans la mer. L’échéance se rapprochant peu à peu, il est nécessaire d’intensifier la pression et de rejoindre le mouvement pour faire du 30 juin, une date de mobilisation populaire qui imposera cette décision.

C’est pour cela, que nous appelons tous les militants écologistes dans le monde à soutenir les habitants de Gabes et codamner ces crimes:

Salutations à tous ceux qui luttent contre les politiques polluantes en Tunisie et dans le monde et pour un monde exempt de pollution.

Stop Pollution, Sauvez Gabès

Vous pouvez signer ici ou sur la page Avaaz que le mouvement a créé

Pétition su Avaaz

Lien vers la page du mouvement Stop Pollution :
https://www.facebook.com/StopPollution2/

Liste de signature

Signatures
1 Miss. Ouassila Ayadi ?? Jan 23, 2023

من اجل الإصدار الفوري للقائمة النهائية لشهداء وجرحى ثورة الحرية والكرامة

تونس 09 ماي 2018
من اجل الإصدار الفوري للقائمة النهائية لشهداء وجرحى ثورة الحرية والكرامة
إن المنظمات والجمعيات وفعاليات المجتمع المدني الموقعة أسفله، بعد اطلاعها على مختلف المراسلات والإجراءات القانونية التي قامت بها عائلات شهداء وجرحى الثورة من أجل المطالبة بنشر القائمة النهائية لشهداء ومصابي الثورة طبق مقتضيات المرسوم عدد97 لسنة 2011، وبعد وقوفها
على التملص الواضح الذي أبدته مختلف مؤسسات الدولة ذات العلاقة بالملف من تحمل مسؤولية نشر قائمة شهداء وجرحى الثورة بالرائد الرسمي للجمهورية التونسية، وإزاء هذا المطلب البديهي والقانوني والمشروع، ومن منطلق الحرص المبدئي على حفظ الذاكرة الوطنية من جهة وعلى واجب ردّ الاعتبار لعائلات شهداء وجرحى ثورة الحرية والكرامة، فإنها:

  • تجدّد تعبيرها عن تضامنها المطلق والمبدئي مع عائلات شهداء وجرحى ثورة الحرية والكرامة.
  • تعرب عن تبنّيها لمطلب عائلات شهداء وجرحى الثورة في الإسراع بنشر القائمة النهائية لشهداء الثورة وجرحاها في الرائد الرسمي للجمهورية التونسية.
  • تعلن عن مساندتها لجميع المساعي والتحركات المدنية والقانونية التي تعتزم عائلات شهداء وجرحى الثورة تنظيمها ، وتدعو مختلف الأحزاب السياسية والمنظمات الوطنية وسائر الفعاليات المدنية إلى الالتفاف حول هذا الاستحقاق المركزي.
    المجد والخلود لشهداء وجرحى الثورة

المنظمات الموقعة
• المنتدى التونسي للحقوق الاقتصادية والاجتماعية
• الرابطة التونسية للدفاع عن حقوق الانسان
• اللجنة من أجل احترام الحريات وحقوق الانسان بتونس
• جمعية النساء التونسيات للبحث حول التنمية
• المخبر الديمقراطي
• الجمعية التونسية للدفاع عن الحريات الفردية
• المركز الدولي للعدالة الانتقالية
• جمعية يقظةمن أجل الديمقراطية والدولة المدنية
• محامون بلا حدود
• جمعية الكرامة
• المنظمة الدولية لمناهضة التعذيب
• جمعية القضاة التونسيين
• نوماد 08
• جمعية الأمانة بدقاش
• جمعية شباب ومواطنة بدقاش جمعية النهوض بدقاش
• جمعية الوساطة الاجتماعية بدقاش
• جمعية الشهيد بالحامة

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Gabès : « La petite Tchernobyl de Tunisie » revendique son droit de vivre

par Zoé Vernin

Il y a un an, j’arrivais à Gabès à la fin du mois d’août et je m’apprêtais à y retourner plusieurs fois pendant l’année. Beaucoup de témoignages et d’articles parlent d’une « catastrophe », d’un « désastre », d’un « poison », qualifiant même pour certains cette ville côtière du Sud tunisien, de « terre maudite » ou de « rives de la mort ». Personne ne peut rester neutre devant ce qu’il se passe à Gabès, si ce n’est les défendeurs d’un modèle de développement qui se rend aussi implacable que « criminel » pour la population et son environnement.

Devant le Groupe Chimique Tunisien de Gabès (photo de Raphaël Bodin)

A peine entrée en ville la première fois, « je n’ai pas seulement senti la pollution, je l’ai goutée », pour reprendre les mots d’une femme de Gabès que je rencontrerais bien plus tard. Le lendemain, quand je me suis retrouvée devant le Groupe chimique tunisien, sans doute toutes ces sentences lues et entendues se sont bousculées en même temps. Je n’ai pas trouvé beaucoup de mots pour exprimer mon désarroi aux militants qui m’accompagnaient. Je suis restée un moment, décontenancée, à regarder un monstre aux tentacules fumantes, déverser ses boues noires dans la mer, à une centaine de mètres des premières habitations.

Les sinistres dilemmes que ces injustices environnementales mettent en lumière ou engendrent à Gabès ont des explications, bien que compréhensibles, difficilement acceptables.

Les témoignages et les actes de résistance sont néanmoins porteurs d’une partie de la vérité et de la solution. Aujourd’hui beaucoup se soulèvent contre la destruction d’un patrimoine écologique inestimable et nourricier et contre la dégradation de la santé des populations à qui on n’accorde ni le droit de savoir ni les moyens de se soigner.

« Un paradis sur terre » sacrifié sur l’autel du développement

Entre l’oasis et la mer, Gabès, avant l’arrivée du complexe chimique

L’oasis de Gabès : une création de l’homme qui aujourd’hui la condamne lentement

L’oasis est « un écosystème créé par l’homme autour d’un point d’eau dans le désert, entretenu par un système de gestion technique et sociale des ressources en eau » m’explique Amin, agronome au sein de l’Association de Sauvegarde de l’Oasis de Chenini (ASOC)[1]. Gabès est la seule oasis littorale au monde, ce qui lui vaut d’être reconnue par l’UNESCO comme un patrimoine naturel d’une valeur universelle[2]. Dans le passé, ses ressources en eau et sa biodiversité étaient en effet exceptionnelles. Les palmiers dattiers créent en effet un climat propice aux arbres fruitiers et les cultures maraichères qu’ils abritent. Organisée en étage, l’oasis nourrit et fait prospérer Gabès, connu notamment pour ses dates, ses grenades et son henné. A l’époque, on y vit, on en vit, et on peut même se baigner dans ses retenues d’eau (bassins, petits barrages, canaux).

Les gabésiens que j’ai rencontré témoignent d’un attachement déchirant à ce « paradis ». C’est d’abord celui de leurs familles qui, à Gabès, disposaient presque chacune d’une parcelle de ce jardin d’Eden. Abdallah, qui a grandi à Gabès dans les années 1940, me raconte « une enfance paisible », ici dans la partie de l’oasis de Chott Essalem où « tous les habitants vivaient en harmonie de la pêche et de l’agriculture »[3]. Aujourd’hui, les plus jeunes tentent d’imaginer ce dont les anciennes générations se souviennent. Le sentiment d’appartenance à l’oasis continue de se transmettre d’une génération à l’autre, et aujourd’hui, beaucoup tentent de sauver ce patrimoine sans pareil.

De gauche à droite : Ali, Nejib et son fils Mohamed, et Amin, qui oeuvrent à la conservation de l’oasis de Chenini (Gabès)

Par exemple, Amin (à droite) a toujours vécu à l’oasis de Chenini, et travaille maintenant pour l’ASOC. Il me fait visiter le jardin de la biodiversité dont il s’occupe et qui a vocation à conserver de nombreuses espèces locales. Aujourd’hui, elles disparaissent « à cause des dégradations environnementales et de l’invasion des semences de marchés internationaux » me dit-il[4]. Nejib (au milieu) a fait aussi de son terrain un musée qu’il continue de cultiver pendant sa retraite et qu’il espère pouvoir un jour confier à Mohamed, son fils. Enfin il y a Ali, qui s’occupe d’une parcelle consacrée uniquement à la reproduction de semences locales (à gauche).

 

L’homme qui a créé l’oasis il y a des siècles, l’a détruit en quelques décennies seulement. L’industrie chimique a tari les sources d’eau de l’oasis.

« Ras El Oued », soit littéralement « la tête de l’oued », est aujourd’hui asséchée

Dans le film documentaire « Gabes Labess » (« Tout va bien à Gabès ») de Habib Ayeb[5], la parole est donnée aux petits paysans de l’oasis. Ils témoignent de la disparition totale de l’eau depuis le début des années 1980. Elle se pompe désormais en petite quantité et se paie très cher alors qu’elle coulait « en abondance et restait quasiment gratuite » avant l’arrivée du Groupe Chimique Tunisien (GCT). Les pollutions de l’eau et de l’air ont aussi des impacts terribles sur les récoltes, et parfois empoisonnent les animaux qu’on élève aussi dans l’oasis. Bien que beaucoup « ne vendraient leur terre pour rien au monde », certains y ont été contraints car il est devenu difficile d’en vivre, et les enfants désertent peu à peu l’oasis. L’urbanisation souvent anarchique grignote depuis peu à peu l’oasis.

 

Le golfe de Gabès : une pépinière marine devenue cimetière

Le golfe de Gabès a longtemps été reconnu comme la plus grande réserve de poissons et coquillages de Tunisie. Son large plateau continental, la forte amplitude de ses marées et surtout l’existence d’une incroyable diversité biologique, font du Golfe de Gabès une pépinière marine exceptionnelle en Méditerranée.

Aujourd’hui sur la plage de Gabès, la mer recrache tragiquement des tortues marines et des poissons morts. Le golfe est considéré comme un des plus inquiétants « hot spot » (point chaud) de la Méditerranée en termes de pollution.

Selon SOS Environnement Gabès, une page qui documente les impacts de la pollution[6], le nombre d’espèces marines serait passé de 250 en 1965, à seulement 50 aujourd’hui.

Contraints d’aller toujours plus loin au large pour travailler, les pêcheurs manifestent ainsi souvent pour dénoncer la disparition progressive de toutes ces ressources qui nourrissaient et faisaient aussi vivre Gabès.

« Un des plus beaux endroits de la terre » a été ainsi voué à devenir une des plus grandes zones industrielles de transformation chimique en Tunisie, accueillant des sociétés pétrolières et des cimenteries, et notamment le site le plus important de la production d’engrais et d’acide phosphorique du Groupe Chimique Tunisien.

 

« C’est comme une guerre »

« Gabès by night », ou Gabès de nuit, une photo tristement connue sur les réseaux sociaux

C’est en 1972 que Gabès s’ouvre « au développement ». Au départ, c’est une usine qui transforme le phosphate en acide phosphorique, et qui pour cela se dote d’une unité de production d’acide sulfurique. Aujourd’hui ce site produit toujours 57% de la production nationale d’acide phosphorique, un acide utilisé contre l’oxydation dans les laboratoires ou dans les industries métalliques, mais pouvant aussi être ajouté dans la fabrication de sodas, d’engrais ou même de détergents. Jusqu’en 1985, le complexe se développe et s’installent alors une usine de di-ammonium phosphates (DAP, principalement utilisé comme engrais) et une usine d’ammonitrate (également un engrais). Toutes ces sociétés sont publiques et rattachées au Groupe chimique tunisien qui dans le bassin minier extrait et lave aussi le phosphate puis l’achemine ensuite jusqu’aux unités de transformation, voraces en eau, de Gabès mais également de Mdhilla, de Sfax et de Skhira.

A Gabès, on respire depuis maintenant quarante-cinq ans de l’ammoniac, du dioxyde de souffre, du dioxyde d’azote, du fluorure et du sulfure d’hydrogène, et bien d’autres polluants. Et si des décrets encadrent le contrôle et le suivi des émissions[7], un rapport du PNUE reconnait qu’en la matière, « considérant l’importance de l’activité du GCT […], les unités industrielles du GCT ont bénéficiés d’un statut particulier auprès des autorités publiques » chargées de le surveiller[8]. C’est de plus, « à l’exploitant d’équiper les points de mesure et de prélèvement des échantillons », ce qui, selon le même rapport, conduit finalement « le GCT à exercer son propre auto-contrôle ». Les crimes se perpétuent aussi par les abus relatifs à sa « gestion » des déchets rejetés : ce sont les phosphogypses, produits à hauteur de 5 tonnes pour une seule tonne d’acide phosphorique. A Gabès, on produit ainsi 5 fois plus de déchets que de produits exportés. Les quantités sont vertigineuses : c’est 4 590 000 de tonnes de phosphogypses par an si on se réfère aux 900 000 tonnes d’acide phosphorique produites en moyenne annuellement, multiplié par 45 années…

Ainsi, 42 000 m3 de boues gypseuses (mélange d’eau et de phosphogypse) sont déversés dans la mer sans traitement chaque jour dans le Golfe de Gabès, tapissant ainsi ses plages et ses fonds marins. En Tunisie, le phosphogypse est considéré comme un déchet dangereux par la législation tunisienne,[9] en raison de la présence de métaux lourds et de matières radioactives dont la liste est longue : strontium, cadmium, plomb, nickel, radium, uranium, etc.[10]

Le GCT ne s’est pas plus acquitté de la règlementation particulière relative à la gestion des déchets dangereux comme l’indique toujours le même rapport et comme il est possible de le constater par les torrents noirs qu’il déverse dans la mer. Si on se réfère aux mesures réalisées par SOS Environnement Gabès, les taux de radioactivité sur les plages de Gabès seraient de 3 à 4 fois supérieurs à la dose maximum retenue par la commission internationale de protection nucléaire.

Une marginalisation environnementale

« Gabès est la petite Tchernobyl de la Tunisie » pour Nader qui vit à quelques centaines de mètre du Groupe chimique, dans le quartier de Chott Salem. « C’est comme une guerre. Ce n’est pas un hasard qu’ils aient choisi Gabès pour implanter le GCT. Gabès étant une zone touristique par nature, ils ont décidé de le détruire pour que d’autre apparaissent plus favorable ».[11] Abdallah lui, se souvient qu’à l’époque « les gens n’avaient pas forcément conscience des risques que l’on prenait pour l’environnement, et ils se sont réjouis de l’arrivée d’une nouvelle source d’emplois ».

Après le 14 janvier 2011, la section locale de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH) a saisi le processus de justice transitionnelle pour faire reconnaître « Gabès, une région victime de la pollution ». Le dossier déposé en 2016 à l’Instance Vérité et Dignité (IVD) vise à démontrer une marginalisation organisée sur le plan environnemental. Les preuves se concentrent sur les impacts du Groupe chimique tunisien, et ont vocation à non seulement « dévoiler la vérité », mais aussi à faire reconnaître et réparer les préjudices subis par Gabès. Actuellement, ce dossier est toujours en cours de traitement.

« Ici, le cancer s’attrape comme la grippe »

*Témoignage de Sarah, une jeune fille qui habite à Bouchema.

« Ce corps est de Gabès » : le 17 avril 2017 lors de la visite d’une

caravane de solidarité internationale, les photos d’une enfant de Chott Essalem (Gabès) souffrant de graves malformations, sont exposées comme les conséquences directes de la pollution, « le résultat de leur développement ».

 

Longtemps un tabou, les problèmes de santé s’expriment au quotidien mais ne trouvent ni reconnaissance, ni remède.

A Gabès, la maladie « rare » semble devenir « commune » et la mort prématurée ne parait plus arrivée comme « par accident » dans les témoignages d’habitants gabésiens. Parmi ces personnes qui portent les pathologies et les deuils, il y a Rachid et la famille Aji.

Rachid a travaillé 39 ans dans l’Industrie Chimique de Fluor, une société crée par l’Etat Tunisien en 1971 (puis privatisée en 1992) à côté du Groupe chimique tunisien. Il était « un agent technique qui intervenait sur toutes les machines de la société », société spécialisée dans la production et la commercialisation du fluorure d’aluminium. Il raconte :

« Dès 1991, j’ai commencé à ressentir des douleurs aux articulations, j’ai fait de nombreuses radios et j’ai consulté beaucoup des médecins qui jusqu’en 2011, me disaient tous « tu n’as rien, ce ne sont que des rhumatismes ! ». Avant, il était interdit de parler. L’impact de la pollution sur la santé était un tabou. Aujourd’hui, je peux dire que je suis atteint de la fluorose, qui était déjà une maladie professionnelle reconnue à l’échelle internationale, mais qui l’est réellement devenue en Tunisie que depuis 2011 ».

Après le 14 janvier, il décide alors de « mener son combat » au tribunal et à la Caisse Nationale d’Assurance Maladie. Le tribunal a reconnu en 2011 sa maladie et la responsabilité de la société qui l’a exposé à des matières toxiques sans l’avoir prévenu des risques et sans l’avoir un minimum protégé. A cause de la fluorose, Rachid a perdu 40% de ses capacités physiques. « Il n’existe aucun traitement pour guérir ou atténuer la fragilisation osseuse et la calcification des ligaments, je ne peux prétendre qu’à des anti-inflammatoires ». Sa profession dans une usine chimique de fluor, et la classification légale de la fluorose comme maladie professionnelle, lui a ainsi donner une base légale manifeste pour réclamer ces droits (et notamment des dédommagements). D’autres travailleurs de la société l’auraient depuis contacté pour envisager des démarches similaires. Seulement, à Gabès (et dans d’autres régions de la Tunisie), l’exposition professionnelle n’est pas la seule source d’intoxication chronique par le fluor. En effet, les rejets notamment industriels en contiennent – c’est le cas du phosphogypse – et contaminent les sols, les nappes et les eaux de surface, exposant ainsi plus largement les populations. Reste à savoir si cette exposition « différée », dispose des mêmes considérations légales et des mêmes possibilités de recours judiciaires…

Car s’il a été démontré que le régime de Ben Ali empêchait systématiquement les scientifiques d’engager toute étude épidémiologique et les médecins de se prononcer à ce sujet, la parole s’est libérée depuis la chute de son régime. Mais pour autant, est-on aujourd’hui davantage entendu ?

La famille Aji vit dans un quartier de Bouchema, une petite ville à 3km de Gabès, derrière le Groupe chimique. Leur fils Nisar est décédé l’année dernière, il avait 47 ans. En larmes, ses parents se souviennent de sa dernière année, particulièrement douloureuse : l’état de ses poumons et de son foie s’est brutalement aggravé. « Les médecins consultés lui disaient que c’était à cause de la pollution, mais ils n’ont jamais donné de certificat pour prouver ce lien » m’explique sa mère.[12] La famille Aji se rappelle que les premiers symptômes de Nisar étaient apparus en 1994 alors qu’il travaillait dans l’unité de production d’acide sulfurique du GCT.

Allongée sur le lit, la sœur de Nisar, Insaf ne dit pas grand-chose, elle ne fait que tousser. Elle respire difficilement l’oxygène d’un appareil branché qui inquiète sa famille, redoutant les pannes ou les coupures d’électricité. Ces problèmes respiratoires ont commencé en 2015 quand « elle est tombée dans la maison à cause d’une asphyxie » m’explique sa mère :

« Aujourd’hui ses poumons sont complètement asséchés et les médecins nous ont conseillé de l’emmener loin de Gabès, mais nous n’avons pas les moyens de déménager ».

Insaf a reçu la visite du délégué de Bouchema (représentant de l’Etat sur un territoire intermédiaire entre la municipalité et le gouvernorat) qui avait promis de trouver une solution. Par la suite, « les médias sont venus mais ils n’ont pas publié leur reportage », et un représentant du ministère de la santé a également fait le déplacement, mais n’a pas non plus donné signe depuis. « Pourtant l’état de santé d’Insaf nécessite une transplantation pulmonaire de toute urgence » souligne sa famille qui vit avec le sentiment d’être laissée, une seconde fois, à son propre sort.

 

« La science n’a pas démontré le lien direct entre les pollutions et les maladies, mais ça ne veut pas dire qu’il n’en existe pas »

*Moncef, étudiant en médecine et membre de l’association des médecins tunisiens humanistes « Les habitants tiennent la pollution responsable de tous leurs maux, et des personnes malades à Gabès, il y en a beaucoup » témoigne Moncef et Marwen,[13] de l’association des médecins tunisiens humanistes, une association d’étudiants en médecine qui mène des actions de sensibilisation sur Gabès depuis 2012. « Pas encore praticiens », ils s’intéressent beaucoup aux conditions de santé des habitants de Gabès et notamment aux liens entre les maladies et les pollutions. A ce propos, ils disent manquer de moyens (laboratoires, etc.) et d’arguments scientifiques (études, etc.) qui pourraient les accréditer. Marwen a fait des recherches sur l’ostéoporose en coopération avec un institut suisse, car beaucoup de gabésiens en souffrent et ici tout le monde s’accorde à imputer aux pollutions cette maladie qui fragilise gravement les os. Il se souvient des réactions des personnes venues assister à la rencontre publique qu’il avait organisé pour présenter cette « réalité scientifique », soit « l’absence d’étude dans le monde qui prouve un quelconque lien entre l’ostéroporose et les pollutions ». « J’ai bien senti que ce n’était pas ce que les gens voulaient entendre » conclut Marwen d’un ton grave. Pour Moncef, il faudrait d’abord commencer par évaluer le nombre de cas d’ostéoporose à Gabès mais « cela reste compliqué car il faudrait faire passer un examen spécialisé à un grand échantillon de personne, or c’est très cher et il n’y a pas le matériel nécessaire à l’hôpital public de Gabès ».  

Le combat pour l’ouverture d’un hôpital universitaire …

Les états de détresse cristallisent depuis de nombreuses années le combat régional pour l’ouverture d’une faculté de médecine à Gabes, et la transformation de l’hôpital public, en hôpital universitaire. Abdallah[14] milite pour cela depuis plus de 20 ans. Les obstacles n’ont pas manqué jusqu’à ce jour, car beaucoup de gens selon lui, « notamment les médecins, ont intérêt à bloquer un projet qui donnerait de la valeur à l’hôpital public au détriment des cliniques privées ». Même après 2011, il s’est vu refuser l’autorisation de créer une association de soutien à ce projet. Pour lui, en lui refusant « même l’autorisation d’exister, ils veulent nous fatiguer ». Toutefois, les soutiens ne manquent pas auprès de la population : une manifestation a réuni plusieurs milliers de personnes en 2013 selon Abdallah et « un conseil ministériel a cette même année fini par conclure que Gabès méritait d’avoir une faculté de médecine ». Moncef, actuellement en stage au service des urgences de Gabès espère lui aussi ce « changement ». En effet, l’état actuel de l’hôpital de Gabès pousse beaucoup de gabésiens à se rendre à Sfax (140km) voire à Tunis (400km) pour consulter des professeurs et des spécialistes, ou pour accéder à des centres d’analyses et des offres de soins indisponibles près de chez eux. Au-delà de la difficulté des personnes malades d’accéder à des soins adéquats, cette situation conduit à une dispersion des données, et en cela compromet les possibilités d’une étude épidémiologique à un niveau régional. En effet, l’origine des patients n’est pas systématiquement enregistrée dans l’ensemble des hôpitaux régionaux, quand, en plus, le registre

national présenterait de nombreu

x dysfonctionnements. Par ailleurs, pour Moncef et Marwen, certaines données restent inaccessibles dû à « un encadrement lé

gal très restrictif du secret médical ».

 

« Stop killing gabesien people » parmi les slogans de la marche populaire de 2013

… et la transparence des données sur la pollution

D’après Moncef, « pour arriver à faire le lien avec des pathologies, il faudrait également arriver à démontrer les taux de concentration des polluants dans l’air, et pour cela développer des unités de recherche ».

Dans le temps, Ben Ali avait installé en centre-ville, « boulevard de l’environnement », un panneau de mesure de la pollution « en temps réel » : les taux de dioxyde de souffre, d’oxyde d’azote et d’ammoniac ne dépassaient étrangement jamais les seuils autorisés.[15] En 2017, de « fortes suspicions » existent toujours vis-à-vis des mesures réalisées par le Groupe chimique tunisien qui les délivre à l’Agence Nationale de Protection de l’Environnement (ANPE). Cette agence a été interpellée dernièrement à la suite de la publication de la liste des villes mondiales les plus polluées en 2016 que l’Organisation Mondiale de la Santé réalise sur les données renseignées par les Etats. Parmi les 4 villes tunisiennes retenues, Gabès n’y figurait pas ! Reconnues « erronées », les données devraient être normalement rectifiées par l’ANPE, et Gabès et Gafsa devraient trouver finalement leur place dans la liste de l’OMS avant les centres industriels de Tunis, Bizerte et Sfax[16].

A ce propos, l’Agence Nationale de Protection de l’Environnement (ANPE) devrait être prochainement amenée à mettre en œuvre le projet euroméditerranéen Gouv’airnance « visant à créer un système pérenne de suivi de la qualité de l’air » dans le gouvernorat de Gabès. L’association Air PACA[17] (France) sera notamment chargée « d’aider l’ANPE à apporter un diagnostic en trois volets aux acteurs de Gabès : avec la mise à jour de l’inventaire des polluants prégnants dans la région, deux campagnes de mesures de terrain et la mise en place d’outils de modélisation des pollutions ». A suivre donc…

En attendant, des initiatives d’épidémiologie populaire

La société civile tente de répondre à l’absence de sensibilisation, de donnée et d’enquête publique. C’est notamment ce qu’a essayé de faire l’association de Nader, l’association de protection de l’oasis Chatt Sidi Abdel Salem(APOCSG).[18] Dans « Gabès, histoire d’un génocide »,[19] l’association a notamment listé les différents polluants et matières radioactives présents à Gabès et a indiqué pour chacun les impacts potentiels sur l’humain et sur l’environnement. La liste des risques pour la santé est longue, et se vérifie à Chott Essalem selon l’association qui donne l’alerte. Sur la base d’observations et notamment d’une étude statistique qu’elle a menée en effectuant du porte à porte auprès de cent familles, « il existe un niveau inhabituel de maladies chroniques et mortelles directement liées à la pollution comme les cancers, l’infertilité, les fausses couches, les maladies respiratoires et cutanées, les handicaps moteurs et mentaux de naissance, etc. ».

Si une enquête était menée à une plus grande échelle, les statistiques seraient-elles supérieures aux moyennes nationales ? Pour l’instant, ce ne sont que des certitudes basées sur des observations partagées. Une seule étude en santé environnementale est conduite depuis 2016 par Expertise France dans le cadre du Programme de gouvernance environnementale (PGE).[20] La méthodologie – notamment la forme et le degré de participation des habitants et des travailleurs – tout comme les résultats, ne sont pas encore renseignés.

L’information est le nerf de la guerre : comment réellement prendre conscience de l’ampleur des agonies lentes et silencieuses pour continuer de mobiliser, exiger la reconnaissance de toutes ces injustices et exhorter au changement ? Comment tenir responsable de crimes et revendiquer « le droit à un environnement sain », quand la nocuité de son environnement ne peut être « démontrée » ? On ne peut reprocher à certains témoignages, après tant d’années, d’accuser une sorte de fatalité…

« Les gens veulent se débarrasser du Groupe chimique avec la même force qu’ils veulent y travailler »

*Abdeljahbar, syndicaliste de la section régionale de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT)

« Un dilemme digne d’une tragédie »

Pour Abdeljahbar[21], syndicaliste élu au sein de la section régionale de l’UGTT, vivre à Gabès « c’est comme une tragédie, le choix imposé nous pousse à sacrifier une cause qui n’est pas mauvaise dans l’absolu », pour faire référence au « dilemme » qui renvoie dos à dos l’environnement et la santé d’un côté, et de l’autre l’emploi. Les agriculteurs de l’oasis se désespéraient d’ailleurs de voir souvent leurs enfants partir travailler chez le premier employeur de la région. Le Groupe Chimique Tunisien à Gabès, c’est en effet 4000 emplois directs, quelques centaines d’emplois dans les services de sous-traitance, et des personnes rémunérées par les « sociétés de l’environnement » que le GCT finance et qui sont censées « compenser » les impacts écologiques et « soulager » le niveau de chômage.

« Le secteur « industrie chimique » est le plus grand secteur de l’UGTT de Gabès en termes de travailleurs syndiqués » poursuit Abdeljahbar, qui me précise que « les secteurs de la pêche et de l’agriculture sont eux, du ressort du syndicat de l’UTAP, l’Union Tunisienne de l’Agriculture et de la Pêche ». Il faut dire que les rémunérations sont plus décentes qu’ailleurs et les avantages nombreux (le GCT offre notamment un mouton à chaque salarié pour l’aïd, des fournitures scolaires pour la rentrée, propose des locations pour les vacances, etc.).

A Gabès, il n’y a pas vraiment eu de luttes syndicales pour l’amélioration des conditions de sécurité et de santé dans le secteur de l’industrie chimique. « Ces problématiques sont très récentes » m’explique Abdeljahbar. Pourtant, en première ligne de l’exposition aux pollutions, l’ensemble de la zone industrielle compte aussi ses malades et ses morts. Fin octobre 2016, Abdelkader Zidi, un agent de la Société Tunisien de l’Electricité et du Gaz (STEG) opérant dans la zone, meurt suite à une fuite de gaz toxique près de l’usine d’ammonitrate. L’UGTT de Gabès lui rend hommage dans ses locaux en présence de la famille du défunt qui accuse notamment l’Etat de ne pas les considérer « comme des êtres humains ».

A gauche, le rassemblement à l’UGTT en l’hommage d’Abdelkader Zidi, à gauche, sa photo et le message qui ont été diffusés sur les réseaux sociaux et notamment portés jusqu’à la COP 22 par la mouvement Stop pollution et l’Odyssée des Alternatives Ibn Battûta[22].

Le dossier d’Abdelkader Zidi a été transféré depuis peu au tribunal à la suite des conclusions du médecin légiste qui a attesté « d’un encombrement des bronches par une grande quantité de muqueuse ». « C’est bien le signe d’un suffoquement » me précise Abdeljahbar qui continue de suivre les démarches de la famille Zidi. La STEG a d’ailleurs engagé des avocats pour la défendre face à l’usine responsable de la fuite, ce qui ressemble à un pas encourageant de plus dans la lutte contre l’impunité des usines chimique de Gabès.

La section de l’UGTT de Gabès se porte ainsi ponctuellement en soutien des actions portées par le mouvement local, Stop Pollution. Abdeljahbar l’explique par la confiance établie entre le syndicat et le mouvement, mais surtout par la responsabilité historique et sociale de l’UGTT en Tunisie depuis 1946 :

« L’UGTT défend en premier lieu des ouvriers qui ont besoin d’une stabilité de travail et donc une stabilité de l’entreprise. Et en même temps les syndicalistes de l’UGTT ont toujours eu à cœur de défendre d’autres catégories sociales, en essayant de concilier des intérêts contradictoires. On voit la situation dans sa globalité, ses contradictions, ses conflits. L’UGTT tente souvent de défendre plusieurs causes en les approchant par divers angles, mais cela peut arriver parfois que l’on ne soutienne pas un mouvement quand on est incertain de la compatibilité de son agenda avec nos intérêts ».

« L’équation du productivisme inconscient doit changer »

Pour Abdeljahbar, le blocage du groupe chimique n’est ni raisonnable ni utile. Par contre, une nouvelle équation de la production inscrite dans une vision stratégique sur plusieurs années, oui.

« Le groupe chimique nous enseigne que l’équation de la production actuelle doit être repensée : elle doit compter le coût des dépenses en matière de santé et d’eau disponible, mais elle doit aussi calculer ce qu’on a perdu en matière d’agriculture, de tourisme, de pêche ». Le calcul peut se faire rapidement, « le productivisme nous a mené à une perte sèche. Ce modèle de développement doit être abandonné par étape et sur la base d’une vision nouvelle et commune d’un développement durable et équitable ».

Si Abdeljahbar déplore que « cette vision est pour l’instant absente à Gabès », certaines actions et discours semblent œuvrer à la préparer. Parmi ces initiatives, le 11 décembre 2016, la LTDH et l’UGTT de Gabès se sont rassemblés en mettant l’environnement à l’honneur de la journée des droits de l’homme. A cette occasion, Abdeljahbar avait ainsi démontré que l’ensemble des premières générations des droits de l’homme (le droit à la vie, les libertés individuelles et politiques, les droits économiques et sociaux) ne pouvaient garantir la dignité des hommes et des femmes s’ils ne vivaient pas dans un environnement sain. « Pour moi ces générations de droits sont des variantes toutes fondamentales du droit à la vie », conclut-il.

 

Le mouvement Stop pollution : « la pollution n’est pas notre destin »

 

« N7eb N3ich » brise le silence

La première fois que j’ai eu un rendez-vous avec « Stop pollution », ils sont venus à quatre : Jouda, Khayreddine, Mohamed et Ahmed[23].

Plus tard dans l’année, je rencontrerais aussi Haifa, Maryam, Khaoula, Nader, Raouf, Hamza, Zied, Khaled et bien d’autres activistes du mouvement. Ce qui les réunit est « leur lutte contre les crimes environnementaux commis par la zone industrielle de Gabès », et « la défense du droit à un environnement sain ».

La première fois donc, j’arrive dans ce café du centre-ville de Gabès, et c’est assez rare que plusieurs personnes d’un même collectif – jeunes qui plus est – répondent présents à une proposition de première rencontre. Pas de président ni de coordinateur principal. A l’image – idéale – d’un mouvement, la parole est libre, se passe volontiers et se complète, sans convention.

Ils sont revenus sur la création de leur mouvement en mai 2012, un an après le 14 janvier 2011 « qui avait signifié pour beaucoup de gabésiens l’arrêt de la pollution ».

Le 5 juin 2012 pour la journée mondiale de l’environnement, Gabès est sorti dans la rue se faire entendre d’une seule voix : « N7eb N3ich » – je veux vivre !

La marche s’est terminée ainsi par un sit-in sur la plage et un forum citoyen. C’était le premier rassemblement contre la pollution à Gabès. Renouvelée chaque année, la marche du 5 juin est devenue depuis une tradition.

Les membres de Stop Pollution ont toujours tenu à former « un collectif d’activistes plutôt qu’une coalition d’associations afin de rester un mouvement citoyen le plus ouvert et le plus horizontal possible ». Organiser des manifestations de rue, des forums citoyens et des campagnes de sensibilisation sont leurs moyens de « faire pression sur les décideurs pour qu’un changement radical soit opéré ».

Une des premières actions du mouvement fut un sit-in le 18 mai 2013 devant le théâtre municipal de Tunis pour interpeller la capitale. Cette même année-là, la marche annuelle à Gabès réunit plus de 4000 personnes.

A gauche, le sit-in à Tunis en mai 2013 et à droite, la marche du 5 juin.

En 2015, le mouvement Stop Pollution participe au Forum Social Mondial à Tunis, et reconduit l’organisation de la marche et du forum le 5 juin, cette fois-ci devant la zone industrielle. Afin de diversifier les moyens de sensibilisation et de mobilisation, le mouvement commence à intégrer dans ces temps forts, des manifestations culturelles.

Les actions du 5 juin 2015 : une marche, un forum et des performances artistiques

2016 : Une recherche de soutien sur le plan national et international

En août 2016, le mouvement Stop Pollution avaient quatre années d’actions de sensibilisation et de mobilisation derrière lui. Il a gagné beaucoup de soutien populaire à Gabès et de membres actifs dans le collectif (voir la photo ci-dessous). C’est pourquoi, ils décident cette année-là de consacrer le 5 et 6 juin à la tenue d’un Forum plus restreint ayant vocation à former les activistes et repenser leur stratégie.

Les membres de Stop Pollution lors du Forum du 5 et 6 juin 2016, soutenu par la Fondation allemande Heinrich Böll

Les quatre activistes m’évoquent notamment un de leurs ateliers animé par une avocate pour interroger le droit : « C’est impossible de recourir aux cours internationales, car il faut tout d’abord passer par les cours tunisiennes. Or les juges en Tunisie ne sont pas spécialisés en droit de l’environnement et ils exigent des chiffres approuvés pas des organisations « légales », mais qui sont souvent difficiles d’accès ». [24] Pourtant, et pour ne citer qu’une seule convention internationale, un rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement considère en 2012 « les rejets actuels du phosphogypse dans le golfe de Gabès non conformes aux exigences de la Convention de Barcelone, et notamment de son protocole « Pollutions d’origine tellurique ». De nombreux autres constats mèneront le collectif, à l’issue de ces deux jours, à conclure leur communiqué sur « leur détermination à s’ouvrir à des alliances » au niveau national et international afin de défendre la situation de Gabès.

Un an plus tard, et après avoir suivi et participé à de nombreux évènements de Stop pollution, le constat est clair : « la stratégie a été bien suivie » selon Khayreddine[25].

A l’occasion de l’Odyssée des Alternatives Ibn Battûta, le mouvement a organisé un forum de l’environnement fin octobre 2016 à Gabès pour accueillir des activistes tunisiens et étrangers. En escale en Tunisie, une flottille de bateaux était partie des rives nord de la Méditerranée, et s’apprêtait à repartir ensuite pour l’Algérie et le Maroc afin assister à la COP22.

Certains membres du mouvement Stop pollution ont d’ailleurs embarqué et sont allés participer aux activités de l’espace auto-généré à Marrakech pour rencontrer et échanger avec des mouvements et associations venus du monde entier.

Pour Khayreddine, un des représentants du mouvement à Marrakech, « cela a permis de parler beaucoup de Gabès et de vraiment expliquer les impacts de la pollution sur les populations et l’environnement. Les gens ont été touchés. Gabès est cité d’ailleurs dans la Déclaration finale des mouvements sociaux aux cotés de « ceux qui sont en première ligne de la lutte contre l’extractivisme, à Imider, à Gabès, à Aïn Salah, à Standing Rock, et à Notre-Dame-des-Landes ». Par la suite, « il faudra passer à l’action qui concrétisera ce soutien et organisera cette mobilisation internationale autour de Gabès ».

Enfin, au niveau national, Khayreddine évoque la participation du mouvement à la création d’une Coalition tunisienne pour une justice environnementale en avril à Gabès, formée par diverses associations. Il revient aussi sur le Congrès national des mouvements sociaux en mars qui a été l’occasion « de rencontrer, et de réfléchir à une solidarité entre mouvements qui existent comme nous dans d’autres régions en Tunisie »[26]. La coordination entre mouvements socio-environnementaux qui a été formée à cette occasion doit permettre selon lui, « d’aider les militants de terrain dans leur lutte au quotidien, et de permettre que leurs causes communes soient davantage entendues et avancent en Tunisie ». Cette réunion des mouvements a enfin également permis « de faire des liens avec d’autres luttes en Tunisie », car « il n’y pas un mouvement qui peut tout seul changer ce système qui ne respectent ni le droit de vivre, ni la dignité ». Cette conclusion renvoie, finalement aussi, à l’actualité des mouvements survenus pendant l’année 2017 à Gabès, et qui ont été soutenus par le mouvement Stop Pollution.

 

En 2017, la résistance au pluriel à Gabès

Revenir sur trois mouvements apparus cette année dans le gouvernorat de Gabès, nous permet d’appréhender différentes manières de vivre la pollution et de se mobiliser. Cela nous permet également d’introduire deux questions : celle des solutions avancées par les autorités (et celles qui sont négligées), et celle des répercussions au sein de la société civile de Gabès.
Oudref : la lutte contre « le crime à venir »

11 février 2017. Les habitants d’Oudref, manifestent devant le théâtre municipal de Tunis. Sur leur pancarte on peut lire différents slogans en arabe, en français et même en anglais, mais s’il fallait en retenir un seul : « Non au projet de rejets de phosphogypses à Oudref ». Leur manifestation est reconduite le lendemain dans cette petite ville « en danger » à une vingtaine de kilomètres de Gabès.

L’histoire semble se répéter pour Oudref. Le mardi 16 octobre 2012, une grève générale avait été entamée pour protester contre le même projet d’acheminement et de stockage du phosphogypse qui avait été annoncé par le gouvernement. Les habitants craignaient que la mise en terril du phosphogypse à proximité de leur lieu de vie engendre des pollutions de l’air, de l’eau et des sols comme c’est le cas à Sfax, Skhira et Mdhilla. Cette localité d’environ 10 000 habitants avait ainsi poussé l’Etat tunisien à abandonner cette solution en 2013. En 2014, l’Etat renégocie alors une partie du budget initialement prévu pour la décharge et alloué par l’Union Européenne (UE), et vise alors plutôt un « projet de gouvernance » jugé plus « opportun » dans un tel contexte. « Le PGE Gabès », Projet d’appui à la Gouvernance Environnementale locale de l’activité industrielle à Gabès », est ainsi lancé en 2015. Il est actuellement piloté par Expertise France, et est financé à hauteur de 5 millions d’euros par l’UE.

En 2017, Oudref ne semble pour autant pas complètement hors d’atteinte : les habitants se remobilisent suite à l’avis d’un comité scientifique du Gouvernorat de Gabès rendu en février, qui se prononce pour le même projet de stockage à Oudref qu’en 2013. Ils souhaitent toujours bloquer ce projet consistant vraisemblablement en une délocalisation de la pollution tout aussi contesté là où elle sévit actuellement.

Chott Essalem : première victime du « fardeau historique »

20 Mars 2017. C’est la journée de commémoration de l’indépendance, mais c’est également un jour de manifestation pour la campagne « Sekker Lamsob » (« Fermez les vannes de déversement », sous-entendu du phosphogypse). Sous la pluie, plus d’une centaine de personnes, à pied et à mobylette, s’est regroupée non loin du centre de Gabès pour marcher vers la maison des jeunes de Chott Essalem, le quartier à peine à 500 mètres du GCT. Là-bas, le drapeau tunisien sera monté et l’hymne national chanté, avant que les discours et les pièces de théâtre jouées par les enfants viennent appeler à l’arrêt de la pollution de la plage et de la mer.

Il y a un an, quand je rencontrais Nader un activiste de Chott Salem, il se désolait d’une certaine « passivité des populations » mais la comprenait : « Ils pensent qu’ils sont considérés comme des citoyens de deuxième niveau. Il y a eu beaucoup de promesses non tenues pour faire cesser le rejet de phosphogypse dans la mer et sur les plages de Chott Salem, beaucoup de tableaux périodiques de dépollution sans cesse reportés, et finalement aucune solution, aucun travaux sérieux depuis 5 ans ». Il m’expliquait que la société civile à Chott Salem avait « consacré du temps à la recherche et à l’analyse » mais que depuis 2015, « elle en avait conclu que ce n’était pas efficace »[27]. On peut comprendre en effet, « qu’après 45 ans de pollution, les revendications se radicalisent »[28].

La campagne « Sekker Lamsob » semble donc s’inscrire dans cette réorientation : elle vise principalement la mobilisation et la pression de la rue. Avec ses amis Safouen et Yosri, ils sont parmi les initiateurs de cette campagne et reviennent sur le premier semestre de 2017 : « Nous avons décidé d’augmenter la fréquence des évènements pour pousser à une solution radicale : après deux manifestations le 20 février et le 20 mars, « Sekker Lamsob » a organisé le blocage des rails des trains acheminant le phosphate du bassin minier au GCT de Gabès, le 3 mai.

A la suite de cet évènement, nous avons exigé une décision sur ce dossier (déversement du phosphogypses) dans un délai de 15 jours ». Le 15 mai, à la suite d’une réunion ministérielle, le gouvernement a déclaré que le séminaire du GCT du 24 et 25 mai, serait « un rendez-vous pour discuter entre ministres et associations et prendre en charge le dossier » me précise Yosri. Depuis, le séminaire est passé, et rien n’a été encore fixé mais il reste une échéance importante selon eux : « Le 30 juin 2017 est une date qui a été fixée en octobre 2016 à la suite d’une réunion avec le gouverneur, les représentants des 7 délégations de Gabès et les associations, pour l’arrêt total du phosphogypse dans la mer. Dans deux semaines, le 1er ministre devra rendre sa décision finale et nous espérons qu’il fixe un planning clair » conclut Yosri.[29]

Nous reviendrons sur les « options » présentées par le gouvernement et le GCT dans le cadre de ce dossier, d’autant plus qu’en dépend également une autre problématique, non moins cruciale : les pollutions de l’air.

Bouchema : « La couleur des visages de nos enfants est devenue bleue »

Le 6 mai 2017. Devant l’école de Bouchema, des parents mais également des enfants bloquent la route principale, celle que l’on emprunte généralement pour se rendre à Gabès, à peine à 3 kilomètres au sud. Des enfants viennent d’être hospitalisés, asphyxiés par du dioxyde de souffre en provenance du Groupe chimique, qui s’est répandu dans la matinée sur Bouchema. Pour dénoncer les effets de la pollution, ils débuteront cinq jours plus tard une grève générale et un sit-in, qui se maintiendront pendant deux semaines.

Quand j’arrive à Bouchema, la grève et le sit-in viennent de se terminer. Les premiers habitants que je croise, parlent beaucoup de Saida, une habitante de Bouchema. On s’est mis à la chercher dans les rues du quartier en face de l’école. Quand je l’ai rencontré, Saida était avec plusieurs de ses amies du quartier, des mères d’élèves de l’école elles-aussi.

Ce samedi 6 mai, c’est un enfant dans les rues de Bouchema qui prévient Saida qu’une foule s’est formée devant l’école Abdelmejid Bouchema. « Alors j’y suis allée sans réfléchir, car j’ai ma fille Chadha de 9 ans qui était en classe à ce moment-là » commence Saida[30]. Là-bas, elle m’explique avoir rencontré le directeur et la maîtresse qui l’informent qu’une forte odeur de gaz a soudainement envahi les classes. Elle m’avoue ne pas avoir réagi tout de suite : « je suis restée silencieuse parce que pour nous la pollution c’est quelque chose d’habituel, alors je n’ai pas pensé que c’était quelque chose de grave ». Quand elle est rentrée dans la classe, elle a retrouvé sa fille, le visage bleu.

Alors, « en croisant d’autres parents d’élèves devant l’école venus chercher leur enfant, j’ai décidé de bloquer la route et ai appelé tout le monde à me rejoindre. Les femmes m’ont suivies.

J’ai le sentiment de ne pas avoir bien défendu les droits de mon mari quand il est mort il y a maintenant 7 ans d’un accident dans le Groupe chimique tunisien. Je ne suis pas prête à revivre ça pour ma fille ».

Saida a emmené sa fille ce jour-là à l’hôpital, car « dans le dispensaire de Bouchema, il n’y a pas le minimum pour soigner ». A l’hôpital, sa fille a reçu de l’oxygène pendant une heure et demi, mais à la fin « ils n’ont pas voulu donner de certificat médical, seulement des certificats de présence ».

Ritej, la petite fille d’une des amies de Saida, explique que les enfants aussi ont participé au blocage de la route ce samedi-là, « en solidarité avec les cas graves de nos camarades » et que le lundi, après le passage du gouverneur, ils ont entamé « une marche qui a fait tout le tour de la ville ». Ahmed, un ami de Ritej qui est là aussi, explique qu’ils ne sont pas allés à l’école ni le lundi, ni le mardi avant de retourner en cours le mercredi, puis que la grève générale a commencé le jeudi. » Saida m’explique que ce jeudi-là, malgré les propositions d’arrêter la grève dans la journée, « les femmes ont insisté pour continuer la grève jusqu’à 18 heures ! Elles ont résisté car elles sont très touchées par la santé de leur enfant ». Les principales revendications étaient l’arrêt de la pollution ainsi que l’amélioration des services de santé et des conditions scolaires. Sur les banderoles restées devant l’école, on pouvait lire encore deux semaines après : « Où est l’article 45 de la constitution ? », « Où est l’hôpital universitaire ? » et « Où sont les droits des citoyens ? ».

Sara, une jeune fille derrière Saida qui dit avoir de nombreux problèmes de santé, insiste : « il ne faut pas parler uniquement de cet incident, mais de tous les problèmes : de l’air constamment pollué qui provoque des cancers, et aussi le rejet d’acides dans la mer. On ne demande pas de dédommagement, car à l’avenir il y aura d’autres victimes. On demande une solution totale ».

 

« Nous avons l’obligation d’être unis maintenant plus que n’importe quand »

*Khayreddine, militant de Stop pollution

Problème simplifié, solution partielle

Pour Khayreddine qui a suivi et soutenu ces actions protestataires, «il faut que ces dynamiques rentrent davantage en coordination ». Il rend responsable les autorités successives « qui ont réussi à consommer le temps avec des réunions et des séminaires, mais aussi à diviser le problème quand elles focalisent aujourd’hui les attentions sur la problématique de phosphogypse et pour laquelle elles avancent l’unique solution de stockage. Il y a des gens désespérés qui seraient d’accord pour le stockage car il est présenté comme la plus rapide voire la seule solution pour l’arrêt du déversement. Cela engendre non seulement du découragement et des combats secondaires entre des territoires mais cela s’avère aussi un piège dangereux, car pendant ce temps-là on ne parle pas de la pollution aérienne qui fait le plus grand nombre de victimes à Gabès ».

Khayreddine fait référence ici aux différents évènements qui ont cherché cette année à consulter la société civile, et à animer la concertation avec les autorités et les industriels. Deux séminaires particulièrement ont témoigné selon lui de « l’intention d’orienter et limiter l’horizon des possibilités et restreindre la recherche de solution » : le séminaire d’information sur la valorisation du phosphogypse organisé le 9 mars dans le cadre du PGE (évoqué précédemment), et la rencontre internationale organisée par le Groupe chimique Tunisien le 24 et 25 mai dernier.

 

La valorisation : le phosphogypse qui cache la fumée ?

Pour avoir assisté au premier (PGE), je peux dire que l’évènement était ouvert à tous (ce qui n’était pas le cas du deuxième), et a réuni des hommes d’affaires comme des habitants, des experts comme des acteurs politiques (députés, gouverneur).

La matinée a été consacrée aux présentations d’un « expert international », et d’un « expert tunisien » en l’occurrence ex-PDG du Groupe chimique en 2013. Ce dernier a d’ailleurs lui-même souligné que « chaque gouvernement parle tour à tour de l’un ou l’autre aspect du problème (pollution atmosphérique et phosphogypse) mais ne s’est jamais concentré sur un seul ».

L’objectif était donc de « tracer des ébauches de pistes pour le futur et apporter un point de vue externe » pour l’expert belge qui a ainsi présenté les conditions de valorisation du phosphogypse en Tunisie sur la base de l’état des recherches et des expériences internationales. 5% est la part de phosphogypse valorisé dans le monde, « ce qui donne une idée de la problématique » selon l’expert qui prévient, « vous n’êtes pas les seuls, et il n’y a pas de solution miracle ». Toutefois, estimant que « le phosphogypse tunisien ne dépasse pas de manière choquante les taux de métaux lourds, et notamment le taux de radium par rapport au niveau mondial », il qualifie les 4,6 tonnes de phosphogypse produites par an en Tunisie « de potentiel ». Sont ensuite exposées les possibilités et les risques de la valorisation par secteur. A titre d’exemple, dans l’agriculture la valorisation aurait vocation à améliorer le conditionnement des sols mais présente des risques de contamination par l’absorption des cultures, d’inhalation dans l’application et de contamination de la nappe phréatique. Dans les matériaux de construction, il serait possible de produire de l’additif ciment, du plâtre, voire des briques mais cela pose la question des risques d’exposition des populations aux radiations. D’autres applications ont été exposées : les applications marines (stabilisation des côtes), les utilisations en tant que matière pour remplir les mines (comme cela a été fait en Belgique) ou pour la synthèse de produit par exemple. Ce que l’on retient de tout ce « potentiel » sont les conditions dont il dépend : les études d’impact absentes ou à ce jour incomplètes notamment en Tunisie, de lourds investissements, les risques, les réglementations de l’usage, etc. Il conclue malgré tout « que le rejet n’est plus acceptable et le stockage est inévitable ». De son coté, l’expert tunisien a démontré tous les intérêts de la valorisation du phosphogypse comme la lutte contre la décalcification des sols ou l’avantage concurrentiel vis-à-vis du Maroc par exemple. Sa dernière diapositive conclura d’ailleurs sans ironie : « Le phosphogypse est … une mine d’or ! ».

Cette première matinée a laissé un court moment à la salle pour réagir librement. Malgré ces possibles solutions à la pollution, certains militants témoignent de la méfiance considérant l’angle trop restreint pour discuter d’une vision globale sur le secteur du phosphate à Gabès : « j’ai peur que cette présentation anéantisse tous nos objectifs et luttes pour l’environnement et la santé, car il vise à nous dire que les déchets sont maintenant des richesses » s’est notamment exprimé un habitant de Chott Essalem.

L’après-midi a été consacrée à un atelier pour mettre « tout le monde dans le même bateau « Valorisation » » et envisager les leviers, freins, objectifs et étapes pour chacun des secteurs présentés. Parmi les « bouées » (étapes), deux semblent particulièrement aiguiller la navigation : la déclassification du phosphogypse comme déchet dangereux (devenant ainsi « co-produit »), ainsi que les opportunités de stockage.

Si les perspectives de valorisation ont au moins le mérite d’être des solutions aujourd’hui débattues et susceptibles d’encourager l’arrêt du déversement des phosphogypses, elles ne lisseront que superficiellement les conflits si elle ne vise que l’acceptabilité du stockage. Pour Khayreddine en effet, ce n’est qu’une partie de la réponse « car pendant tout ce temps-là personne ne posait la question du démantèlement et de la délocalisation du Groupe chimique tunisien. Il existe pourtant des endroits où le rayon est assez loin des premières habitations et où l’impact sur l’environnement est réduit. Maintenant, il nous faut une solution pour le phosphogypse qui nous aide à trouver une solution globale ».

Un horizon commun à la fois souhaitable et possible : le démantèlement

 

Ali, un ingénieur en pétrochimie à la retraite qui connait bien le sujet, partage le même avis. Il a assisté à la conférence donnée par le Groupe chimique tunisien, le 24 et 25 mai dernier qui devait justement « s’attaquer au dossier du phosphogypse » comme me l’avaient également expliqué les militants de Chott Essalem.

« Ce qu’il est important de retenir, selon Ali, est que trois solutions ont été avancées : le stockage, la valorisation, et le démantèlement des unités de production de l’acide sulfurique et de l’acide phosphorique qui sont à l’origine des déchets de phosphogypse ». Lors de ce séminaire, il m’explique que les interventions d’experts ou de cadres du groupe chimique ont convergé sur un point : la valorisation en ligne (sans nécessité de stockage) est impossible, et donc par conséquent le stockage est obligatoire. Pour lui, le stockage est d’ailleurs systématiquement présenté comme la solution la plus rapide, « mais elle ne sera pas effective avant cinq ans » (à noter que si l’acheminement se réalise effectivement jusqu’à Oudref, en termes de distance, le dispositif deviendrait un « record mondial »).

« Or en cinq ans, on pourrait très bien appliquer les 3 solutions ». Un projet d’investissement sfaxien et chinois (de 400 millions d’euros) qui a été présenté à cette occasion, l’encourage d’autant plus à le penser : « ce projet promet de valoriser 20 000 m3 de phosphogypse par jour pour faire du ciment, soit 50% de la production journalière de Gabès. Le stade technique (étude de faisabilité, etc.) de ce projet est dépassé et il a été proposé au ministre pour l’implanter vraisemblablement à Skhira en 3 ans seulement (où il y a déjà des unités de production d’acide phosphorique du Groupe chimique). Ce projet de valorisation représenterait de plus environ 2000 emplois ! ». Selon Ali, « avec la somme d’argent que l’UE (via la BEI) réserve pour arrêter la pollution marine à Gabès, on peut ainsi démanteler et délocaliser les unités de production à Skhira, pour arrêter non seulement le phosphogypse mais également les émanations de dioxyde de souffre et du sulfure d’hydrogène à Gabès ».

 

Juin 2017 : Gabès, inchallah labess

* « inchallah labess » est une expression tunisienne pour souhaiter la guérison d’une personne malade ou de manière générale, la résolution de ses problèmes

Le démantèlement – et la délocalisation –signera-t-il la fin de la tragédie gabèsienne le 30 juin prochain ? « On attend tous la décision et la feuille de route promises par la ministre Hela Cheikhrouhou dans le courant du mois de juin » me précise Khayreddine. « Il faut faire la pression dans ce sens ces prochaines semaines ». Stop Pollution a d’ailleurs lancé depuis quelques jours à Gabès « Une pétition pour le démantèlement des unités polluantes », et a lancé plus largement un appel à soutien « aux activistes de l’environnement dans le monde ». Le mouvement prépare également une manifestation sur la mer avec l’aide des pêcheurs, fin juin.

On aimerait penser que Gabès n’a jamais été aussi proche de sa délivrance, mais par ici, les effets d’annonce, on en a connu beaucoup. Si le droit international de l’environnement et la constitution tunisienne ne tiennent pas leurs promesses, que les voix de Gabès restent inaudibles par les autorités et les industriels, n’est-il pas temps que les solidarités nationales et internationales s’expriment pour appuyer la lutte contre un des plus grands et longs crimes environnementaux commis en Tunisie au nom du développement et des exportations ?


  [1] Page facebook : https://www.facebook.com/AssociationDeSauvegardeDeLOasisDeCheniniGabesasoc/ [2] Page du site internet de l’UNESCO : http://whc.unesco.org/fr/listesindicatives/5386/ [3] Entretien du 28 aout 2016 [4] Entretien du 25 aout 2016 [5] Disponible sur Demmer, le blog d’Habib Ayeb : https://habibayeb.wordpress.com/2015/11/22/gabes-labess-online-en-ligne/ [6] Page facebook de SOS Environnement Gabès : https://www.facebook.com/sos.environnement.gabes/ [7] Comme le décret n°2010-2519 qui fixe les valeurs limites à la source des polluants de l’air de sources fixes [8] « Réforme politique concernant la gestion du phosphogypseen Tunisie, Phase 1 : Evaluation de la situation actuelle », 2012, Plan d’Action pour la Méditerranéen, PAM/PNUE [9] Le décret n°2000-2339 [10] Toutes ces informations sont contenues dans le rapport du PNUE, cité précédemment. [11] Entretien du 27 aout 2016 [12] Entretien du 25 Mai 2017 [13] Entretien du 26 Mai 2017 [14] Entretien du 28 aout 2016 [15] Eric Goldstein, « Tunisia’s legacy of pollution confronts democratic politics », 2014 : https://www.opendemocracy.net/north-africa-west-asia/eric-goldstein/tunisia’s-legacy-of-pollution-confronts-democratic-politics [16] S. Ilse et F. Houissa, « Gabes – Une oasis tunisienne toujours polluée », article disponible sur le site de la Fondation Heinrich Böll, Afrique du Nord : https://tn.boell.org/fr/2016/07/04/gabes-une-oasis-tunisienne-toujours-polluee [17] Air PACA est une association agréée par le ministère en charge de l’Environnement pour la Surveillance de la Qualité de l’Air de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Sud-Est de la France). Elle est composée de collectivités territoriales, de services de l’Etat et d’établissements publics, d’industriels, d’associations, de personnes qualifiées et/ou de professionnels de la santé : http://www.airpaca.org/article/lassociation-air-paca [18] Page facebook : https://www.facebook.com/APOCSG/ [19] p. 23 et 24 [20] Site internet du projet : http://pge-gabes.org/ [21] Entretien du 26 mai 2017 [22] D. Robert, « Reportage : Mobilisation internationale contre la pollution de Gabès », octobre 2016, Nawaat [23] Entretiens le vendredi 26 aout 2016 [24] A ce propos, lire le compte-rendu du Colloque international sur « le juge et l’environnement » organisé par la faculté de droit de Sfax et la Fédération tunisienne pour l’environnement et le développement, par Jihen Mathlouthi dans la Gazette du Sud, mars 2017. [25] Entretien du 28 mai 2017 [26] Lire à ce propos, T. Bresillon, « En Tunisie, les mouvements sociaux cherchent à s’unifier », FTDES [27] Entretien du 27 aout 2016 [28] Pour faire référence au titre de l’article d’Henda Chennaoui, Nawaat, Avril 2017. [29] Entretiens du 26 mai 2017 [30] Entretien du 25 mai 2017

TUNISIE : Evacuation du camp de Choucha

Au lendemain de l’évacuation forcée et soudaine du camp de Choucha, le 19 juin 2017, les organisations signataires réitèrent leurs inquiétudes quant à la position adoptée par les autorités tunisiennes dans la gestion du dossier des personnes qui étaient encore présentes sur place. Il est impératif que des solutions respectueuses des droits fondamentaux soient trouvées pour toutes les personnes évacuées.   L’acheminement précipité et forcé d’un groupe de 35 personnes vers Tunis dans des conditions déplorables et leur privation arbitraire de liberté à la gare de Tunis pendant toute la journée du 20 juin fait craindre des arrestations collectives, voire des opérations de déportations, comme ce fut le cas en décembre 2016 à la frontière avec l’Algérie.   Devant le refus des autorités à gérer la situation dans le respect des droits fondamentaux des personnes migrantes et réfugiées en accord avec les conventions internationales ratifiées par la Tunisie, notamment la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, la Convention de Genève relative au Statut des Réfugiés, la Convention Internationale contre la Torture, le Pacte International sur les Droits Civils et Politique, ainsi que la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, et devant le refus discutable du HCR d’examiner toutes les situations individuelles au regard du contexte actuel pour chaque personne, les organisations signataires appellent les autorités tunisiennes à :  
  •    Garantir les droits fondamentaux des personnes concernées en termes d’accès à l’information, à un recours suspensif et à une aide juridique pour toute procédure engagée les concernant
  •    Adopter un cadre juridique national sur l’asile et la protection des réfugiés et le projet de loi sur les discriminations raciales
  •    Réviser la loi 2004-6 pénalisant les entrées et sorties irrégulières du territoire et établir un cadre légal sur les migrations respectueux des droits fondamentaux
  Les organisations signataires appellent également les organisations internationales à :  
  • A agir en urgence pour que les autorités tunisiennes adoptent un traitement équitable et respectueux des droits des personnes restées en Tunisie après la fermeture du camp.
  • Apporter assistance et aide aux personnes pour assurer la dignité de leurs conditions de vie (logement, eau, nourriture, soins)
  • Réexaminer les demandes d’asile
Devant les menaces graves de violations des droits de ces personnes, les organisations signataires se constituent en comité de vigilance et de suivi de la situation.   Organisations signataires  
  1. Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux
  2. Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l’Homme
  3. Fédération des tunisiens pour une citoyenneté des deux rives
  4. Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT)
  5. Association citoyenneté et Libertés Jerba
  6. Association des Etudiants et Stagiaires Africains en Tunisie (AESAT)
  7. Union des Leaders Africains (ULA)
  8. Centre de Tunis pour la migration et l’Asile (CeTUMA)
  9. Association Tunisienne des Etudes Scientifiques sur la Santé, la Population et la Migration (ASPOMIS)
  10. Afrique Intelligence
  11. UTOPIA Tunisie
  12. Association Tunisienne de Défense des Droits de l’Enfant
  13. EuroMed Droits

OST: Rapport Mai 2017 des mouvements sociaux

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Rapport de l’Observatoire Social Tunisien

 Mai 2017

            Les protestations citoyennes ont continué avec la même intensité au début du mois de Mai, surtout dans le sud tunisien et spécialement dans le gouvernorat de Tataouine et les gouvernorats environnants à des degrés moindres. Ces mouvements ont commencé il y a deux mois environ en connaissant une évolution graduelle pour finir en escalade et affrontements avec les forces sécuritaires.

            Sans rentrer dans une chronologie des événements et les outils de développement et loin des différentes lectures dans les milieux médiatiques et politiques tunisiens qui ont accompagné l’évolution des événements dans plusieurs régions, le dossier du développement régional continue d’être l’essentiel des différentes problématiques socio-économiques et politiques en Tunisie.

             Sans rentrer, également, dans les contextes et impactes liés au développement depuis l’Etat providence jusqu’à ce jour puisque le contexte ne s’y prête pas, les différents plans de développement sur les différentes décennies ont contenu des programmes et outils pour mettre fin au déséquilibre de développement. Ces programmes ont permis des réalisations importantes dans toutes les régions sans exception et ont contribué, de manière importante, dans l’évolution du bien-être aussi bien au niveau de l’éducation, l’enseignement, la santé de bas, le transport, l’habitat et l’emploi sans permettre aux régions intérieures et frontalières d’élever leur niveau de développement et de vie et ceci expliquent l’existence continue des mouvements de protestation dans ces régions depuis des décennies.

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Kairouan: Violations de l’environnement

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Rapport du premier trimestre 2017 sur la « Harga » en Tunisie

Durant le premier trimestre de 2017, 29369 migrants sont arrivés en Europe par voie maritime contre 172062 en 2016. Cela représente un déclin de 83% par rapport à la même période de l’année précédente. Le nombre de migrants irréguliers arrivés sur les côtes grecques ne cesse de diminuer. Cependant, les traversés maritimes en méditerranée centrale et occidentale ont augmenté. En effet, le nombre d’arrivés en Espagne a plus que doublé (56%) en 2017. De même et durant la même période une augmentation de 27% a été enregistré pour ceux qui ont rejoints les côtes italiennes. Français

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