Les inondations du sud-est tunisien : Entre la Nature et l’Etat, qui est au secours ?

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Les inondations du sud-est tunisien : Entre la Nature et l’Etat, qui est au secours ?

Après un été sec faisant partie de la série des étés les plus chauds jamais enregistrés dans l’histoire de la météorologie moderne, le sud-est tunisien a été noyé, pendant les 2 jours du 11 et 12 novembre, par des pluies torrentielles qui a engendré des inondations. Ces inondations ont causé des dégâts aussitôt matériels que humains. A savoir, un bilan de 5 décès, dont le chef du poste de la garde nationale de Matmata, Mehdi Haddad et le délégué de la ville, Mohsen Ben Assi (encore porté disparu), ainsi 117 évacuations (1).

Nature ou infrastructure ?

En fait, le passage d’une saison à une autre est toujours caractérisé par des changements météorologiques. Accentués par le réchauffement climatique, ces changements sont devenus plus aigus. C’est le cas des pluies torrentielles qui ont précipité sur le sud-est tunisien dans le passage automne – hiver. Cependant, les dégâts causés par ces pluies sont les résultats d’une infrastructure très fragile et archaïque. En effet, le débordement des oueds, la noyade des rues et l’inaccessibilité aux écoles sont derrière la catastrophes que les citoyens de Gabès, Medenine et Tataouine ont vécus.

Le chef du poste de la garde nationale et le délégué de Matmata étaient dans une patrouille de sauvetage et de suivi quand leur voiture a été emportée par le flot (2). Résultat : le décès du premier et la disparition du second. De plus, les 3 gouvernorats étaient dans la paralysie totale que ce soit pour les citoyens en danger ou pour les efforts de sauvetage. Des routes sont bloquées surtout à Gabes à savoir la route régionale 55 qui dirige vers Mareth et la route nationale 1 vers la ville de Zarat. Le coût total des pertes est évalué à 10M de dinars pour les routes et 5M de dinars pour les cours des oueds (3). Des élèves sont évacuées des écoles comme à Matmata El Jadida, le samedi 11 novembre (4). D’autres écoles sont inaccessibles carrément comme c’est le cas pour 3 écoles à Ben Guerden (5). Ainsi, la distribution des eaux potables est perturbée voire coupée dans plusieurs régions telles que les villes de Hamma et Ouedhref avec des coupures de l’électricité à la ville de Medenine. D’aieurs, dans une intervention de réparation, un agent de la STEG meurt électrocuté en essayant de rétablir l’électricité (6).

Cette situation de l’infrastructure a conduit à une catastrophe nationale qui dépasse son aspect « naturel » et qui pose des questions sur les stratégies adoptées par l’Etat tunisien dans la prévention et l’intervention face aux catastrophes naturelles. Ceci lève des soucis surtout devant une saison hivernale qui s’annonce dure.

Mieux vaut prévenir que guérir

            La loi n°91-39 du 8 juin 1991, relative à la lutte contre les calamités, à leur prévention et à l’organisation des secours (7) précise les mesures à prendre par les autorités dans les cas similaires à celui de ces inondations. Dans son Article 2, on cite « les secours sont organisés et les mesures nécessaires pour prévenir les calamités et pour y faire face avec tous les moyens disponibles, sont prises dans le cadre d’un plan national et des plans régionaux. ».

Alors, suite aux alertes météorologiques communiquées par l’Institut National de la Météorologie (IMM) (8), les commissions régionales de lutte contre les catastrophes naturelles se sont tenues à Tataouine et à Medenine sous la présidence des gouverneurs des deux régions (9). Cependant, l’application de la loi a été ignorée, dans son côté préventif, par le gouverneur de Gabès. Toutefois, l’IMM a annoncé, au début du mois de novembre, que les changements météorologiques seront aigus à la fin de la 2ème semaine du mois.

Pis, le délégué de Mareth a averti médiatiquement en indiquant la possibilité du débordement des oueds (10), mais, le gouverneur de Gabès n’a pas bougé. Conséquences : des citoyens morts et des écoles évacuées.

Alors, c’est seulement après le décès du chef du poste de la garde nationale et du délégué de Matmata, le samedi 11 novembre, que le comité régional de la lutte contre les catastrophes de Gabès s’est réuni pour évaluer la situation (11).

Le lendemain matin, le chef du gouvernement arrive à Gabès (12) après une visite au Caire. En fait, il a détourné son avion parti à l’aéroport Tunis – Carthage vers l’aéroport de Gabès. Il a alors convoqué le gouverneur pour une cellule de crise. Parmi les sorties de la réunion de la cellule de crise, Youssef Chahed a promis de de fournir plus de fonds pour lutter contre les inondations (13).

De point de vue national, le ministre de l’Agriculture, des Ressources Hydrauliques et de la Pêche a présidé le comité de lutte contre les catastrophes naturelles (14). Ce comité a publié un communiqué qui dénombre les dégâts sans proposer des solutions ou des mesures à adopter. Il est à rappeler, qu’au 1er novembre, ce ministre a annoncé l’activation du fonds des catastrophes naturelles estimée à 60M de dinars, au cours de l’année 2018 (15).

Weekend des deux F : Football. Festival

Les pluies précipitées sur le sud-est de la Tunisie ont commencé à la fin de la journée du 10 novembre. Ces pluies sont devenues plus fortes le lendemain. Cependant, toutes les caméras sont penchées vers deux événements majeurs de la journée : La journée de clôture des Journées Cinématographiques de Carthage (JCC) et le match de qualification de la sélection nationale à la coupe du monde 2018.

Mis à part l’attention des citoyens à ces deux événements, les autorités aussi étaient occupées. Au stade de Radès, les mesures sécuritaires étaient à cheval, sous la responsabilité du ministère de l’intérieur. Le match a débuté à 18h30, juste après la disparition du chef du poste de la garde nationale et le délégué de Matmata. Alors, il faut noter que la loi, relative à la lutte contre les calamités, à leur prévention et à l’organisation des secours, postule dans son Article 3 qu’« Il est créé auprès du ministre de l’intérieur une commission nationale permanente chargée sous son autorité, d’élaborer le plan national et de suivre sa mise en application ».

Par ailleurs, le président de la république Béji Caid Essebsi a assisté à ce match au stade et il a félicité les joueurs et tout le peuple tunisien de cette qualification avec une indifférence totale de ce qui se passe aux agents de l’Etat ainsi qu’aux citoyens (16).

Dans un autre enjeu sécuritaire, la clôture des JCC s’est accaparé l’attention des autorités sur l’avenue Habib Bourguiba à la capitale. De ce fait, on peut imaginer les salles d’opération du ministère de l’intérieur.

Quant aux médias, à part les infos de la chaîne nationale, la couverture des inondations du sud-est de la Tunisie était timide sauf les publications des citoyens sur les réseaux sociaux.

Redeyef 2009 : Quells leçons ?

            Ces inondations font rappel à la catastrophe de Redeyef en 2009. En fait, en septembre 2009, la ville du bassin minier a été touchée par des inondations qui ont engendré 23 cas de décès. Mise à part la forte pluviométrie et le relief de la ville, l’infrastructure était l’accusée n°1 dans cette affaire. D’emblée, la Compagnie de Phosphate de Gafsa (CPG), avec les digues installées pour le lavage du phosphate, a aggravé la situation quant à l’évacuation des eaux. De plus, l’aménagement de l’oued est très archaïque et qui ne respecte pas les normes, surtout celles dans la prévention des inondations. De ce fait, la section du FTDES au bassin minier a publié, en octobre 2016, un rapport d’audit citoyen sur la protection de la ville de Redeyef contre les inondations.

Le ministre de l’Equipement, de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire a visité de la ville de Redeyef. Cette visite a été faite en octobre 2017, alors, 1 an après la publication du rapport et 8 an après la catastrophe. Le but de cette visite est de vérifier et enquêter sur le projet, annoncé en 2010, de protection de la ville de Redeyef contre les inondations.

De ces faits, quelles sont les garanties que le modèle de développement actuel propose pour prévenir et lutter contre les inondations et les catastrophes généralement ?

Pour conclure, il est indispensable de mettre en question les mesures adoptées par les autorités dans la lutte contre les catastrophes naturelles. Ceci implique à la fois, la prévention, l’intervention et la compensation des indemnités. D’ailleurs, quel est le sort des citoyens touchés dans leurs domiciles, leur agriculture et leurs propriétés ? Dans un scénario très possible au nord-ouest, cet Etat est-il prêt à faire face aux catastrophes causées par la neige ?

Allons dans un cadre plus global, quelles sont les stratégies adoptées par ce modèle de développement sur la problématique de la justice climatique ? Avec ces fluctuations du climat très prononcées allant de la sécheresse aux inondations, cet Etat est-il prêt de faire face à cette nouvelle situation ?

        

Références