Mise en œuvre des droits environnementaux en Tunisie : un système juridique solide face à une réalité en crise.

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Mise en œuvre des droits environnementaux en Tunisie : un système juridique solide face à une réalité en crise.

Hayet El-Attar

Nous déclarons dès le début de ce volet du rapport notre opposition à la classification pyramidale des droits qui relègue les droits environnementaux au rang de la troisième génération des droits de l’homme. Je trouve personnellement dans cette catégorisation hiérarchique une prétendue importance historique et une primauté autoproclamée des droits civils, politiques, économiques et sociaux par rapport aux droits environnementaux. Nous considérons également que le droit à un environnement sain et équilibré est une condition préalable à la mise en œuvre des autres droits de l’homme promulgués à l’échelle internationale, régionale et nationale et en premier la déclaration universelle des droits de l’homme promulguée le 10 décembre 1948 comme étant le tout premier document onusien ayant proclamé ouvertement l’universalité, la globalité et la sacralité des droits de l’homme ainsi que « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables qui constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde »[1] et que « chaque individu a le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité pour sa personne. »[2] en passant par la tenue de congrès internationaux ayant abouti à maintes conventions aussi bien bilatérales que multilatérales…pour parvenir à la reconnaissance de ce droit par plus de 155 pays dans le monde qui s’engagent à l’inclure dans les conventions internationales, dans leurs constitutions, leurs législations ou leurs politiques nationales. Ces Etats s’engagent également à mettre en place les mécanismes nécessaires pour préserver ce droit et combattre toutes les atteintes à la nature, au climat ou à l’environnement. C’est un processus qui reflète l’évolution de la conscience à l’échelle de la communauté internationale et sa prise de conscience de l’importance capitale du droit à l’environnement dont dépend la survie de l’homme, le développement durable et les droits des générations futures.

Par ailleurs, la classification hiérarchique des droits et l’absence d’une volonté qui les mette en œuvre afin d’implémenter et consolider la coopération entre les différentes parties prenantes et les gouvernements en matière de la cause environnementale aussi bien au niveau de la recherche, que de la planification et la pratique.

Depuis dix ans, en Tunisie, en dépit de la batterie des conventions et accords et l’arsenal des lois reflétant la volonté du législateur à mettre en place les mécanismes juridiques et les mesures préventives visant à conjurer toute atteinte à l’environnement naturel de l’homme, et malgré la reconnaissance de l’ensemble des droits environnementaux dans la constitution, on assiste à plusieurs crimes perpétrés contre l’environnement sous toutes ses composantes au nom du développement économique et industriel et sous prétexte de l’évolution démographique effrénée. Néanmoins, ce n’est qu’un alibi aux mains de ceux qui polluent et contribuent à la dégradation de l’environnement selon une acception communément désignée aujourd’hui par « le terrorisme environnemental ». En contrepartie, les défenseurs des droits de l’homme, les activistes de terrain, les militants dans le champ de l’environnement et les organisations de la société civile se sont montrés combatifs pour défendre l’ensemble des acquis juridiques et constitutionnels et en faire un socle de base pour les étapes de lutte suivantes. Notons aussi que le cumul scientifique et de connaissance ainsi que l’expérience de terrain ont contribué à donner lieu à un front militant qui fait face aux atteintes non seulement en tant que force de diagnostic et de revendication mais aussi comme force de propositions et de solutions recourant des fois à polémiquer juridiquement avec les contrevenants et les traduire devant la justice en cas de nécessité.

Après avoir opté dans les volets précédents de ce rapport pour l’énumération des droits environnementaux et l’exposé détaillé des atteintes, le présent volet aura pour objectif :

Dans une première étape, nous rappellerons les engagements de l’Etat tunisien sur le plan international, régional et national pour permettre à tous de bien prendre conscience du fait que nous vivons dans un pays ayant préparé à travers les années le terrain propice et les mécanismes indispensables qu’il faudrait en faire entièrement l’usage pour se protéger et préserver les droits des futures générations.

Et comme «il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression»[3] …on va essayer dans une seconde étape d’expliciter l’efficacité et l’efficience des textes juridiques et constitutionnels et à quel point ils seraient conformes avec la réalité économique et sociale actuelle surtout après prémices qui prédisent une catastrophe réelle qui n’épargnera aucun composant de l’environnement, un scénario qui s’est transformé ces derniers temps en mobile fort rassemblant les foules dans la rue, et en slogan qui anime la plupart des revendications sociales pendant la dernière décennie.

Comme le disait l’économiste et penseur indien Amartya Sen dans son livre « développement et liberté » : la réalisation du développement durable et par conséquent l’existence d’un développement et d’une justice sociale, une pauvreté moindre et une culture riche et dynamique, un environnement sain, tout ça exige la présence d’institutions compétentes, transparentes et redevables »[4]. Il stipulait ainsi que le développement durable ne s’accomplit qu’à travers des institutions garantissant l’égalité des chances et œuvrant pour l’implémentation des plans politiques et programmes allant de pair avec les principes des droits de l’homme de la façon qui autorise les ayants droit et notamment les plus vulnérables à participer à l’élaboration des politiques et en tirer profit.

On ne perd pas de vue bien évidemment que la nécessité de faire valoir ce type d’institutions exige un soutien sociétal fort et prenant capable de faire appel à tous les moyens de pression afin de valoriser les principes de l’Etat de droit et des libertés en apportant les aménagements nécessaires aux lois désuètes d’un côté et l’adoption de la stratégie d’accès à la justice et l’accumulation des jugements afin de créer une jurisprudence bâtie sur les principes de la justice, de l’égalité et du respect de la loi.

  • Fondements et mécanismes juridiques nationaux et internationaux des droits environnementaux

Si nous choisissions d’adopter l’ordre chronologique et l’approche par étapes ayant caractérisé la reconnaissance de l’Etat tunisien des droits environnementaux et ses engagements à l’échelle internationale, la première partie de cet élément serait dédiée aux accords internationaux et les conventions ayant été adoptées par La Tunisie depuis la naissance du premier document onusien des droits de l’homme. Toutefois, si on adoptait le principe de la gradation juridique et l’enchaînement pyramidal des textes et des outils législatifs appliqués en Tunisie de haut en bas en vertu de leur force et la partie chargée de les promulguer et les mettre en œuvre, la première partie serait réservée à la constitution et les articles dédiés aux droits environnementaux du moment où elle constitue le sommet de la pyramide du classement juridique, suivis des accords internationaux. En vertu de l’article 20 de la constitution de la deuxième république « les conventions adoptées par le conseil représentatif sont supérieures aux lois et inférieures à la constitution », ce qui leur confère une valeur qui les rehausse au-dessus des lois nationales internes et autorise leur mise en œuvre immédiate en cas de nécessité. Mais loin de tout arbitraire, on va choisir de commencer par les accords internationaux pour une raison évidente à savoir le fait que la constitution tunisienne n’a réservé d’articles dédiés exclusivement aux droits environnementaux que dans la dernière version du 27 juin 2014, c’est-à-dire suite à des luttes et des revendications pendant des décennies appelant à constitutionnaliser les droits environnementaux et les reconnaitre comme tels notamment après une révolution survenue entre autres pour rompre avec le passé, jeter les bases d’une réalité meilleure et d’un lendemain plus égalitaire.

  1. Les droits environnementaux dans les conventions et accords internationaux

L’environnement est considéré dans sa globalité comme étant l’ensemble des objets environnants qui influent directement sur notre vécu et celui de tous les êtres sur la planète. Il est composé d’eau, d’air, de sol, de métaux, de climat, et des êtres eux-mêmes, c’est-à-dire un ensemble de systèmes complémentaires et interdépendants à un point de complexité tel qu’ils interagissent entre eux pour déterminer grandement les conditions de notre survie. Les changements économiques, sociaux et politiques ont fait de nos jours que le déséquilibre vécu par rapport à cet environnement constitue désormais un danger réel vu la taille des problèmes qui se sont accumulés à travers les décennies notamment à cause de la pollution, de l’exploitation abusive des richesses naturelles et le déni face aux dangers et menaces de toutes parts.

Comme l’être humain est l’axe de l’univers et garant de sa pérennité, et il en est le premier responsable de faire perpétuer ses richesses, le système des droits de l’homme dans sa dimension universelle et globale est intervenu pour le protéger et préserver sa dignité, il a mis à la disposition des gouvernements dans le monde une passerelle de conventions et de protocoles insistant toutes sur le fait que les droits de l’homme sont indivisibles et non hiérarchisables d’une telle manière que l’on ne pourrait pas évoquer un droit qui ne soit pas en concordance avec le reste des droits et que le passage à un monde meilleur et la réalisation d’un objectif de développement durable (ODD) ne serait possible qu’à travers cette dite passerelle.

Parler des droits environnementaux nous conduit nécessairement à soulever les autres droits ayant bénéficié d’une reconnaissance et une approbation dans d’anciens accords internationaux qui ont balisé le terrain d’une façon ou d’une autre afin que le concept de droits environnementaux ou ce qu’on a eu l’habitude de désigner par les droits de troisième génération ou les droits de solidarité voient le jour.

Le droit à la vie mentionné dans l’article 3 de la déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 6 du pacte international des droits civils et politiques auquel a adhéré La Tunisie sans réserve en vertu de la loi n° 1968- 30, du 29 novembre 1968. Comme « Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. »[5]. Il s’avère par conséquent à travers les faits vécus de nos jours que la privation des gens de leur vie trouve son application dans leur privation de leurs droits environnementaux et les différentes atteintes qui leur sont apportées.

S’ensuit également le droit à la santé du moment où les Etas membres du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels -y compris La Tunisie qui l’a adopté en 1969- s’accordent sur la nécessité que les mesures prises par les Etats membres de ce pacte englobent la garantie d’une pratique entière de ce droit pour « l’amélioration de tous les aspects de l’hygiène du milieu et de l’hygiène industrielle »[6] selon l’article 12 de ce pacte.

Puis, le même pacte stipule dans son article 25 que « aucune disposition du présent Pacte ne sera interprétée comme portant atteinte au droit inhérent de tous les peuples à profiter et à user pleinement et librement de leurs richesses et ressources naturelles ».

Cet article nous conduit vers l’un des droits que les forces et systèmes hostiles à l’environnement et responsables de l’épuisement de ses richesses naturelles ont toujours tenté de le faire passer pour l’opposé du droit à un environnement sain à savoir le droit à l’emploi. Ce droit mentionné dans l’article 7 de ce même pacte qui dit ceci « Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu’a toute personne de jouir de conditions de travail justes et favorables, qui assurent notamment la sécurité et l’hygiène du travail »[7], il est souvent instrumentalisé par les sociétés polluantes contre les ayants droit, pour se trouver devant une équation propagée comme étant impossible selon laquelle il faudrait choisir entre l’emploi et le reste des droits, d’où l’amère réalité qui fait que les unités polluantes s’installent souvent dans les régions défavorisées en avançant la parade de la réalisation du développement économique et social. Toutefois, après un certain temps, ces entreprises deviennent l’ennemi de leur environnement, exploitant à outrance ses richesses, polluant ses composants et menaçant sa paix sociale et créant un contexte conflictuel en raison du non-respect de la loi et des principes des droits de l’homme. Nous avons à ce propos en Tunisie de multiples exemples comme les établissements avec lesquels le département de la justice environnementale au forum a eu d’amères expériences dans le cadre du soutien des victimes de leurs activités, à l’instar de la cimenterie SOTACIB dans la région de Rouissat au gouvernorat de Kairouan, les usines de tomates et conserves dans la région de Nabeul, la compagnie des phosphates de Gafsa, le groupe chimique de Mdhilla et Gabès, les sociétés de lavage de textiles au sahel… et bien d’autres exemples.

Avec la prise d’ampleur des problématiques environnementales et l’évolution des taux de pollution suite au développement économique et industriel et ses incidences graves sur l’écosystème et les éléments naturels sur une plus large échelle, l’idée du droit à l’environnement a commencé à germer et se cristalliser pour donner lieu à une prise de conscience conférant une place stratégique à l’aspect environnemental au niveau des différents volets de la vie générale, un regain de conscience qui se manifeste à travers la reconnaissance du droit de l’homme à un environnement sain pour la première fois au congrès de Stockholm autour de l’environnement qui s’est tenu pendant la période allant du 05 au 16 juin 1972. Ce congrès a donné naissance à la déclaration de Stockholm composée de 26 principes et un plan de travail de 109 recommandations. Il a constitué en effet, un revirement sans précédent quant au contenu juridique du concept de l’environnement et une interdépendance entre le concept du droit à l’environnement et le contenu de la philosophie qui anime la déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que les deux pactes internationaux des droits en rapport avec la sauvegarde de la dignité de l’homme et son bien-être. Les principes de cette déclaration constituent le premier noyau, la véritable naissance de la cause environnementale et l’appui de référence pour les recherches, les lois et les procédures en rapport avec l’environnement.

Au-delà de l’étape de Stockholm, le champ d’élaboration du droit international de l’environnement s’est élargi et les congrès se sont succédé pour tirer la sonnette d’alarme et déclarer le malaise insoutenable face à l’avenir de la terre et tout ce qu’il y a dessus. Il y eut le congrès de Rio de Janeiro en 1992, puis le congrès de Johannesburg en septembre 2002 sous le nom « Congrès des Nations Unies autour du développement durable », le congrès de Copenhague en 2009 et le congrès de Bonn en Allemagne en 2012.

Plusieurs accords furent signés et tous les documents et textes internationaux ont été unanimes sur le fait de considérer l’environnement et ses ressources comme étant un patrimoine commun menacé de dégradation et d’effondrement et qu’il appartient à l’Etat et les individus de le préserver et de le promouvoir à même de préserver les droits des générations futures pour qu’elles en profitent. On a assisté également à l’émergence du concept de développement durable et l’intérêt pour les droits des générations futures s’est accru. Le nombre des accords relatifs à l’environnement est estimé à plus de 500 accords internationaux parmi eux, un grand nombre ayant vu le jour après 1972, c’est-à-dire après le congrès de Stockholm, puis l’intérêt à l’égard de l’environnement s’est élargi pour englober la question des changements climatiques qui devraient désormais faire partie intégrante des stratégies internationales de lutte contre ses dangers. Ceci a également incité les Etats à adopter des plans communs pour réduire les émissions menaçant le climat et les richesses naturelles et influant sur les modes de production, ainsi qu’à les convier également à s’orienter progressivement vers la production de l’énergie à partir de ressources naturelles propres et renouvelables. Plusieurs congrès ont été dédiés à la cause environnementale à l’instar du congrès des Nations Unies pour le changement climatique à Paris en 2015 connu sous le nom de COP21 et qui a donné lieu au premier accord international relatif à l’environnement, puis le congrès COP26 qui a tenu ses assises dernièrement dans la ville de Glasgow en Ecosse le 31 octobre 2021, ses travaux auxquels ont pris part quasiment tous les pays du monde, ont duré deux semaines.

Et pour que les Etats tiennent leurs promesses et engagements, il était nécessaire de créer une instance de contrôle internationale qui consiste à désigner un expert indépendant à qui on confie la tâche des engagements des Etats membres et qui sont relatifs à la préservation du droit de l’homme à un environnement sûr, propre, sain et durable. Il y a eu ainsi la résolution du conseil des droits de l’homme en 2012 (décision 19/10) portant sur la désignation de Monsieur John Knox pour un mandat de trois ans qui fut prolongé à deux reprises comme rapporteur spécial s’occupant des droits de l’homme et de l’environnement et qui est occupé aujourd’hui par Monsieur David.R.Boyd[8].

Rappelons également dans le cadre de cette brève énumération que le droit à l’eau constitue une condition indispensable pour la réalisation d’un développement durable et égalitaire tout comme le droit à un environnement sain et propre. Ceci dit, il faudrait ajouter aussi que l’accès de tout individu à l’eau potable de qualité et en quantité suffisante est étroitement lié à un environnement et un climat sain. D’un autre côté, on ne peut planifier et mettre en place des stratégies de développement durable dans un contexte où le droit à l’eau n’est pas établi et où un grand nombre de personnes souffrent encore de la soif et la privation soit en raison de la rareté des eaux soit en raison d’une mauvaise gouvernance. Pour cette raison, un rapporteur spécial fut désigné pour s’occuper du droit de l’homme à bénéficier de l’eau potable et les services d’assainissement en vertu de la résolution du conseil des droits de l’homme (22/7) de 2008[9] Il serait intéressant à ce propos de rappeler l’initiative du département de la justice environnementale à l’occasion de la journée mondiale de l’eau le 22 mars 2021 qui a consisté à adresser une lettre[10] au rapporteur spécial chargé du droit de l’homme à bénéficier de l’eau potable et des services d’assainissement qui a intégré toutes les problématiques relatives au droit à l’eau et la question de la soif notamment dans les campagnes et les contraintes procédurales, juridiques, structurelles et politiques qui entravent l’inaccessibilité des eaux pour une couche assez importante des habitants, en plus de la dégradation de la nappe phréatique et la politique de gestion des ressources naturelles. Le département de la justice environnementale a convié également dans sa missive au rapporteur spécial à rendre visite en Tunisie afin d’apprécier de près ces problématiques et appuyer les efforts de la société civile dans la défense des droits de l’homme et sa dignité. C’est sans doute l’occasion de rappeler l’expérience de la section de Kairouan qui a soutenu la cause de l’eau potable dans les écoles rurales et son accueil de la rapporteuse spéciale chargée du droit à l’enseignement Madame Koumbou Boly Barry en avril 2019 qu’on a accompagnée dans un certain nombre d’écoles dans les campagnes de Kairouan.

En réponse aux soucis de la communauté internationale et son malaise quant à l’avenir, et pour être en mesure de contrôler les engagements des Etats vis-à-vis des plans de développement durable et les droits de générations futures sur la base de la déclaration du droit au développement adopté par le conseil des Nations Unies en vertu de la décision du 04 décembre 1986 qui mentionne « l’exercice de leur droit inaliénable à la pleine souveraineté sur toutes leurs richesses et leurs ressources naturelles sous réserve des dispositions pertinentes des deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme »[11], et après plus de 30 ans de l’adoption de la déclaration, le conseil des droits de l’homme a désigné le 01 mai 2017 un rapporteur spécial chargé du droit au développement.

Le rôle du rapporteur spécial auprès des Nations Unies peut être considéré axial et très important notamment quand on est en présence d’une société civile locale éveillée, dynamique et performante dans les pays qui peinent à honorer leurs engagements et harmoniser leurs politiques de façon à préserver l’environnement et les droits des citoyens à l’instar de La Tunisie. Il se trouve en effet et selon les prérogatives dont il est investi, que le rapporteur spécial présente son rapport au conseil des droits de l’homme après avoir effectué des visites de terrain dans les pays concernés et élaboré des recommandations dignes de constituer une pression positive contribuant à faire changer les pratiques qui portent atteinte aux droits de l’homme et inciter avec le temps à faire valoir ces droits dans l’élaboration des politiques environnementales et des plans de développement durable.

L’environnement l’un des piliers les plus importants du développement durable

Le fait d’appréhender la question environnementale, d’approfondir la conception qu’on en fait, de la décortiquer et d’expliciter ses différentes dimensions ainsi que les répercussions des atteintes qui lui sont portées…ne signifie pas nécessairement l’adoption d’une approche échafaudée d’un angle de vue scientifique et techniciste inerte ou selon le regard du géologue, du biologiste ou de l’économiste exclusivement, mais il serait utile également d’approcher cette question d’un point de vue sociologique. Toute atteinte au droit à l’environnement s’avère être une atteinte au droit de l’homme qui touche sa vie, sa dignité, sa nourriture, son habillement et sa sécurité influençant ainsi directement ses rapports, ses humeurs et ses pratiques à tel point que l’environnement est devenu un critère pour apprécier le niveau de bien-être d’une société quelconque et décortiquer les phénomènes importants qui la traversent voire parfois l’évolution de phénomènes graves tels que la violence, le suicide, l’émigration interne et externe, le chômage etc… Par conséquent, l’environnement est aujourd’hui omniprésent et avec vigueur dans pas mal d’études sociologiques et d’écrits académiques telles que la littérature ayant traité des mouvements sociaux ou celle qui s’est intéressée aux « révolutions du printemps arabe » ou bien encore les études ayant eu pour objet des phénomènes sociaux dans les contexte de crises mondiales comme la covid-19 qui ont bénéficié d’une marge importante dans l’étude des rapports, changements, prévisions et prédictions. Et rappelons-le aussi, ces écrits ont dévoilé la taille de l’échec des politiques qu’on a su occulter dans les interstices des slogans brandis en rapport avec la transition démocratique et les acquis politiques.

Comme les atteintes environnementales constituent l’une des causes responsables de l’accroissement des disparités sociales, la dimension environnementale demeure l’un des aspects importants du développement durable dont la vitalité n’est pas moindre que celle de l’aspect économique ou social. Autrement dit, l’accomplissement du développement durable qui « répond aux attentes du présent sans exposer au danger la capacité des générations futures à subvenir à leurs besoins »[12] n’est possible qu’à travers le déploiement d’un effort qui vise à réduire les effets des activités économiques néfastes pour l’environnement, le recours à des ressources propres et renouvelables dans la production de l’énergie et la rationalisation de la consommation des ressources naturelles et leur préservation… en plus de la nécessité de valoriser l’apport de la recherche scientifique et le développement technologique susceptibles de pérenniser les ressources et en faire de sorte à ce qu’elles résistent face aux changements, ainsi que la nécessité de permettre aux sociétés pauvres et aux couches sociales vulnérables de promouvoir les moyens dont elles disposent suivant une démarche participative, avec bien entendu la mise en valeur du devoir d’offrir une sécurité sociale et un niveau de vie digne pour tous les membres de la société.

Exemples de quelques conventions internationales bilatérales et multilatérales adoptées par la République Tunisienne

En fait, La République Tunisienne a adopté plusieurs conventions internationales bilatérales et multilatérales en vertu de lois devenues par conséquent une partie intégrante du droit national et ayant acquis une suprématie par rapport aux lois ordinaires selon la hiérarchie pyramidale des standards juridiques tunisiens.

Exemples de quelques conventions multilatérales
Convention pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, adoptée en vertu de la loi n° 1974-89
Adhésion de La Tunisie à la convention internationale de 1969 sur la responsabilité civile quant aux dommages dus à la pollution par les hydrocarbures en vertu de la loi 1976-13
Adhésion de La Tunisie à la Convention internationale de 1969 sur l’intervention en haute mer en cas d’accident entraînant ou pouvant entraîner une pollution par les hydrocarbures en vertu de la loi n° 1976-14.
Adhésion de La Tunisie à la convention internationale de 1973 relative à la prévention de la pollution par les navires en vertu de la loi n° 1976-15.
Adhésion de La Tunisie à la convention internationale portant création d’un fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, en vertu de la loi n° 1976-16.
Adhésion de La Tunisie à la convention sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion des déchets en vertu de la loi n° 1976-17.
Adhésion de La Tunisie à la convention relative aux zones humides d’importance internationale particulièrement comme habitats de la sauvagine en vertu de la loi n° 1980-19.
Convention de la Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé et du règlement d’exécution de cette convention, ainsi que le protocole pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, en vertu de la loi n° 1980-69.
Protocole de Montréal sur les substances affectant la couche d’ozone adopté en vertu de la loi n° 1989-55
Accord de Bamako sur l’interdiction d’importer des déchets dangereux en Afrique et le contrôle ainsi que la gestion de sa mobilité à travers les frontières africaines, du 20 mai 1991 et entré en vigueur en vertu de la loi n° 1992-11.
Accord des Nations Unies sur la diversité biologique adopté en vertu de la loi n° 1993-45
Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, promulguée en vertu de la loi n° 1995-63.
Convention relative à la protection de la mer méditerranée contre la pollution, promulguée en vertu de la loi n° 1977-29 dont les ratifications ont été adoptées et les réaménagements apportés à ses protocoles et l’adoption des nouveaux protocoles en vertu de la loi n° 1998-15
Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification dans les pays gravement touchés par la sécheresse et/ou la désertification en particulier en Afrique promulguée en vertu de la loi n° 1995-52.
Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, adopté par la 31ème réunion de la conférence de l’organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture à Rome le 03 novembre 2001 et signé par la République Tunisienne le 10 juin 2002, approuvé par la loi n° 2004‐15 du 1er mars 2004 et ratifié par le décret n° 2004‐917 du 13 avril 2004.
Exemples de quelques conventions bilatérales
Accord entre le Gouvernement de la République tunisienne et le Gouvernement de la République italienne relatif à la délimitation du plateau continental entre les deux pays, adopté en vertu de la loi n° 1976-16.
Convention entre la République tunisienne et la Jamahiriya arabe libyenne populaire socialiste, concernant le plateau continental (ratifiée par la loi n° 1989‐10 du 1er février 1989).
Accord entre le gouvernement de la République Tunisienne, le gouvernement de la République Algérienne Démocratique et Populaire et le gouvernement du Royaume du Maroc portant plan d’urgence sous‐régional pour la préparation et la lutte contre la pollution marine accidentelle dans la zone de la méditerranée du Sud‐Ouest , conclu à Alger le 20 juin 2005 et adopté en vertu du décret n° 2006-555.

Les sources du droit de l’environnement en Tunisie, Tribunal Administratif de Tunisie[13]

Revenons un peu à nos propos de départ concernant les garanties internationales des droits de l’homme et précisément au paragraphe relatif au droit à la vie mentionné dans l’article 3 de la déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 6 du traité international relatifs aux droits civils et politiques. Et après avoir cité toutes ces dispositions internationales et efforts universels visant la protection du droit à l’environnement, le droit au développement durable, le droit à l’eau et la protection de la terre et l’homme face aux dangers potentiels imminents, on peut s’autoriser à affirmer que le droit à la vie est un droit générique qui englobe tous les autres droits et revête plusieurs facettes. En fait, les droits de l’environnement ne sont que des particules qui le composent et sont intimement liés et que le droit de l’homme à la vie affronte des atteintes et des violations difficilement contournables si on recourait seulement aux engagements internationaux. Il faudrait par conséquent favoriser une protection locale à travers des textes constitutionnels, des mécanismes juridiques, des politiques efficaces et une justice judiciaire en guise de parapet susceptible de protéger notre patrimoine environnemental, circonscrire les atteintes et dissuader effectivement tous les projets et activités nuisibles à l’environnement et menaçants pour la vie humaine sur terre.

  1. Le système national pour les droits environnementaux
  • Constitution de 2014

Contrairement à la constitution de 1959, la constitution de janvier 2014 a adopté un ensemble de droits relatifs à l’environnement et leur a consacré des articles entiers dans la section des droits et libertés, en plus du fait d’avoir mentionné la création d’une instance constitutionnelle spécialisée que l’on consulterait dans tout ce qui touche à l’environnement et le développement durable quant aux lois, plans et stratégies. C’est sans doute un acquis qui n’est pas fortuitement tombé du ciel, ni une simple initiative du législateur à ce moment-là, mais le fruit de luttes et d’efforts déployés par des militants et des associations ayant revendiqué haut et fort la nécessité de constitutionnaliser les droits environnementaux tout au long de plusieurs décennies…un acharnement militant qui n’a pas fléchi après la chute de la dictature, bien au contraire, ce fut l’occasion historique idéale pour réclamer la mise en œuvre des principes de la révolution et la protection des droits de l’homme, des appels qui ont été adoptés par la classe politique représentée au niveau de l’assemblée nationale constituante (ANC) à l’époque et déclinés en articles d’une façon tantôt explicite tantôt implicite. La question environnementale bénéficie également d’une mention dans le préambule qui fait partie intégrante de la constitution selon l’article 145.

 Texte Article
Conscients de la nécessité de participer à la sécurité du climat et à la sauvegarde d’un environnement sain, de façon à garantir la pérennité de nos ressources naturelles et la continuité d’une existence paisible pour les générations futures Préambule
L’Etat a pour objectif de réaliser la justice sociale, le développement durable, l’équilibre entre les régions et une exploitation rationnelle des richesses nationales en se référant aux indicateurs de développement et en se basant sur le principe de discrimination positive ; l’Etat œuvre également à la bonne exploitation des richesses nationales. Article 12
Les ressources naturelles sont la propriété du peuple tunisien, la souveraineté de l’Etat sur ces ressources est exercée en son nom. Article 13
Le droit à la vie est sacré, il ne peut lui être porté atteinte que dans des cas extrêmes fixés par la loi. Article 22
La santé est un droit pour chaque être humain Article 38
Le droit à l’eau est garanti.

La préservation de l’eau et son utilisation rationnelle sont un devoir pour l’Etat et la société.

Article 44
L’Etat garantit le droit à un environnement sain et équilibré et la participation à la sécurité du climat. L’Etat se doit de fournir les moyens nécessaires à l’élimination de la pollution environnementale. Article 45
L’instance du développement durable et des droits des générations futures est obligatoirement consultée pour les projets de lois relatifs aux questions économiques, sociales et environnementales ainsi que pour les plans de développement.

L’instance peut donner son avis pour les questions qui relèvent de son domaine de compétence.

Article 129 (chapitre des instances constitutionnelles indépendantes)
La loi fixe les modalités relatives aux droits et aux libertés qui sont garantis dans cette Constitution ainsi que les conditions de leur exercice sans porter atteinte à leur essence. Ces moyens de contrôle ne sont mis en place que par la nécessité que demande un État civil démocratique et pour protéger les droits des tiers ou pour des raisons de sécurité publique, de défense nationale, de santé publique ou de morale publique et avec le respect de la proportionnalité et de la nécessité de ces contrôles. Les instances judiciaires veillent à la protection des droits et des libertés de toute violation. Article 49

Ce qui est remarquable, c’est que dans l’esprit de la constitution, la question environnementale est en rapport étroit avec la question du développement durable parce que la plupart des articles exposés dans le tableau ci-dessus insistent sur la nécessité de préserver l’environnement et les ressources naturelles dont il faudrait garantir la pérennité. La création d’une haute instance pour le développement durable et les droits des générations futures en constitue une preuve tangible dans ce contexte. Ainsi, l’approche constitutionnelle dans la garantie des droits de l’environnement passe pour être une approche globale faisant de l’environnement l’un des aspects du développement durable non moins important que les deux autres aspects économique et social.

Le droit à un environnement sain :

En vertu du texte de l’article 45 de la constitution, le devoir de protection de l’environnement et la salubrité du climat revient à l’Etat et la mobilisation des moyens de lutte contre la pollution constitue l’une des tâches de l’Etat également. Cet article arrive un peu tardivement parce que l’adoption du droit à l’environnement après l’avoir cité ostensiblement ne furent pas le fruit de la constitution de 2014 mais il fut mentionné et mis en œuvre dans la loi n°91 de l’année 1988 relative à la création d’une agence pour la protection de l’environnement sous tutelle du premier ministère à l’époque comme étant la première institution officielle chargée selon le texte de loi de lutter contre toutes les sources de pollution et la contribution à préparer, proposer et mettre en œuvre les politiques générales du gouvernement dans le domaine de lutte contre la pollution et la protection de l’environnement en plus de la tâche d’accomplir « une étude d’impact sur l’environnement doit être présentée à l’agence avant la réalisation de toute unité industrielle agricole ou commerciale dont l’activité présente, de par sa nature ou en raison des moyens de production ou de transformation utilisés ou mis en œuvre, des risques de pollution ou de dégradation de l’environnement»[14].

La création de l’agence se trouve ainsi antérieure à la création même du ministère de l’environnement qui ne fut créé officiellement qu’en 1991.

Le même article fait allusion à la question du climat, ce qui nous amène à se poser des questions concernant les efforts de l’Etat tunisien en matière de protection du climat, jusqu’à quelles limites il a effectivement mobilisé des mécanismes juridiques et des législations conformes à ses engagements internationaux en rapport avec la lutte contre les changements climatiques et son adhésion aux accords et plans internationaux dans ce domaine ?

Le droit à l’eau : la constitution lui a consacré un article en entier (article 44) devançant ainsi l’article dédié au droit à l’environnement vu l’importance de l’eau comme étant une source de vie indispensable et un moteur de développement incontournable. Mais le texte de la constitution n’était pas suffisamment clair et sa formulation ne suggérait en fait ni sa nature, ni sa qualité, ni sa quantité non plus. Le vocable « eau » était général et pompeux se prêtant à multiples interprétations. De même, le texte de la constitution stipule que la responsabilité de rendre l’eau accessible et la préserver incombe à l’Etat et à la société en même temps, ce qui ouvre la voie à l’interprétation polysémique et permet à l’Etat de se soustraire à assumer entièrement ses responsabilités, alors que la pauvreté en eau et la soif endurée par les habitants des campagnes ainsi que les coupures permanentes vécues ces dernières années en Tunisie trouvent leur origine dans la mauvaise gestion des ressources, leur distribution inégalitaire et dans les industries qui épuisent la nappe phréatique souterraine ainsi que le modèle de développement économique qui encourage les secteurs consommant trop d’eau. Par conséquent, le responsable direct est l’Etat avec ses institutions, ses politiques et sa législation.

Le droit au développement durable : La question du développement durable et des droits des générations futures a été mentionnée dans le préambule de la constitution, où le législateur a fait le lien entre l’environnement et le climat d’un côté et les ressources naturelles de l’autre et a fait de leur préservation une des conditions pour réaliser un développement durable capable de sauvegarder les droits des futures générations et garantir la possibilité d’en bénéficier.  Par ailleurs, dans l’article 12 de la constitution, le législateur approuve que la justice sociale et la discrimination positive entre les régions comme étant un principe relativement jeune dans la législation tunisienne l’une des conditions pour accomplir le développement durable affirmant ainsi clairement l’interdépendance des processus et l’unification des visions économiques, sociales et environnementales pour la pérennisation de tout développement. On peut avancer également que la discrimination positive ne se réalise pas seulement par le biais de l’implémentation des bases économiques du développement par les institutions chargées de l’emploi et de l’infrastructure mais aussi à travers la garantie d’un environnement sain et le souci de veiller à s’abstenir de le dégrader au nom de la croissance économique.

  • Le cadre juridique et institutionnel

Ci-après, quelques exemples de lois, de codes, de décrets, de résolutions et d’institutions en rapport avec l’environnement

Exemples de quelques lois
Loi n° 1983-87 du 11 novembre 1983 relative à la protection des terres agricoles et tous textes l’ayant modifiée et complétée.
Loi n° 1988-91 relative à la création de l’Agence Nationale de Protection de l’Environnement (ANPE)
Loi n° 1989-20 du 22 février 1989 portant sur l’organisation de l’exploitation des carrières
Loi n° 1995-70 du 17 juillet 1995 portant sur la préservation des eaux et du sol
Loi n° 1995-73 du 24 juillet 1995 relative au domaine maritime public (Chapitre 5, article 27)
Loi n° 1996-29 du 3 avril 1996 portant sur la fixation d’un plan de travail national urgent de lutte contre les accidents de la pollution maritime
Loi n° 1996-25 du 25 mars 1996 relative à la création du Centre International de Tunis pour les Technologies de l’Environnement (CITET)
Loi n° 1996-41 du 10 juin 1996 relative aux déchets et le contrôle de leur gestion et leur élimination ainsi que les textes applicatifs pour leur mise en œuvre modifiés et complétés par la loi n° 2001-14 du 30 janvier 2001 relative à la simplification des procédures administratives relatives aux autorisations octroyées par le ministère de l’environnement et l’aménagement territorial dans les domaines qui sont sous sa tutelle
Loi n° 2007-34 du 04 juin 2007 relative à la qualité de l’air
Loi n° 2009-49 du 20 juillet 2009 portant sur les espaces maritimes protégés
Loi n° 2016-71 du 30 septembre 2016 relative à la loi de l’investissement
Loi n° 2018-35 du 11 juin 2018 portant sur la responsabilité sociétale des entreprises
Exemples de quelques codes
Code des eaux
Code de l’aménagement territorial et de l’urbanisation
Code de la sécurité et de la prévention des dangers d’incendie, des explosions, et de panique dans les bâtiments
Code des droits réels
Code d’encouragement des investissements
Code forestier
Code du travail
Code des carburants
Code des mines
Exemples de quelques décrets 
Décret n° 1977-195 portant sur l’organisation et l’encouragement de l’Etat pour la préservation des eaux et du sol
Décret n° 1978-814 portant sur la fixation des conditions des conditions de forage des eaux souterraines et leur exploitation
Décret n° 1995-252 portant sur la fixation des conditions d’octroi de permis de pêche et les tarifs indispensables à leur octroi
Décret n° 2005-1991 portant sur l’étude d’impact sur l’environnement et la fixation des types d’unités assujetties à l’étude d’impact sur l’environnement et les types d’unités assujetties aux cahiers des charges
Décret n° 2005-3329 relatif aux conditions et procédures de l’occupation temporaire des espaces urbains et des procédures d’octroi de la concession de leur réalisation et exploitation

Décret n° 1985-56 du 02 janvier 1985 relatif à la réglementation des rejets dans le milieu récepteur

Décret n° 2000-2339 du 10 octobre 2000 portant sur la fixation de la liste des déchets dangereux
Décret n° 2004-956 du 13 avril 2004 relatif à la fixation de la composition de la commission spéciale des entreprises dangereuses ou nuisibles pour la santé, ses prérogatives et son mode de fonctionnement
Décret n° 2005-3395 fixant les conditions et les modalités de collecte des accumulateurs et piles usagés

Décret n° 2006-2687 relatif aux procédures d’ouverture et d’exploitation des établissements dangereux, insalubres ou incommodes

Décret n° 2008-2745 portant sur la fixation des conditions et modes de gestion des déchets provenant des activités médicales
Décret n° 2009-1064 portant sur la fixation des conditions d’octroi des autorisations pour exercer des activités relatives à la gestion des déchets dangereux et les autorisations de déversement des déchets ou autres produits dans la mer

Décret n° 2010-2519 fixant les valeurs limite à la source des polluants de l’air de sources fixes … tel que modifié et complété par le décret gouvernemental n° 2018-928 du 07 novembre 2018

Décret n° 2018-447 fixant les valeurs limites et les seuils d’alerte des concentrations des polluants dans l’air ambiant, en vue de la protection de la santé et de l’environnement

Décret n° 2002-2015 fixant les règles techniques relatives à l’équipement et à l’aménagement des véhicules utilisés pour le transport des matières dangereuses par route

Décret n° 2004-1749 fixant la liste et la définition des matières dangereuses de la classe 2 autorisées à être transportées par route et les conditions de leur emballage, chargement et déchargement
Décret n° 2006-2745 fixant la liste et la définition des matières dangereuses de la classe 4 autorisées à être transportées par route et les conditions de leur emballage, chargement et déchargement.
Exemples de quelques arrêtés
Arrêté du ministre de l’agriculture du 24 mai 1988 relatif au transport et vente des produits forestiers
Arrêté du ministre de l’agriculture du 18 juin 1988 portant sur l’organisation de l’élevage des animaux du même type des animaux de la chasse et leur commercialisation

Arrêté du ministre de l’agriculture du 18 juin 1988 réglementant les techniques de capture et les conditions de détention des oiseaux de vol

Arrêté du ministre de l’agriculture du 13 décembre 1988 règlementant l’exercice du droit d’usage dans le domaine forestier de l’Etat
Arrêté des ministres des finances et de l’agriculture du 24 juillet 1991 portant sur la fixation des tarifs dus à l’utilisation des eaux et des sables du domaine public des eaux
Cadre institutionnel du droit à l’environnement
Ministère de l’environnement créé en 1991
L’agence nationale de protection de l’environnement créée en vertu de la loi n° 1988-91
L’agence de protection du littoral créée en vertu de la loi n° 1995-72
L’agence de gestion des déchets créée en vertu du décret n° 2005-2317
L’office national d’assainissement créé en vertu de la loi n° 1974-73
La société tunisienne d’exploitation et de distribution des eaux créée en vertu de la loi n° 1968-22 et modifiée par la loi n° 1976-21
La banque nationale des gènes créée en vertu de la loi n° 2003-1748 sous tutelle du ministère de l’agriculture
Le conseil national pour la protection des eaux et du sol créé en vertu de la loi n° 1995-70
Le Centre international de Tunis pour les technologies de l’environnement CITET créé en vertu de la loi n° 1996-25
L’agence nationale de maîtrise de l’énergie créée en vertu de la loi n° 1985-48 et le décret n° 1985-8 relatif à l’économie d’énergie
Instance du développement durable et des droits des générations futures créée en vertu de la loi organique n° 2019-60 du 9 juillet 2019

En voici un arsenal important de lois et de législations garantissant les droits environnementaux influencées sans doute grandement par les accords internationaux auxquels notre pays a adhéré. Ces outils ont été affermis avec le temps par la création d’institutions spécialisées comme en premier lieu l’Agence Nationale de Protection de l’Environnement (ANPE) considérée comme le premier jalon dans le processus d’édification d’organismes publics mettant en application effective la volonté des pouvoirs à honorer ses engagements internationaux et nationaux. Et pour conférer une efficience à ces lois, le législateur a promulgué une batterie de procédures préventives diverses selon la diversité des domaines et la différenciation des composants de l’environnement qui puissent permettre aux différentes administrations spécialisées de contrôler l’exploitation des richesses naturelles et assurer le suivi du degré d’engagement à les préserver à l’instar du système des autorisations et du cahier des charges ainsi que des études d’impact sur l’environnement en plus du dispositif de la police environnementale.

Toutefois, il faut dire que cet arsenal se trouve aujourd’hui incapable de réaliser les objectifs qui constituent sa raison d’être car les crises se sont accrues et se sont intensifiées notamment pendant la dernière décennie. La réalité a en effet confirmé le fait que les lois ne sont plus en mesure de mettre fin aux atteintes soit en raison de leur insuffisance, soit parce qu’il y a un déficit au niveau de leur application, soit aussi parce qu’elles ne sont point en osmose avec les changements économiques et sociaux, d’autant plus que l’attitude des pouvoirs en place et les institutions concernées vis-à-vis des crises vécues laisse beaucoup à désirer. Le système judiciaire de son côté n’est pas parvenu à apporter les solutions adéquates aux problèmes engendrés par la pollution due aux activités industrielles ni à la crise de la soif, ni non plus à la crise des déchets ou celle des réseaux de drainage. Ceci confirme le fait que les lois en elles-mêmes ne suffisent pas à protéger les droits de l’homme et demeurent une simple phraséologie tant que les mécanismes susceptibles de les mettre en œuvre continuent à faire défaut et tant qu’une forte volonté politique et une conviction de l’importance des aspects environnementaux pour promouvoir les volets économiques, sociaux et développementaux ne sont pas de mise.

  • Obstacles à la mise en œuvre les droits environnementaux
  1. Absence des mécanismes et principes de protection de l’environnement

Les lois dédiées à la protection de l’environnement devraient faire face à de multiples obstacles aussi bien au niveau pratique qu’au niveau procédural ou également au niveau juridique. Et bien que la loi en elle-même constitue un important mécanisme pour faire valoir n’importe quel droit des droits de l’homme, sa simple promulgation ne donne pas nécessairement lieu à son application. Il se trouve en effet que les lois relatives à la protection de l’environnement à titre d’exemple pour qu’elles soient parfaitement efficaces, il faudrait qu’elles reposent sur quatre principes fondamentaux : le principe de la prévention, le principe de la précaution, le principe de la responsabilité du polluant (ou le polluant paie) et le principe de la transparence ainsi que le droit d’accès à l’information. Quatre principes en guise de pierre angulaire dans le domaine de protection de l’environnement mais il y aurait des inconvénients qui entravent leur efficience et empêchent d’établir une complémentarité entre les différents mécanismes de la protection préventive et les procédures administratives et le système de compensation des dégâts d’un côté et le système de dissuasion judiciaire et l’application des jugements d’un autre côté. De ce fait, quand on est en présence d’entreprises qui s’installent, produisent et polluent l’environnement, enveniment la vie des gens, commettent des crimes contre l’environnement et déversent leurs déchets en terre, en mer et dans l’air puis il s’avère à un certain moment qu’elles exercent sans autorisation ou qu’elles n’ont pas effectué une étude d’impact sur l’environnement qu’après des années du démarrage de leurs activités et de leur production[15] contrairement à ce que stipule la loi n° 1988-91 portant création de l’agence de protection de l’environnement et la définition de ses prérogatives et du décret n° 1991-362 et notamment son premier article qui définit l’étude d’impact sur l’environnement comme étant « l’étude qu’il faut présenter dans l’objectif d’obtenir une autorisation administrative permettant de considérer, évaluer et mesurer les répercussions potentielles directes et indirectes sur l’environnement de ces unités à court, moyen et long terme ». Cependant, de quel principe de prévention on est en train de parler et où se positionne l’Agence Nationale de Protection de l’Environnement par rapport à ces crimes ? et selon quelle logique des entreprises incriminées par la justice et appelées à fermer leurs portes pour non-respect des lois en vigueur ou aussi pour fin de leur durée de vie virtuelle continuent à exercer défiant solennellement les appels de la société civile et les verdicts de la justice profitant des fois de la complicité ou la complaisance des pouvoirs en place et des institutions concernées, et nous avons à ce propos multiples exemples ayant été explicités dans d’autres parties de ce rapport.

  1. Modèle de développement et absence de volonté politique

Les problèmes environnementaux se sont multipliés pendant la dernière décennie après la révolution et leur intensité s’est accrue. Mais malgré l’apparition de mouvements sociaux spontanés ou organisés qui ont condamné les atteintes à l’environnement et le déséquilibre flagrant entre les régions en termes de développement, il est utile de rappeler que les origines de cette insurrection environnementale remontent à des dizaines d’années auparavant. Ce sont en effet des atteintes héritées par des générations entières et dont l’intensité s’est amplifiée sous le poids des politiques de marginalisation systématique adoptées par l’Etat de l’indépendance jusqu’à nos jours. Un modèle de développement, des politiques publiques et des choix économiques et sociaux n’ayant pas été régulés et révisés donnant lieu en fin de parcours à un développement inégalitaire, une marginalisation complexe et d’énormes disparités entre les classes et les régions creusant davantage le fossé entre les pouvoirs politiques et le peuple avec ses attentes et ses revendications.

Les plans et programmes de développement durable que les gouvernements successifs n’ont cessé de marteler ainsi que les engagements contractés par notre pays en rapport avec la protection de l’environnement et la pureté du climat, la protection des droits des générations futures et la préservation des richesses naturelles ne se sont pas traduits sur le terrain et se sont volatilisés sous forme de cris chimériques et des slogans pompeux reflétant l’absence d’une volonté d’action d’une part et le déficit d’une conscience environnementale chez la classe politique d’autre part, notamment chez ceux qui étaient au-devant de la scène durant la dernière décennie ; ministres, parlementaires et responsables divers se sont partagés entre ignorants de la taille des dangers et menaces pesant sur la vie des gens et complices opportunistes impliqués d’une manière ou d’une autre dans des crimes contre l’environnement et l’homme.

Ainsi, l’on se trouve dans la difficulté de parler d’une volonté politique effective pour opérer des changements positifs tant qu’il n’y a aucun indice visible sur le terrain. Comment peut-on accomplir un développement durable dans pareil contexte où des régions entières se trouvent marginalisées, des richesses naturelles appartenant théoriquement au peuple dilapidées, des lois bafouées par ceux qui sont censés les préserver, une corruption généralisée, une bureaucratie administrative funeste, une centralisation excessive des décisions et des ressources, un climat peu transparent, une exclusion des ayants droit et de la société civile quant à la planification et l’élaboration des politiques, l’incrimination des mouvements et revendications des victimes de différents types d’atteintes et violations, l’improvisation dans la prise des décisions et la conception des solutions, l’hésitation et l’improvisation au niveau de l’application des accords, la promulgation de lois ampoulées uniquement pour absorber la colère de la rue et garantir la réussite des campagnes électorales ou l’embellissement de l’image d’un parti ou d’une personnalité influente ? Nous sommes persuadés que le changement n’est pas tributaire de slogans de propagande mais vigoureusement dépendant d’une volonté à le faire décliner en projets et en décisions fermes, en budgets dédiés, en stratégies anticipatives et prospectives, en mécanismes clairs, en lois rigoureuses et immédiatement applicables… Ceci nous renvoie à soulever le troisième obstacle à la mise en œuvre du droit à l’environnement en rapport avec les lois et leur capacité à faire valoir les droits.

  1. Lois floues, d’autres non mises à jour ou soumises à une logique de deux poids deux mesures

La pile de lois environnementales que nous avons tenté de valoriser dans un volet précédent de ce rapport mais à propos desquelles on pourrait affirmer ce qu’avait dit le poète Mahmoud  Derouiche « Combien notre candeur est grande quand on pense que la loi est un réceptacle de la justice et du droit. La loi ici est le réceptacle des désirs du gouvernant ou un habit qu’il façonne sur mesure ». Cette métaphore poétique n’est pas lointaine de l’état des lois en Tunisie, il y a celles qui n’ont pas connu de lendemain à cause de l’absence de mécanismes clairs pour les faire valoir et pour déficit de suffisamment de dissuasion en même temps, et celles qui sont instrumentalisées par les pouvoirs et ses organes au profit d’un groupe en particulier et non pas au profit de tous…sans perdre de vue non plus les lois nouvellement créées dont l’objectif serait de puiser davantage dans les richesses naturelles du pays et faire fi du rôle primordial que devrait jouer l’Etat dans la préservation de ces richesses et leur bonne gouvernance en rupture avec les politiques de l’impunité et de la logique des deux poids deux mesures.

La société civile en Tunisie notamment après la révolution a engagé de nombreuses batailles contre le système juridique actuel en rapport avec le droit à l’environnement, le droit à l’eau et le droit au développement durable ; elle a appelé également à la nécessité de revisiter quelques lois aussi bien anciennes que nouvelles ainsi que les codes devenus caducs en raison du fait qu’ils ne suivent plus l’évolution des changements économiques et sociaux et ne résistent plus non plus face aux crises qui secouent le pays. Il va sans dire que cet amas de lois n’est plus capable de répondre par l’affirmative aux espoirs et aspirations des gens surtout tous ceux dont les droits sont bafoués. L’une des batailles les plus remarquables était celle engagée par des associations y compris le FTDES pour la révision du code des eaux promulgué en 1975 en s’opposant au projet du code sur lequel on a commencé à travailler depuis 2009 et qui a dévoilé les intentions du législateur par rapport à la privatisation du secteur des eaux et l’encouragement du partenariat public-privé quant à la gestion des ressources hydriques, ce qui n’est pas forcément compatible avec les principes de gestion rationnelle et durable des richesses, en plus du champ libre laissé à l’exploitation industrielle des eaux voire sa légalisation. A ce niveau précis, le rôle de la société civile fut fort et résolu à travers la présentation d’un certain nombre de suggestions dans le cadre de l’appui au projet du code dans une nouvelle acception basée sur une approche socio-juridique jetant les bases d’un avenir sécurisé, protégeant les ressources hydriques, allant de pair avec les résolutions de l’article 44 de la constitution et accomplissant l’égalité entre tous quant au droit à l’eau potable et aux services d’assainissement sur la base des principes des droits de l’homme et selon les standards internationaux.

Le forum a présenté –comme d’autres associations- ses propositions[16] à la commission de l’agriculture, de la sécurité alimentaire, du commerce et des services de l’assemblée des représentants du peuple lors de la discussion autour du code avant sa présentation pour approbation, c’était des suggestions parmi lesquelles l’annulation  des deux contrats  de la concession et l’arrêt d’octroi de nouvelles autorisations aux sociétés d’embouteillage des eaux, en plus de la nécessité d’abroger le système des groupements d’eau dans les campagnes et leur remplacement par l’agence nationale des eaux potables et d’irrigation en milieu rural.

Cependant, le paysage politique et la composition du parlement ont fait du code en question une thématique controversée et une source de polémique n’ayant pas facilité son approbation pour être finalement relégué aujourd’hui dans les archives notamment avec l’avènement des dispositions exceptionnelles et la suspension des travaux de l’assemblée après le 25 juillet 2021. Une autre responsabilité que la société civile doit assumer dans le cadre de la défense des droits citoyens et la lutte contre les atteintes et agressions de tous genres.

Une autre loi qui reflète la schizophrénie des pouvoirs ainsi que la ruse du législateur tunisien, celle n° 2018-35 relative à la responsabilité sociétale des entreprises. En effet, par acquis de conscience quant à l’importance des aspects environnementaux et les problèmes qui découlent des choix inégalitaires source des protestations et de la résistance populaire, par conviction aussi de la nécessité de mettre en place des outils juridiques nationaux qui aillent de pair avec les engagements internationaux et les plans de développement durable et de protection de l’environnement et du climat sur fond des principes de la constitution de 2014 et le pacte des nations unies pour la responsabilité sociétale et la convention universelle des droits de l’homme ainsi que les traités de l’organisation internationale de l’emploi et la convention de Rio autour de l’environnement et le développement[17], et suite aux pressions exercées par la société civile, l’assemblée des représentants du peuple (ARP) a promulgué en juin 2018 une loi constituant visiblement un nouveau mécanisme assurant le financement de projets dans les régions défavorisées et permettant en conséquence l’adhésion des entreprises qui y sont installées à créer une dynamique de développement susceptible de promouvoir ces régions et pérenniser les richesses naturelles dont elles sont dotées à travers l’accomplissement d’un compromis entre ces entreprises et leur environnement économique et social. Mais cette loi dans sa version actuelle n’est à  notre sens qu’une simple logorrhée juridique et un texte entaché d’idées illusoires et de flux de paroles fastueuses qui confirme le fait que le mobile derrière sa promulgation n’est autre que faire taire les voix qui l’ont réclamée et ont condamné les crimes et violations commis par de nombreuses entreprises et sociétés qui causent la raréfaction des richesses naturelles et portent préjudice à l’environnement telles que la compagnie des phosphates de Gafsa, les cimenteries, les industries chimiques, les usines de tabac, les unités de lavage de textiles, les papeteries, les industries agro-alimentaires et de conserves…et les exemples n’en manquent pas. Plusieurs organisations, associations et experts en droit sont unanimes sur le fait que la loi de la responsabilité sociétale est bien loin des objectifs pour lesquels elle a été promulguée et « en dépit de son caractère ambitieux suggéré par son intitulé, ses manquements sont multiples de point de vue contenu et application à cause de son caractère volontaire libre et bénévole, et c’est d’ailleurs ce qui nous a incité à revendiquer la nécessité de la revoir afin de lui conférer une dimension obligatoire et engageante dans le but de rassurer la société et réhabiliter le compromis effectif qui s’est vu affecter entre la loi et les entreprises et qu’il appartiendrait au législateur de le restaurer…[18] C’est ainsi qu’elle a été décrite par la juge et l’ancienne directrice des études et de la formation initiale à l’institut supérieur de la magistrature Me Nejiba Ezzaier dans un papier à vocation politique qu’elle a élaboré au profit du forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) dans le cadre d’appui à la loi et la présentation de propositions en vue de la modifier et réguler sa formulation pour être mise en œuvre.

Nombreux sont les textes de lois qui devraient être réaménagés et revus à même de correspondre aux engagements de l’Etat et ses obligations à l’échelle internationale et nationale d’un côté et les attentes de la révolution qui peinent à se voir réaliser d’un autre…en plus des changements économiques, sociaux et climatiques et la nécessité de faire en sorte à éviter des catastrophes supplémentaires qui n’épargneraient personne. Il ne faudrait pas perdre de vue également le processus de la décentralisation qui boîte et qui ne permet pas aux collectivités locales d’assurer leurs fonctions et contribuer à réduire les disparités régionales en raison de la faiblesse de leurs ressources, l’aspect limité de leurs prérogatives et l’absence d’un cadre légal leur permettant de gérer selon les principes de la décentralisation…une réalité atrophiée qui en fait « un processus boiteux à l’échelle législative »[19] L’un des aspects flagrants de ce déséquilibre qui reflète l’absence d’une volonté politique dans la mise en œuvre des lois et l’unification des processus dignes de protéger l’environnement et l’homme et la détermination des domaines d’intervention et leurs limites, est bel et bien l’organe de la police environnementale créé officiellement dans le cadre de l’application de la loi n° 2016-30 tel que modifié par la loi n° 2006-59 relative à la dérogation aux procédures d’hygiène et de la propreté publique dans les zones sous tutelle des collectivités locales. Le profil de cet organe est resté jusqu’à présent peu identifiable en plus des interférences dans ses attributions avec non seulement celles de la police municipale  mais aussi avec celles des autres organes du ministère de l’intérieur, ce qui a constitué un handicap à son efficacité et semé le doute sur sa véritable raison d’être notamment sous la précarité vécue par la plupart des municipalités en termes d’organigramme, de budgets alloués et d’équipements disponibles.

  • Le litige environnemental : un moyen de mettre en œuvre les droits et un mécanisme pour les préserver

Malgré le paysage lugubre et l’abondance des dépassements et violations commis au détriment de l’environnement et de l’homme, et malgré les entraves empêchant le processus d’appui aux droits environnementaux d’aboutir à ses fins, la volonté de résister et de continuer la lutte –surtout chez tous ceux qui ont la foi et qui croient que sur cette terre, il  y a sans doute beaucoup de choses dignes d’être vécues- demeure inébranlable tant qu’on est conscients de la légitimité des droits et de la nécessité de bâtir pour l’avenir des générations futures. Un constat qui nous fait penser à l’une des citations les plus célèbres de Martin Luther King, l’activiste américain en matière des droits civils et l’un des pionniers de la résistance pacifique : « Il appartient à toute personne ayant des convictions humanitaires de décider quel type de protestation convient le mieux à ses convictions, mais nous devons tous protester » pour dire que la résistance ne se résume pas à un seul type de protestation ou une forme spécifique exclusive et elle varie selon les convictions, les objectifs, le visions, les contextes et les couches sociales visées et par conséquent, faudrait-il frapper à toutes les portes, valoriser tous les acquis et en tirer profit, s’y appuyer pour atteindre le changement espéré.

Faut-il rappeler par ailleurs, que l’arsenal des lois, traités et accords n’a pas été promulgué inutilement, mais il a été institué pour protéger les droits de l’homme et faire en sorte qu’ils ne soient pas violés. Et il nous appartient à nous tous de s’y référer suivant nos moyens et nos aspirations. Le législateur a reconnu un autre droit des droits de l’homme consacré par l’article 108 de la constitution et ce, comme suit : « Le droit d’ester en justice et le droit de la défense sont des droits garantis. La loi facilite l’accès à la justice et assure aux plus démunis l’aide judiciaire.»[20] Et comme l’Etat dans tous les textes constitutionnels et les traités internationaux est tenu pour premier responsable de la consécration des droits de l’homme et donc contraint de fournir tous les éléments de base constitutifs des droits ayant été définis par la commission chargée des droits économiques, sociaux et culturels au sein du conseil économique et social auprès de Nations Unies tels que le principe de réaliser son plein potentiel sans discrimination et celui de la qualité, en plus du fait que l’Etat s’engage à respecter les principes constitutifs des droits tels que le principe de la protection, le principe du respect et celui de l’application, et par voie de conséquence il est permis aux individus et des groupes de porter plainte devant la justice soit contre l’Etat lui-même ou contre les institutions qui sont sous sa tutelle et qui sont accusées d’avoir commis des violations. Il va sans dire que le recours à la justice comme étant un soutien fort et efficace empêche les dérapages et le rabaissement des lois et des engagements. « Les victimes dont les droits économiques, sociaux et culturels ont été violés peuvent soulever leur cause auprès d’organes quasi-judiciaires internationaux ou régionaux de protection des droits de l’homme mais après avoir usé de toutes les voies de juridiction nationales ou lorsque les mécanismes juridictionnels font défaut ou dont leur mise en application laisse à désirer »[21]. Je m’autorise ici à rappeler que le département de la justice environnementale au forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) a fait recours depuis septembre 2020 à l’adoption de porter plainte à caractère environnemental dans le cadre d’une stratégie visant à promouvoir ses modalités d’exercice, les mécanismes de son intervention et le soutien des protestations environnementales et dans le but également de réaliser l’efficacité escomptée dans l’appui apporté aux causes du droit à l’environnement, le droit à l’eau et le droit au développement durable[22].

Dans ce contexte précis, fut l’expérience du bassin minier et la plainte déposée contre la société tunisienne de distribution  et d’exploitation des eaux (SONEDE) à Segdoud et contre la compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) à Redeyef, l’expérience de la section de Kairouan qui a déposé une plainte contre la municipalité de Chebika pour avoir déversé des déchets à l’origine inconnue dans la zone de Rouissat, en plus du processus juridictionnel qui a été entamé dernièrement par le département de la justice environnementale (FTDES) quant au dossier des terres de Borj Salhi avec des associations partenaires …afin de promouvoir la culture de recours aux tribunaux et mettre en place une jurisprudence de l’accès à la justice environnementale pour demander des comptes aux personnes (physiques ou morales) impliquées dans des crimes à caractère environnemental, ceci en plus du fondement d’un réseau d’avocates et avocats mobilisés à défendre les mouvements sociaux et engager des accrochages juridiques en cas de nécessité.

L’efficacité du processus d’accès à la justice et la portée applicable des jugements prononcés exigent une compréhension et une connaissance des différents types de justice (judiciaire, administrative et financière) et le champ de spécialité de chaque type ainsi que les domaines de son intervention. Ceci aide les ayants droit, les organisations de la société civile et les militants des droits de l’homme à réaliser de nettes avancées sur la voie de soutien et de pression visant à obtenir des jugements justes et équitables. Mais l’accumulation des jugements et l’exercice de pression pour qu’ils soient appliqués ou contestés pourraient avoir un impact positif sur les politiques et les pratiques.

L’accès à la justice environnementale pourrait être l’un des mécanismes de soutien efficaces pouvant mener avec le temps à l’amélioration des lois en vigueur dans le pays et ce, soit à travers l’application de lois déjà existantes, soit à travers la clarification et la révision de lois jugées défaillantes et inefficaces ou aussi en contestant certaines qui méritent d’être abrogées pour non-conformité avec les principes des droits de l’homme ou bien encore promulguer de nouvelles lois carrément, et par conséquent imposer la suprématie de la loi et la création d’une jurisprudence effective s’appuyant sur des références juridiques effectives, globales et universelles. Et pourquoi pas créer des organismes chargés du contentieux environnemental et des tribunaux dédiés à l’environnement, ou ce que Me Najiba Zaier a qualifié de « justice verte » surtout avec la recrudescence des crimes commis contre l’environnement et l’homme et la lenteur du processus juridique. Elle considère en effet que « parmi les avantages de la création d’une institution juridique spécialisée dans le contentieux environnemental aussi, c’est rassembler toutes les affaires à vocation environnementale dans un seul tribunal spécialisé ou dans une chambre dédiée à l’environnement dans chaque institution juridique parmi les trois juridictions. Ces instances « vertes » sont censées accueillir tous les différends à caractère environnemental et doivent être examinés par des juges ayant reçu une formation spécifique en matière de droit environnemental international et national : un pas décisif sur la voie d’accélérer le processus d’accès à la justice environnementale et la promotion des décisions de justice qui seront désormais motivées et justifiées par des juges spécialisés[23].

De son côté, la société civile, les organisations des droits de l’homme et les mouvements sociaux jouent un rôle considérable dans ce contexte  pour le fait qu’ils constituent un appui précieux aux luttes des juges et leurs efforts à faire aboutir les décisions de justice qui peinent à se faire appliquer pour des raisons politiques ou autres, comme ce fut le cas dans l’affaire des déchets à l’origine inconnue que la section du forum (FTDES) a soulevée et porté plainte contre la municipalité de Chebika et ayant abouti à un jugement contre cette municipalité le 15 avril 2021 qui a soulagé les habitants mais l’obstination des responsables locaux et régionaux a bloqué cette décision durant huit mois. La section de Kairouan ne s’est pas arrêtée là, elle a poursuivi ses pressions et a écrit au ministère de l’environnement et le gouverneur de la région tout en adoptant une stratégie de communication multidimensionnelle donnant lieu en définitive à la capitulation de la municipalité et l’application de la décision du tribunal administratif le 3 décembre 2021.

C’est un exemple édifiant qui prouve que le soutien ne devrait pas se contenter du mécanisme d’accès à la justice environnementale mais devrait diversifier les moyens et impliquer les différentes couches de la population dans la bataille des droits qui touche à la vie et à la dignité de tous…dans la perspective de garantir l’avenir des générations futures, réaliser progressivement le changement espéré et influencer un tant soit peu l’attitude des décideurs et faiseurs de politiques.

Nous avons essayé dans ce volet du rapport d’élucider les côtés lumineux dans le système des droits de l’homme en Tunisie et les acquis juridiques et législatifs que nous avons aujourd’hui entre les mains d’une part et les dysfonctionnements qui entravent la mise en œuvre des droits environnementaux d’autre part. Mais il est évident que la question n’ait pas été traitée de l’angle de vue d’un juriste et que nous ne sommes pas approfondis dans les textes, dispositions et mécanismes d’abord parce que nous ne sommes pas vraiment spécialistes en la matière et secundo par crainte méthodologique de sombrer dans des interprétations et des lectures improbables. Pour cela, nous avons évoqué les thématiques en question suivant une approche des droits de l’homme puisant ainsi notre force dans notre expérience de terrain et notre foi quant à la nécessité d’assurer la suprématie des droits de l’homme, de sa dignité, sa sécurité par rapport à tous les autres systèmes et lois.

Et parce que nous sommes persuadés qu’ « un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas » comme disait le philosophe chinois Lao-Tseu et que toutes les lois, les institutions, les structures, les pouvoirs et les composants de l’Etat sont supposés se mettre au service de l’homme, nous ne sommes pas contentés de rappeler, critiquer ou condamner mais nous avons et nous continuerons à engager toutes sortes de batailles et nous avons emprunté la voie de la lutte aux côtés des ayants droit et avec tous ceux qui soutiennent les causes justes abstraction faite de leurs penchants, de leurs affinités, de leurs spécialités ou de leurs domaines de prédilection.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Préambule de la déclaration universelle des droits de l’homme

[2] Article 3 de la déclaration universelle des droits de l’homme

[3] Préambule de la déclaration universelle des droits de l’homme

[4] « Développement, justice, liberté » du penseur, écrivain et économiste indien Amartya Sen, traduit par Chawki Jalel

[5] Alinéa 1 de l’article 6 du chapitre 3 du pacte international relatif aux droits civils et politiques

[6] Article 13, alinéa 2b du pacte international relatif aux droits civils, politiques et culturels

[7] Alinéa b, article 7 du pacte international relatif aux droits civils, politiques et culturels

[8] Site officiel des Nations Unies, bureau du haut commissaire, le rapporteur spécial chargé des droits de l’homme et de l’environnement

[9] Site officiel des Nations Unies, bureau du haut commissaire, le rapporteur spécial chargé du droit de l’homme à l’eau potable et aux services d’assainissement

[10] Lettre au rapporteur spécial chargé du droit de l’homme à l’eau potable sécurisée et aux services d’assainissement, site officiel du FTDES, https://ftdes.net/ar/rapporteur-special-sur-les-droits-de-lhomme-a-leau-potable-et-a-lassainissement/

[11] Préambule de la déclaration du droit à l’environnement, Université de Minnesota, bibliothèque des droits de l’homme

http://hrlibrary.umn.edu/arab/b075.html

[12] Rapport « notre avenir commun » connu sous le nom de Portland pour le développement durable publié par la commission internationale de l’environnement sous tutelle des Nations Unies 1987.

[13] Les sources du droit de l’environnement en Tunisie, Tribunal Administratif de Tunisie https://web.archive.org/web/20180713102213/http://www.aihja.org:80/images/users/114/files/Congres_de_Carthagene_-_Rapport_de_la_Tunisie_2013-TUNISIE-FR.pdf

[14] Article 5 de la loi n° 1988-91 relative à la création d’une agence nationale pour la protection de l’environnement

[15] Le décret 2005-11 du 11 juillet 2005 définit les types d’unités assujetties à l’étude d’impact sur l’environnement et les types d’unités assujetties aux cahiers des charges

[16] Projet du code des eaux, propositions du département de la justice environnementale au FTDES

https://ftdes.net/ar/le-projet-de-nouveau-code-des-eaux

[17] Loi n° 2018-35 du 11 juin 2018 relative à la responsabilité sociétale des entreprises

[18] Loi de la responsabilité sociétale des entreprises, Nejiba Zaier https://ftdes.net/ar/la-responsabilite-sociale-des-entreprises-en-tunisie/

[19] …………………………………………………………….

[20] Constitution 2014, chapitre 5, justice judiciaire, chapitre 1, justice judiciaire, administrative et financière

[21] Droits économiques et sociaux et accès à la justice, Asma Sleymia, agenda juridique

[22] Litige environnemental, une nouvelle stratégie pour le département de la justice environnementale au FTDES

https://ftdes.net/ar/le-contentieux-environnemental-nouvel-axe-strategique-pour-le-departement-justice-environnementale-du-ftdes/

[23] Najiba Zaier, une justice verte en Tunisie, est-elle possible ?